Comment tuer son employé ?

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Ce début de mois de Juin voit l’arrestation et la mise en examen d’une cheffe d’entreprise qui prévoyait en Mai dernier d’engager un tueur à gages afin d’éliminer l’un de ses employés. L’information est peu relayée et la couverture médiatique des évènements est quasiment absente. Il s’agit sans doute d’un évènement sordide, mais il mérite un intérêt particulier au-delà  du dégoût qu’il inspire.


Un scénario des plus macabres

Pour rappeler brièvement les faits, la cheffe d’entreprise française Murielle Millet s’inquiète de l’engagement syndical et citoyen de l’un de ses employés Hassan et notamment de son enthousiasme quant au mouvement des Gilets Jaunes. Au cours d’un dîner, elle se lie d’amitié avec deux tueurs à gages, ex-membres des services de renseignements français, franc-maçons et membre de la secte d’Athanor, Frédéric Vaglio et Daniel Beaulieu qui l’auraient recontacté en lui proposant d’éliminer purement et simplement son employé. Elle hésite longtemps puis accepte de payer les 75 000 euros demandés, prix d’une vie humaine. Elle se rétracte finalement avant l’exécution, mais le complice du tueur avait déjà refusé d’abattre un père de famille.

Murielle a finalement été mise en examen, la CGT s’est portée partie civile et va accompagner Hassan psychologiquement, moralement ainsi que dans ses démarches administratives et juridiques.

Nous n’avons pas de détails concernant le dîner où Murielle a rencontré le tueur à gages. Avec le recul, il y a peu de chance que cette rencontre eut été fortuite. Il s’agit vraisemblablement d’une mise en relation entre la cheffe d’entreprise et la secte parisienne. Rappelons ensuite que cette dernière n’est pas allée de son propre chef se rendre à la police, prise de remords comme elle a l’air de l’insinuer dans son témoignage. C’est bien l’arrestation des tueurs et leurs aveux qui l’ont conduite à être entendue par la police. Un interrogatoire qui révélera toute l’hypocrisie et la lâcheté d’une PDG au pied du mur.

 

L’hybris des puissants 

Ce qui choque le plus, c’est le témoignage surréaliste de Murielle après son arrestation. En effet, elle insiste sur le fait d’avoir « été réticente » à l’idée d’éliminer l’un de ses employés ; que, quinze jours après le dîner, son contact l’a rappelée : « Il m’a mis la pression et j’ai dit oui. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai dit oui ». Frédéric Vaglio, lui, raconte aux enquêteurs que Murielle lui aurait parlé en ces termes : « On a un mec qui n’arrête pas de nous emmerder et qu’on ne peut pas virer. Parfois j’aimerais bien lui casser la gueule, qu’est-ce qu’il peut nous embêter ». Il avoue également que Murielle et son mari « étaient ok » quelques semaines plus tard pour mettre un contrat sur la tête de Hassan. Finalement, Murielle dit être revenue sur sa décision en espérant que cet épisode ne viendrait pas troubler « l’ambiance familiale qui régnait au sein de l’entreprise ».

Après la surprise suscitée par un tel fait d’actualité, après le dégoût profond, il est temps de proposer une réflexion sur une dérive moins anodine qu’il n’y paraît. S’il ne s’agissait ici que d’un cas isolé, ce dernier pourrait également être révélateur d’un phénomène sociologique latent. Si nous n’espérons pas décrypter ici toute la portée d’un tel évènement et ce qu’il raconte sur notre société, nous nous essaierons tout de même à offrir quelques pistes de réflexion.

La banalisation du mal

Demandons-nous par exemple si les chefs des grandes entreprises n’ont pas un pouvoir de vie et de mort sur leurs employés. Dans un monde régi par les lois capitalistiques, il faut déjà remarquer que le travailleur accepte de vendre sa force de travail contre une rémunération qui lui permet de vivre et de trouver une place au sein de la société. L’employeur possède déjà un grand pouvoir sur la vie de son employé et sur son avenir. Voilà pourquoi les employés doivent faire front commun et s’unir à travers un syndicat pour compenser leurs faiblesses individuelles. Celui-ci la discussion et la négociation entre les parties et, le cas échéant, organise la lutte pour davantage de considération et de droits. Parce que le capital sans travailleur est vain et que le travailleur sans travail est inutile. Cette dispute permanente est nécessaire et même féconde à la vie d’entreprise. Pouvoir éliminer son employé au sens propre comme figuré est mortifère pour la société en général.

Le refus du dialogue, voilà le véritable danger. La rupture dialectique qui nous enferme dans nos petites vérités confortables. Le grand patronat se gargarise de cet idéal où la doctrine capitaliste serait poussée à l’extrême et où le travailleur ne serait qu’un instrument jetable et interchangeable. Murielle Millet incarne ce côté sombre et inavouable qui guette dans l’esprit des puissants. Si évidemment peu nombreux sont ceux qui passent à l’acte, ces patrons sont, en puissance, capables de passer outre les règles de la morale et de l’État en allant, disons-le, jusqu’à tuer.

La puissance appelle la puissance. Nous voyons qu’il est aisé pour des personnes riches et influentes d’accéder à des services illégaux, de détourner des fonds, de faire alliance avec des sectes et d’embaucher des tueurs pour remettre de l’ordre dans un monde qui leur appartient. Mais Murielle n’a rien du mal radical qui se tapit dans l’ombre et sort toujours auréolé de vertu et drapé dans son discours hypocrite après avoir commis le pire. Ce mal-là, est présent dans le cœur de PDG bien plus importants dont l’ivresse du pouvoir a fait perdre le sens des réalités humaines. Murielle Millet fait état d’un mal plus anodin mais bien plus terrifiant : le mal banal. Nous le ressentons notamment à travers son discours faux et sans émotion tout juste bon à servir la procédure juridique. Cet évènement doit mettre en garde et rappeler à tous que l’être humain qui ne pense plus est capable du pire. Hannah Arendt écrit dans Considérations morales : « La manifestation du vent de la pensée n’est pas la connaissance, c’est l’aptitude à discerner le bien du mal, le beau du laid. Et ceci peut bien prévenir des catastrophes dans les rares moments où les cartes sont sur table ».

L’actualité récente aura été polluée par de nombreux faits polémiques d’une importance toute relative qui caractérisent bien notre société du spectacle. Toutefois, nous nous devons de rappeler l’histoire d’Hassan, le mécanicien, père de famille qui a risqué sa vie pour revendiquer ses droits et ceux de ses amis. Les maux de la société telle que nous l’avons construite peuvent prendre plusieurs formes mais la fin de la réflexion, du dialogue et de la concession signent l’émergence du mal banal. Une horreur facile qui s’impose à nous et à laquelle on répond de manière détachée : Après tout, pourquoi pas ?

Les cartes sont sur table.

 

Thomas Primerano, étudiant en philosophie à la Sorbonne, membre de l’Association pour la Cause Freudienne de Strasbourg, membre de la Société d’Etudes Robespierristes, auteur de « Rééduquer le peuple après la Terreur » paru chez BOD

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