Plan de relance europeén: miracle économique ou arnaque politique ?

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« Historique », s’il ne fallait garder qu’un seul mot pour qualifier le récent plan de relance européen, ce serait celui-ci. D’ailleurs, s’il ne fallait garder qu’un mot pour qualifier le moindre petit approfondissement au niveau européen, ce serait sans aucun doute celui-ci. Effectivement, la construction européenne n’est rien d’autre que l’histoire en train de s’écrire elle-même, c’est la prophétie des temps nouveaux dont la réalisation incombe à son prophète Emmanuel Macron. Loin de ces considérations téléologiques un peu exagérées, il est vrai, il nous paraît essentiel de démontrer véritablement ce qui se cache sous ce mot « historique » et cette construction européenne pour laquelle on ne peut que remercier nos parents, tant est parfaite. Nous avons fêté cette année les 70 ans de la déclaration Schuman et c’est bien dans le giron des pères fondateurs qu’a voulu s’inscrire notre président avec ses différents discours « visionnaires » et « historiques » comme ceux de la Sorbonne ou d’Athènes dans son ambition de « refonder l’Europe ». Nous arrivons bientôt dans la dernière année du quinquennat d’Emmanuel Macron, alors à l’heure des adieux prochains d’Angela Merkel et de la réponse européenne face au coronavirus, il semble nécessaire de s’interroger sur ce plan de relance historique, sommet du bilan européen de Jupiter, le Prométhée à l’allumette.

Un « compromis historique » ?

Il serait malhonnête de nier qu’il n’y a aucune avancée dans le plan trouvé en commun par les états-membres cet été après 4 jours et 4 nuits d’âpres négociations. Les états-membres ont conclu un plan de relance européen de 750 milliards qui consiste en 390 milliards de subventions contrôlées par la commission européenne et 360 milliards de prêts par les États. La France va toucher 40 milliards de subventions et pourra demander des prêts, 40% du plan « France Relance » du gouvernement est donc financé par les instances européennes. Pour la première fois de son histoire, l’union européenne emprunte en son nom propre. Voilà, c’est « historique ». Décidément, certains font peu de cas de ce qu’est l’histoire…

Premièrement, les prêts ne sont pas importants, le plan de relance franco-allemand présenté en mai prévoyait 500 milliards d’euros de subventions. Actuellement, les États comme l’Allemagne ou la France empruntent à des taux négatifs grâce aux rachats de dette de la BCE, ils n’ont donc pas besoin des prêts de la Commission européenne. Sur ces fameux 750 milliards, il faut déjà en retrancher presque la moitié.

En 2020 et 2021, les pays européens pourraient connaître une chute de l’investissement public et privé d’environ 850 Milliards d’euros, mais ce plan représente à peine 5% du PIB cumulé des pays européens. En comparaison, dans les actuelles négociations au Congrès des États-Unis sur le plan de relance américain, les démocraties exigent 2220 Milliards, alors que l’administration Trump propose 1600, bien que que la population et l’économie américaine sont moins importante que celles des pays européens. Toutefois, le plan de relance européen a l’avantage d’être « historique », même s’il ne répond pas aux exigences de la situation, il est historique.

En 2020 et 2021, les pays européens pourraient connaître une chute de l’investissement public et privé d’environ 850 Milliards d’euros, mais ce plan représente à peine 5% du PIB cumulé des pays européens.

On peut s’extasier comme l’ensemble de la presse sur la « victoire politique d’Emmanuel Macron », ou on peut regarder la réalité et voir que la France n’a pas gagné grand-chose dans ce plan. La France fait partie des contributeurs nets au budget européen, cette contribution a d’ailleurs augmenté après le Brexit. Les véritables gagnants de cette affaire sont l’Espagne et l’Italie qui sont les deux plus gros bénéficiaires du plan et qui ont été gravement touchés par la crise, les pays de l’ancien bloc soviétique qui ont été peu touchés par la crise et reçoivent tout de même des sommes conséquentes, les pays du nord, dits « frugaux » (Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark, Finlande) qui ont obtenu des rabais sur leur contribution au plan de relance et l’Allemagne qui sauve l’Europe dont elle a terriblement besoin et se sauve donc elle-même. En somme, presque tout le monde y gagne, sauf la France… Ce compromis a été obtenu après de difficiles négociations où les pays frugaux ont tout fait pour éviter une trop forte hausse des dépenses communes et maintenir le statu quo actuel qui leur profite. Par exemple, les Pays-Bas ont vu leur rabais doubler pour atteindre 2 milliards d’euros, alors que la pays a les deuxièmes excédents commerciaux d’Europe après l’Allemagne et est donc l’un des premiers bénéficiaires du système économique européen actuel.

Quel financement pour ce plan ?

Nous avons critiqué la faible ampleur de ce plan de relance, mais il est naturel qu’en comparaison avec le smic horaire, il s’agisse d’une somme astronomique. Les 40 milliards d’euros de subventions sont disponibles immédiatement, mais personne n’a encore vu la couleur de l’argent des prêts, ce qui pose la question de son financement et donc : qui va payer ? Les trois sources de financement envisageables sont : une hausse des ressources propres de l’UE, la hausse de la contribution des états-membres ou une baisse des dépenses.

Pour augmenter les ressources propres de l’UE, une série d’impôts européens est prévue : une taxe sur le plastique non-recyclé sera instaurée début 2021, avant 2023, l’UE doit également créer une taxe carbone sur les produits importés, une refonte du marché européen du carbone, ainsi qu’une taxe sur les géants du numérique. L’objectif est de rapporter à l’Union européenne entre 20 et 30 milliards par an. Ce ne sont pour l’instant que des projets, la fiscalité européenne nécessite l’unanimité, cela explique pourquoi la France n’avait pas réussi à imposer sa taxe sur les GAFAM au reste de l’Europe. Une autre solution est la baisse des dépenses publiques, alors que plusieurs secteurs (santé, recherche) vont déjà recevoir moins d’argent qu’auparavant, l’austérité pourrait reprendre comme avant, faisant de ce plan de relance une courte parenthèse. La troisième et la plus probable des solutions est la hausse de la contribution des états-membres. La France contribue déjà à hauteur de 17% au budget européen, celle-ci n’a cessé d’augmenter, contrairement à celles des frugaux qui ont bloqué les négociations.

Enfin, « il n’y a pas d’argent magique » comme aiment à le dire les libéraux, il n’y a pas non plus de subventions complètement gratuites. En effet, les prêts et les subventions accordés aux États par la commission européenne sont conditionnés à des « réformes structurelles ». Cela signifie une surveillance plus étroite de la politique des États-nations par la Commission pour assurer, tel un cheval de Troie, le bon respect de l’ordre néolibéral. C’est d’ailleurs la seule chose qui compte, il a été évoqué que les fonds européens soient conditionnés au respect des droits fondamentaux, mais cela a été vite oublié. Ainsi, l’Union européenne veille à ce que la France avance vers la privatisation de son système de retraites ou la destruction des droits des travailleurs, mais n’a cure des violations des droits des minorités en Pologne ou de l’état de droit en Hongrie, chacun ses priorités…

Une victoire politique pour Macron ?

Dans ses discours de la Sorbonne ou d’Athènes qui ont marqué le début de son mandat, le Président de la République a clairement affiché sa volonté de « refonder notre Europe », volonté que ce plan est censé consacrer.

En réalité, l’Europe fédérale et de la solidarité est un mythe, les rapports de force politiques entre États sont une réalité, l’essence néolibérale du projet européen en est une autre. Politiquement, le premier fait marquant est surtout l’influence des pays frugaux qui fait voler en éclats l’illusion qu’est l’Europe de la solidarité, un emprunt en commun ne suffit pas à faire l’histoire. En effet, dans le long terme, il n’y a aucune garantie que ce plan soit un premier pas vers le fédéralisme que souhaite notre Président. La solidarité européenne qui était déjà invisible a disparu, chacun joue sa carte et c’est normal, le Christ s’est sacrifié pour racheter les pêchés de l’humanité mais la Finlande refusera de se sacrifier pour racheter la dette italienne car l’Union Européenne n’est pas une construction politique et démocratique suffisamment légitime pour se transformer en espace fédéral. De plus, une mutualisation signifierait un rachat des dettes des états-membres par la BCE, or, la BCE est indépendante des États selon ses statuts. De plus, le jugement de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe (plus haute autorité judiciaire) du 5 mai dernier condamne le rachat de dettes par la BCE et lui demande de justifier sa politique de « quantitative easing » (assouplissements quantitatifs) de rachat des titres de dette pour permettre aux pays d’emprunter à des taux très bas, voire négatifs. Sur le court terme, ce jugement n’a pas de conséquences directes, mais sur le long terme ses conséquences juridiques et politiques sont profondes. Premièrement, cela remet en cause la supériorité du droit européen sur le droit national et surtout, c’est un grand signe de défiance qui nous indique que le grand saut dans le fédéralisme n’est pas pour demain et qu’il faut relativiser l’importance de ce plan de relance.

L’autre fait politique marquant à l’issue de ce sommet européen exceptionnel est le renforcement de la domination allemande sur la construction européenne.

Notre président aura beau dire que c’est « le fruit d’un travail de trois ans entre la France et l’Allemagne », mais Emmanuel Macron comme ses trois prédécesseurs n’a jamais été en mesure d’imposer quoi que ce soit à Angela Merkel. L’Allemagne n’a jamais été aussi dominante en Europe, les mesures sanitaires ont été beaucoup moins fortes outre-Rhin, le nombre de décès est deux fois moins important qu’en France (malgré une population plus âgée), les conséquences économiques seront moins terribles et la popularité d’Angela Merkel n’a jamais été si élevée. L’Allemagne qui nous regardait déjà de haut pour notre taux de chômage plus élevé et notre dette colossale sort de la crise loin devant les autres pays européens, son influence au sein des institutions européennes n’a jamais été aussi forte. Le plan français de relance s’élève à 60 milliards d’euros avancés par l’État français et 40 milliards en provenance de la Commission Européenne, tandis que le simple plan de relance allemand dépasse les 120 milliards pour une économie moins exsangue que la nôtre, soit le double. Il ne s’agit pas de pleurer sur la réussite allemande, mais de comprendre pourquoi l’UE sort de son orthodoxie ordo-libérale.

L’Allemagne, première puissance européenne a imposé le maintien du statu quo et de l’austérité après la crise financière de 2008, pendant la crise de l’euro ou pendant la crise grecque, mais en 2020, l’Allemagne a changé. Il ne s’agit pas d’un pur acte de philanthropie d’Angela Merkel, mais bien du sauvetage de l’Europe par l’Allemagne pour défendre les intérêts allemands. L’Europe du nord et l’Allemagne en particulier ont été les plus grands bénéficiaires de l’euro et du marché unique, l’euro sous-évalué a permis à l’économie rhénane de conquérir les marchés européens et de dégager des excédents commerciaux considérables (8% du Pib allemand) alors que la France est en déficit commercial depuis 2004. Si l’Allemagne a changé c’est parce que l’effondrement de la construction européenne qui lui profite tant est aujourd’hui probable, ce qui ne l’était pas en 2005 quand Merkel est devenue chancelière. Si l’UE s’effondre, l’Allemagne suit.

Le montant du plan de relance allemand s’élève au double de plan de relance français.

Ce qui nous est donc présenté comme « historique » (sic) fait donc « pschitt » comme disait Jacques Chirac dès qu’on s’y attarde un peu. L’Europe de la solidarité a volé en éclats face aux revendications de chacun, la France ne gagne rien dans ce plan censé être l’apogée du notre travail en Europe et qui plus est, l’Allemagne domine plus que jamais le vieux continent. Il semble que l’Union Européenne ne fasse pas exception à l’arnaque du « Monde nouveau » promis après le confinement, en France comme en Europe, il faut que tout change pour que rien ne change…

Pierre de Chabot

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