Reconfinement : une jeunesse fracturée

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Il l’a dit : « il faudra continuer à rester chez soi, à télétravailler quand cela est possible, à renoncer aux réunions privées, aux rassemblements familiaux », et ce faisant, Emmanuel Macron a achevé de fracturer une jeunesse déjà complètement atomisée. Il a ainsi acté la fermeture des universités jusqu’à février au plus tôt, la banalisation des cours à distance, le retour dans le foyer familial, et l’isolement d’une jeunesse entière. Ce qui leur vaut ce traitement de faveur ? Sans doute leur absence de participation au système productif. S’ils sont économiquement stériles, alors leur marginalisation ne posera pas problème. Malheureusement, ce calcul politique est aussi faux que dangereux pour l’avenir d’une France dans laquelle la désunion guette. Récit.

Le naufrage de la jeunesse

D’aucuns pensaient que la vieillesse était un naufrage, il faut croire que la jeunesse peut aussi l’être : l’insertion professionnelle, la création d’un foyer, la structuration de l’identité… Autant de passages fondamentaux de la vie des jeunes Français renvoyés aux calendes grecques. Les coupables de ce sabotage ? Le virus et son corolaire, les mesures sanitaires. Jamais une génération n’aura autant senti l’incertitude planer au-dessus de son avenir : l’activité économique moribonde laisse peu d’espoirs quant à de potentielles embauches, la fermeture des universités et le distanciel ferment les portes à des rencontres décisives. Décisives, car 62% des relations amicales, et bien souvent aussi amoureuses, naissent dans le cadre des études chez les 15-24 ans. Le reste des relations sociales étant permis par le sport, la culture, la vie associative… Autant de notions appartenant aujourd’hui au passé. Les rencontres ont été rendues aussi rares que les emplois, et la jeunesse s’est travestie en longue dérive déboussolée…

62% des relations amicales, et bien souvent aussi amoureuses, naissent dans le cadre des études chez les 15-24 ans.

Une jeunesse sans repères

Cette désorientation de la jeunesse n’est pas nouvelle, les restrictions sanitaires ne faisant que porter un énième coup de massue à une jeunesse atomisée et socialement désintégrée.

Il n’y a plus une jeunesse, mais des jeunes, qui ne se connaissent plus. Les dénominateurs communs ont disparu, si ce n’est le dernier subsistant : l’âge. On est jeune parce qu’on a l’âge pour l’être, et aujourd’hui, on est surtout jeune car on est seul.

Une solitude qui est le fardeau de toute une génération subissant les conséquences d’un individualisme grandissant sous l’effet de l’importation du libéralisme anglo-saxon. En effet, la jeunesse d’aujourd’hui subit les conséquences des mutations d’hier. La première d’entre elles étant l’individualisation de la société en pleine expansion depuis l’après-guerre magnifiquement exposée par Jérôme Fourquet dans son livre L’archipel français. Il fait état d’une France dans laquelle le référentiel commun se disloque complètement, ainsi que la matrice catholique, ne laissant que des individus épars sans culture commune. Cette atomisation des Français se constate ne serait-ce que par le choix des prénoms. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est que son enfant soit unique, particulier, surtout différencié du commun des mortels. On renie la collectivité car elle limite la liberté. Or, quoi de plus insupportable que la perte de celle-ci ? Ainsi, de 4000 prénoms utilisés par an en 1960, on passe à 12 000 en 2005. La singularisation prend le pas sur l’intégration. Rien de plus facile lorsque les institutions et rites républicains se délitent (service militaire, Église, rites académiques…). Et à force de se différencier, on finit par ne plus pouvoir communiquer. Un vide identitaire et culturel qui fait la lie des communautaristes de tous bords… Mais ne changeons rien, l’archipel français est en construction.

Une solitude qui est le fardeau de toute une génération subissant les conséquences d’un individualisme grandissant sous l’effet de l’importation du libéralisme anglo-saxon.

Une jeunesse de plus en plus « connectée » ?

Heureusement, le portable est là et fait perdurer le lien social malgré le confinement. Ce serait presque émouvant s’il ne causait pas une véritable destruction de l’interaction de face à face, autant qualitative que quantitative. La jeunesse contemporaine est le cobaye d’une technologie dont les conséquences étaient encore méconnues lors de sa mise sur le marché, et maintenant qu’elle a envahi notre quotidien, il paraît difficile de faire marche arrière… Pourtant, la simple présence des écrans absorbe notre attention et engendre des réponses sèches et robotiques. En incarnant tout un univers social, le téléphone éloigne de celui qui nous fait face. Il nous détourne de la discussion directe, de sa potentielle profondeur, pour privilégier la superficialité d’un réseau aussi étendu que vide de sens. Les écrans, au lieu d’être une solution au déficit de liens sociaux, sont l’une des causes de celui-ci. La jeunesse réussit alors l’exploit de vivre ensemble sans jamais vraiment l’être, et le confinement de normaliser ce qui ne devrait pas l’être.

Le constat est dur, mais il est là. Le reconfinement a frappé, les universités ont fermé, le distanciel tend à devenir la norme comme la distanciation sociale et la défiance généralisée… Le sacrifice de la jeunesse est acté, la désunion future de la société française aussi. Les générations du « monde d’après » vont avoir la lourde tâche de ressouder ce qui a été éclaté. En espérant que demain, les Français soient encore capables de se reconnaître…

Baptiste Detombe

 

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