Éric Zemmour, un Macron en brun

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Alors que la perspective d’un second tour opposant le chef de l’Etat à Marine Le Pen paraissait difficilement évitable, la candidature d’Eric Zemmour a rebattu les cartes, abaissant le seuil de qualification au second tour à un niveau bien plus bas qu’à l’accoutumée. Si l’entrée en politique du polémiste aura au moins permis cela, son projet n’en reste pas moins la parfaite illustration de la connivence entre l’extrême droite et la bourgeoisie sur les terrains économiques et sociaux.


 

Après plus de 15 ans de présence médiatique très remarquée, durant lesquels Eric Zemmour s’est fait connaître pour son franc-parler et ses provocations, le polémiste a changé de costume en présentant sa candidature à l’élection présidentielle. Après plusieurs mois passés à sillonner la France, officiellement pour faire la promotion de son dernier livre, l’ancien journaliste a mis fin à un faux suspens en officialisant sa candidature début décembre 2021. Si un mérite doit lui être attribué, c’est celui d’avoir imposé son cadre et ses thèmes dans cette campagne, avant même d’être candidat. La surenchère sécuritaire et civilisationnelle qu’il a su imposer dans les débats a été reprise par une large partie de la classe politique, mais Eric Zemmour en reste l’initiateur.

Un néo-libéral qui se veut populiste

 

Lorsque la question lui est posée sur le plateau de l’Opinion, il ne tergiverse pas : « Je suis dans le camp des populistes, mais alors sans hésitation. » Il se veut en dehors du système, loin des élites. Mais là où des tribuns populistes manient souvent l’anti-intellectualisme, lui se distingue par des références intellectuelles, illustrées par des citations quasi-constantes à chacune de ses interventions. Une force non-négligeable qu’il maîtrise à la perfection, grâce à laquelle il possède aujourd’hui sa réputation de débatteur quasi-imprenable.

Mais derrière cette façade anti-élitiste, le polémiste est rapidement trahi par le fond de son discours, qui se veut d’une brutalité sociale et d’un libéralisme économique à en faire pâlir Emmanuel Macron.

Contrairement à Marine Le Pen, Eric Zemmour suit la ligne du chef de l’Etat sur l’idée de la nécessité de réformer le système des retraites. Lui qui se veut en opposition à l’Europe de Maastricht ne bronche pourtant pas à l’idée d’augmenter drastiquement l’âge légal de départ à la retraite, mesure souhaitée par l’Union Européenne. Si aujourd’hui, il ne propose « que » de l’augmenter jusqu’à 64 ans, il n’hésitait pas en 2019, à déclarer sur le plateau de CNews qu’« il faut refixer l’âge légal de départ à la retraite à 65, voir 67 ans », à une époque où il ne rêvait probablement pas encore d’occuper la plus haute fonction de l’Etat.

 

 

S’il veut faire partir les Français plus tard à la retraite, il souhaite également augmenter leur durée de travail hebdomadaire. Pour cela, il n’hésite pas à reprendre à la fameuse formule de Nicolas Sarkzoy « travailler plus pour gagner plus », allant jusqu’à proposer de défiscaliser les heures supplémentaires pour encourager à travailler davantage. Une nouvelle fois, l’ancien polémiste est aligné sur le chef de l’Etat, qui, a en croire les colonnes de Marianne, rêve d’une société dans laquelle les jeunes de 25 ans acceptent de travailler 45h par semaine.

Souverain à l’extérieur, libéral à l’intérieur, tel est le meilleur descriptif pour décrire l’ancien journaliste.

 

Si le chef de l’Etat a déjà bien contribué à dépecer le modèle social français, l’élection d’Eric Zemmour marquerait un grand bond en avant vers la disparition totale de nos filets sociaux. Le candidat ne s’en cache pas, son objectif est clair : augmenter le plus possible le salaire net sans toucher au brut. L’équation est simple : moins la différence entre les deux est forte, plus la protection sociale est faible. La solidarité nationale envers les plus précaires représente une véritable phobie pour lui. Si, sans surprise, il souhaite supprimer toutes les aides bénéficiant aux étrangers sur le territoire français, notamment l’AME ( Aide Médical d’Etat ), pourtant essentielle pour empêcher la transmission d’épidémies, les Français aussi subiront son rejet de tout ce qui prend forme de solidarité. En voulant par exemple supprimer la loi SRU, stipulant que les communes doivent compter un certain seuil de logements sociaux, le candidat veut tout simplement priver les français de logement, puisque 80% des habitants de ces logements sont français, et n’ont pas d’autres choix.

 

Derrière Zemmour, de riches industriels

 

Ne nous y trompons pas, si Emmanuel Macron est régulièrement qualifié de « président des riches », Eric Zemmour peut aisément être aussi qualifié de la sorte en tant que candidat. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’une large partie des personnes ayant participé aux financements de la campagne du candidat d’extrême droite ont un profil qui rappelle étonnamment ceux d’Emmanuel Macron pendant la campagne de 2017. Prenons l’exemple de Julien Madar, directeur Général de Checkmyguest… et ancien banquier chez Rothschild. C’est lui qui s’occupe de la partie financement de la campagne, et qui a notamment accepté de mettre une boîte aux lettres à disposition de l’équipe du candidat pour recevoir les chèques. Julien Madar est loin d’être le seul millionnaire à soutenir le néo-pétainiste : le très libéral financier Charles Gave n’a pas hésité à lui accorder un prêt de 300 000 euros; et on pourrait s’attarder sur Xaviers Caïtucoli, l’ex-PDG de direct Energie, ou encore des cadres dirigeants de Vinci ou Channel…

Parmi les différents donateurs, il y a notamment Chantal Bolloré, la sœur du très riche industriel, Vincent. Ce dernier, devenu l’homme le plus influent dans l’univers des médias en France, est probablement le principal artisan de la mise en avant sur la scène médiatique du polémiste. Le milliardaire breton lui a offert son émission quotidienne pendant 2 ans sur CNews, et adapte aujourd’hui la ligne éditoriale de chacun des médias qu’il possède conformément à ses convictions personnelles, similaires à celles du polémiste.

On peut d’ailleurs, avec un brin de sournoiserie, supposer que l’indifférence qu’Éric Zemmour semble éprouver vis-à-vis de l’évasion fiscale – qui représente 80 à 100 milliards d’euros chaque année – est liée à l’amitié qu’il porte à Vincent Bolloré, plusieurs fois mis en cause dans des affaires de fraudes fiscales. Car si le candidat rappelle régulièrement qu’il a décidé de mener une guerre sans merci à la fraude sociale (d’un montant de 8 à 10 milliards d’euros chaque année), il n’évoque jamais la question de la fraude fiscale, qui représente pourtant une somme dix fois supérieure. Là encore, on peut sans trop se mouiller établir une jonction avec le président en place, qui en 2018 s’est montré très ambigu sur la question, refusant d’employer le terme « d’évasion fiscale » pour parler « d’optimisation ».

 

Bref, ce n’est par hasard si, aujourd’hui, nombre de riches industriels, banquiers et patrons de grandes entreprises ont jeté leur dévolu sur Eric Zemmour. Au même titre qu’Emmanuel Macron il y a 5 ans, celui-ci représente le candidat idéal pour cette caste. Défavorable au rétablissement de l’ISF, à la hausse des salaires ou encore à la traque à la fraude fiscale, son projet d’austérité et de destruction du système social ne peut profiter qu’à ceux qui ont déjà tout.

Ajoutées à cela la xénophobie et la brutalité qu’on lui connaît, sur lesquelles il est inutile de s’attarder tant son casier judiciaire et ses provocations quotidiennes parlent pour lui, on peut conclure en affirmant que l’anti-systémisme dont il se revendique est fallacieux. En réalité, son élection ne serait que la continuité de la politique initiée par Emmanuel Macron, en plus brutale… et en plus dangereuse.

 

Thomas Rannou

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