Le RN, fossoyeur de la souveraineté ?

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Face aux promesses sécuritaires et anti-immigrationnistes non-tenues de Sarkozy, face aux promesses sociales trahies de Hollande, le RN est apparu pour certains capable d’incarner la radicalité nécessaire à l’action politique tant attendue.

Admettons maintenant qu’un parti qui a capitalisé sur les désillusions passées de ses électeurs, sur les trahisons, lorsqu’ils étaient en poste, des partis traditionnels, vienne à se renier sans même être au pouvoir, la trahison serait d’autant plus inacceptable, n’est-ce pas ?

C’est en partie ce que révèle la presque-candidature d’Eric Zemmour : Marine Le Pen, par ses velléités de respectabilité, sa stratégie de dédiabolisation, est devenue mollassonne. On sait bien que la politique est avant tout, aujourd’hui du moins, une question d’image, de ressenti véhiculé par le candidat, personne ne lit les programmes. Il est donc temps d’énumérer les enjeux sur lesquels le FN s’est rétracté, à commencer par la première victime de sa modération : la souveraineté.

 

La ligne passée de Marine le Pen : un euroscepticisme franc et assumé

 

S’il est vrai qu’à l’origine Jean Marie Le Pen était favorable à la construction européenne, le traité de Maastricht et la fin de la Guerre froide vont provoquer un revirement dans le positionnement du FN. Mais c’est sous Marine Le Pen que l’euroscepticisme va être le plus franc et assumé.

En 2012, la position était claire : sortie de l’euro dont le bilan n’était « qu’explosion des prix, chômage, délocalisation, dette ». L’euro ne devait que devenir un moyen d’échange entre les membres de la communauté européenne et aurait existé parallèlement au franc comme monnaie nationale. Au delà de la considération un peu incongrue d’une monnaie neutre et d’une monnaie servant comme arme de politique économique, c’est essentiellement la manière dont les représentants de l’ancien front national promouvaient la chose qui était déconcertante : l’argumentaire était purement incantatoire, évasif. Ainsi, on trouvait comme justification programmatique « ce dispositif, proposé par référendum aux Français, permettrait de réoxygéner notre économie et de retrouver la voie de la prospérité ». Soit, mais après le visionnage de nombreux entretiens des cadres du FN de l’époque, le pourquoi n’est toujours pas explicité. Que le bilan de l’euro soit médiocre, on le croit volontiers, mais cela ne suffit pas à faire adhérer à un autre projet, l’enthousiasme ne naît pas par défaut. Si l’idée avait pu être intéressante, c’est bien l’incompétence des cadres frontistes qui est ici soulignée.

 

l’argumentaire était purement incantatoire, évasif.

 

La systématisation de cette stratégie est assez grossière. Le RN n’était alors que force de dénonciation. Il fallait dénoncer à tout prix. L’adhésion de la Turquie en est une marque supplémentaire. Plus personne ne croyait ou même ne souhaitait réellement que le pays d’Erdogan rejoigne l’UE, mais le RN en faisait tout de même un pan important de l’argumentaire général de dénonciation du projet européen.

 

Les balbutiements du RN en 2017

 

La ligne du FN sur la question européenne s’est progressivement nuancée et amollie. Les élections présidentielles de 2017 peuvent témoigner de ce phénomène. Le programme du Rassemblement National ne fait plus mention directe de la sortie de l’euro. On relève seulement “Retrouver notre liberté et la maîtrise de notre destin en restituant au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique)” qui ne dit pas grand chose sur les propositions effectives. Désormais, c’est le combat de l’Europe des nations contre l’Europe fédéraliste qui est central. L’accent est mis sur la capacité à renégocier les traités grâce à l’article 50. Vulgairement, il s’agit de mettre dans la balance son appartenance à l’UE pour pouvoir changer la structure juridique de l’UE. Cette affirmation d’une Europe qui doit changer pour respecter les souverainetés nationales est présente dans de très nombreux programmes des candidats de l’époque. C’est la capitalisation sur l’honnêteté, la radicalité et les désillusions qui alloue aux RN le luxe de pouvoir s’en tenir à la volonté politique comme moteur du changement en Europe. De fait, cela rompt avec le légalisme des eurosceptiques partisans de la sortie de l’ UE, arguant (à juste titre d’un point de vue formel) qu’il est impossible de faire changer le projet fédéraliste de l’intérieur.  

Encore une fois, l’argumentaire qui en découle n’est pas solide. Premièrement, la chef du parti d’opposition compte procéder par référendum, peu importe qu’elle ait réussi ou non son pari de renégociation (au bout de six mois seulement après son élection), pour décider de notre appartenance à l’UE. En effet, un changement si important doit passer par les urnes, mais faire valoir la volonté politique pour finalement ne prendre aucune décision définitive est un contresens. Deuxièmement, Marine Le Pen comptait sur l’appui d’autres nations réfractaires (souverainistes de tous pays unissez-vous !) : Salvini, Orban, Duda et même Kurtz par moment. Là encore, il fallait pleinement assumer le choix de la volonté politique et de la place de la France: il se trouve qu’il y a quelques états dont les positions sont nationalistes, mais dont les intérêts nationaux divergent complètement de ceux de la France : on doute que la Pologne voit du même oeil que la France la PAC.

En somme, c’est toujours le manque de clarté et de capacité qui fit défaut au RN, se contentant de surfer sur les vagues de défiance. 

 

Le pouvoir à tout prix !

 

Après le camouflet de l’entre deux tours, Florian Philippot est éjecté. Le programme souverainiste, déjà amoindri, voyait son plus grand défenseur au sein du parti faire cavalier seul pour fonder Les Patriotes. Plus rien n’empêchait le Rassemblement national de faire de l’euroscepticisme de façade. C’est lors des élections européennes de 2019 qu’on a pu voir la plus grande différence. 

La fille du menhir l’avait compris, elle ne faisait pas présidente ; elle devait travailler sa crédibilité. Cependant, et là est son erreur, gagner en crédibilité ne signifie en rien tout faire pour être respectable. Cela amène à tous les reniements. Jean Paul Garraud, éminent magistrat depuis bombardé futur ministre de la justice, et Thierry Mariani, l’homme qui a « presque failli » réussir à prendre la région Paca, débarquèrent des Républicains pour une bonne place aux européennes. L’image politique est positive : deux hommes intelligents et compétents rejoignent un parti inacceptable. Toutefois, les deux avaient voté oui à Lisbonne en 2008, entamant quelque peu la sincérité du combat de Marine Le Pen.

 

La succession de ces reniements finit nécessairement par donner un tout vidé de sa substance, en total décalage avec la radicalité initiale, et  convaincra l’électeur qu’il n’a même pas eu le temps de se sentir trahi pour être déçu.

 

Axel Roulliaux

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