La justice sociale est aussi une question d’ascenseur

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Le débat public a longtemps fait place à l’idée qu’une société juste permettrait à chacun d’atteindre, par ses mérites effectifs, sa juste place parmi ses pairs via l’« ascenseur social. » Et si le premier pas vers l’ascenseur social était un ascenseur qui fonctionne ? Comment cet équipement du quotidien peut-il être vecteur d’indignité et d’injustice ?

Noha Tefrit, ancienne téléconseillère, militante au Parti socialiste et à La Ligne populaire, a fondé l’association « Ascenseurs en colère. » Lutte au plus proche du terrain, éloignée des enjeux politiciens, les pannes d’ascenseurs constituent une injustice sociale. Nous lui avons posé quelques questions.


Gavroche : Qu’est-ce qu’« Ascenseurs en colère » ? Pourquoi les ascenseurs sont-ils un sujet pour vous ?

Noha Tefrit : Nous sommes un collectif de citoyens et de citoyennes, apolitiques et a-syndical, organisé en association, qui lutte contre les pannes d’ascenseurs. Nous sommes partis d’un constat que tout le monde peut faire : avec plus de 100 millions de trajets par jour, l’ascenseur est le moyen de transport le plus utilisé de France. Malgré cela, on dénombre plus d’1,5 million de pannes d’ascenseur par an, dont la moitié ont plus de 20 ans.

Au-delà du constat, ce sont ses conséquences qui nous ont poussé à créer Ascenseurs en Colère. Par exemple, il y a quelques semaines, une jeune femme enceinte est tombée dans les escaliers de sa résidence dont l’ascenseur était en panne depuis des mois. Et ce n’est pas un cas isolé, nous avons des dizaines d’exemples comme celui-là.

Pourtant, les pouvoirs publics ont déserté le sujet. Il fallait qu’on s’engage pour redonner de la dignité aux victimes de ces pannes et pour garantir leur droit élémentaire d’aller et de venir.

Pourquoi les pannes d’ascenseur semblent si nombreuses ?

Évidemment il n’y a pas qu’une seule réponse : c’est un ensemble de facteurs qui explique le nombre de pannes, et surtout le temps d’intervention qui est en moyenne de 4 jours, mais qui, dans certains cas, prend des mois, voire des années.

Il y a en premier lieu la vétusté : sur les 637 000 ascenseurs en service, la moitié a plus de 25 ans et un quart plus de 40 ans, pour une durée de vie estimée entre 20 et 40 ans. Plus un ascenseur est vieux, plus les pannes sont fréquentes. Cela représente environ 40 % des cas de pannes.

Dans un second temps, il y a les stratégies d’inventaire à stock zéro des ascensoristes. Pour des raisons de rentabilité, les ascensoristes ne disposent pas de stocks de pièces de rechange. Rajoutez à cela une faible production nationale des pièces de rechange, le temps d’acheminement de celles produites à l’étranger et le manque de techniciens (parfois 1 pour 180 cabines) et vous avez un cocktail explosif entrainant des délais d’intervention très (trop) long.

Le plus scandaleux dans tout ça, c’est que les locataires paient des charges tous les mois pour ce service. Il ne viendrait à personne l’idée de faire payer un service essentiel sans garantir son bon fonctionnement en continu, comme c’est le cas pour l’eau courante ou pour les pharmacies, qui ont des obligations en termes de stocks de médicaments. Alors pourquoi accepter cela concernant les ascenseurs ?

Dans certains cas, [le temps d’intervention] prend des mois, voire des années.

Ce problème n’est-il pas un symptôme d’une situation plus grave encore pour nos compatriotes ?

Le constat est sans appel, notre population vieillit. Trois Français sur dix auront plus de 60 ans en 2035, et 77% d’entre eux privilégient le maintien à domicile au moment de la retraite. Outre les efforts que nous devrons faire pour adapter les domiciles aux besoins des personnes âgées (barres d’appui, des douches de plain-pied, des sols antidérapants…) nous ne pouvons négliger la problématique des pannes d’ascenseurs.

France Bleu a récemment réalisé un reportage dans mon immeuble. On y voit un monsieur, âgé désormais obligé de monter ses courses à pied car l’ascenseur est en panne depuis des mois. Un autre membre de l’association, dont l’ascenseur est en panne régulièrement, a dû aider sa voisine du dessus à monter les escaliers et m’a confié ne pas savoir comment elle pourrait y arriver sans aide. Je vous laisse imaginer dans quelles conditions sont amenés à intervenir les ambulanciers et les pompiers dans ces cas-là.

Des milliers de locataires, notamment les personnes âgées, à mobilité réduite, ou les jeunes parents sont touchés. Ils nous disent, je cite, se sentir « enfermés » chez eux. Je ne sais pas si on arrive à se rendre compte, être « enfermés » chez soi. Tout en étant attentatoire à la liberté d’aller et venir, c’est surtout leur dignité qui est en jeu. Si nous n’agissons pas maintenant, ces situations vont se multiplier à l’avenir, et son lot de drames humains suivra.

Tout en étant attentatoire à la liberté d’aller et venir, c’est surtout leur dignité qui est en jeu.

Que faut-il faire, contre ces ascenseurs en panne chronique, mais aussi contre la précarité sociale et infrastructurelle révélée par cette question ?

Nous avons écrit une lettre ouverte au Premier ministre, disponible sur notre site ascenseursencolere.fr. Nous y détaillons trois propositions que porterons concrètement auprès des pouvoirs publics :
• Imposer aux ascensoristes une obligation de stock de pièces pour limiter les délais d’attente de réparations comme c’est le cas pour les médicaments.
• Exiger une obligation de délai d’intervention pour les syndicats de copropriétaires et bailleurs sociaux.
• Enfin, prévoir que des mesures de substitution soient prescrites lorsqu’un ascenseur est immobilisé plus de 24 heures. Nous pensons par exemple à des contrats jeunes vacataires pour aider au portage des courses et aider les personnes à descendre ou monter les escaliers.

Sans brûler les étapes, nous pensons qu’il est temps de mettre en lumières ces problématiques longtemps ignorées. On espère que cette initiative en créera d’autres autours de tous les sujets du quotidiens oubliés mais pourtant essentiels à la vie de tous les jours, qui touchent au quotidien des classes populaires et des plus vulnérables, les grands oubliés de notre pays.

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