Les Zacros d’ma Rue, un quart de siècle théâtral

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Le début de l’été, loin d’être uniquement teinté de canicule, est aussi la période la plus profuse en évènements culturels. C’est durant le début du mois de juillet qu’a lieu chaque été les Zacros d’ma Rue, festival de théâtre de rue basé dans la ville de Nevers, au bord de Loire bourguignon. Dans un contexte budgétaire national tendu, où la culture paie un prix douloureux, comment s’est déroulé cette 25e édition du festival ?


Un festival ancré dans les territoires

Le festival des Zacros, localisé à Nevers, s’étend aussi à d’autres communes voisines (Marzy, Coulanges) afin de rendre la culture plus accessible au périurbain, dans un but de cohérence territoriale, et le tout… gratuitement.

Martine Deru, présidente du conseil d’administration d’Alarue, l’association qui organise le festival, détaille : « L’objectif est de  s’approprier des nouveaux lieux de la ville, de proposer des nouveautés comme les spectacles pour la petite enfance. ». Avec 42 compagnies cette année, les projets sont foisonnants et laissent espérer une continuation du festival, qui est réputé : « Notre but est d’avoir des gens de partout, des concerts diversifiés, et des compagnies sélectionnées, ça y fait beaucoup sur l’adhésion du public. Parmi ces compagnies, la plupart sont professionnelles, et d’autres amateures à qui on donne une chance, payées « au chapeau », […] certaines vont se représenter à d’autres festivals (Nîmes, Aurillac…). » La promotion « des arts de la rue qui interrogent et questionnent », c’est une mission pour elle et son équipe, qui, aujourd’hui, malgré les pressions faites sur le secteur culturel, en particulier dans d’autres régions, restent soutenues par les institutions.

Le cœur du festival, comportant aussi une scène musicale, est sur la place du Palais ducal, monument historique majeur dans le Nivernais.

Bien que le festival nivernais n’ait de prime abord fait face à aucune embûche sur le plan organisationnel et financier, beaucoup d’autres festivals et structures culturelles de natures diverses subissent les effets de la crise budgétaire, le gouvernement Bayrou ayant mis l’accent sur une « cure » de pratiquement tous les budgets du pays, sous couvert de hausse des tensions internationales et de guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, au-delà des enjeux financiers récurrents.

L’objectif est de  s’approprier des nouveaux lieux de la ville, de proposer des nouveautés comme les spectacles pour la petite enfance.

Le cas le plus concret est celui des Pays de la Loire, région ayant subi la plus forte coupure budgétaire dans les actions culturelles des collectivités territoriales et régionales par le ministère de la Culture. À l’issue de cela, des postes ont été fermés, pénalisant le fonctionnement des structures. Ces décisions peuvent aussi concerner les autres régions, étant donné que selon une enquête d’avril du Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) mentionnée par l’Observatoire des Politiques Culturelles, la « quasi-totalité » des régions sont concernées par ces baisses.

Une diversité de projets artistiques (et) engagés

Vendredi est le premier des trois jours de programmation artistique concentrée sur le centre-ville de Nevers. La soirée a commencé avec Barrage Barrage, de la compagnie Projet D. Spectacle de marionnettes, il se voulait « poétique et musical », en comparant notre monde et ses crises avec la vie de poissons d’un lac. « Comment ne pas asséner des évidences ? Comment ignorer le génocide en Palestine ? Comment vivrons-nous en l’an 2044 ? » Dans cette dénonciation des effets du capitalisme sur la planète, des scènes reproduisent des conflits issus de la réalité : par exemple, avec l’interview d’un patron d’une entreprise pétrolière à propos des effets de la production de celle-ci sur la biodiversité, mais aussi sur le dumping social. De cette manière, les marionnettistes alertent à leur manière sur « l’effondrement écologique », les conflits générationnels et les problématiques de l’eau.

Le lendemain se produisait dans l’après-midi 60 ans d’écoute, de la compagnie L’escarpée. Composée de deux actrices, le message se veut affirmé et engagé autour de l’histoire du Planning familial, à l’aide de témoignages oraux racontés à travers une radio. Elles y présentent les luttes historiques de défense de l’institut, l’accès à l’avortement, la lutte contre le patriarcat, contre les clichés de genre et des relations homosexuelles. Dans leur engagement théâtralisé, les actrices expliquaient, dans un style d’éducation populaire, les principes de contraception, de consentement, de la précarité chez les femmes victimes de violences conjugales, et de la nécessité d’interventions, aujourd’hui insuffisantes, dans les établissements scolaires. Dans cette « émission » menée pour la cause des femmes et pour l’égalité entre tous les citoyens, d’autres causes issues du courant intersectionnel de la gauche contemporaine ont pu par ailleurs être abordés, comme la sexualité des femmes voilées, la place des TDS (travailleuses du sexe), les hommes enceints, etc.

Des acteurs jouant à l’ombre dans un parc du centre historique.

Dans ces prestations théâtrales marquées par l’engagement dans les luttes sociales et sociétales du moment, se trouve aussi incorporées des références féériques, avec un esprit de détournement. C’est le cas de Louis Morales, La Biographie techno de la Princesse SiSi, qui, par l’utilisation d’un langage outrancier et d’une gestuelle grotesque, ambitionne de sensibiliser aux problématiques de la dérive droitière de la politique française, de la montée des mesures liberticides, de la surveillance de masse moderne et de la pression sociale imputée à tous les adultes de notre société aux accents bureaucratiques. Ce cocktail clownesque s’amalgame d’un univers onirique et absurde, pouvant même rappeler parfois des répliques et sons audibles dans les albums du groupe de musique Stupeflip.

Le festival de Nevers, qui rayonne nationalement, n’est pas à proprement parler franco-français. Il a pu et peut faire participer en son sein des compagnies étrangères, comme Homme(s) intègre(s), de Pocket Théâtre. L’homme qui prend la parole, dans une posture de conteur, narre sa vie : son enfance, ses souvenirs avec sa famille, sa vie dans le village, la manière dont il a été éduqué, et comment il s’est retrouvé en France depuis le Burkina Faso. Passé par de nombreux métiers (peintre, professeur, gardien de nuit, marchand de poissons…), il partage un message d’amour pour sa famille et ceux qui ont compté sur lui. Le conteur rappelle, grâce à son « écriture automatique » et son expérience personnelle, que les liens familiaux sont importants, et en particulier ceux avec nos parents, qui nous suivent en principe tout au long de notre vie.

De Nevers au Burkina, le conte se partage à tous.

Dans ces prestations théâtrales marquées par l’engagement dans les luttes sociales et sociétales du moment, se trouve aussi incorporées des références féériques, avec un esprit de détournement.

Des bénévoles à toutes épreuves

C’est le cas de Sarah, bénévole neversoise multi-casquettes aidant à la buvette, à l’encadrement de spectacles et au catering (le service de restauration pour les artistes, bénévoles et salariés du festival).

Ainsi, selon elle, « on peut être bénévole en fonction de nos disponibilités, ça peut être pour la fabrication de décos en juin, ou le reste de la semaine précédant le week-end en disposant le matériel. C’est en fonction de ce que l’on souhaite faire et de nos disponibilités. »

Face aux nombreuses missions demandées, il est nécessaire pour le festival des Zacros d’ma Rue de proposer un cadre agréable pour les bénévoles. Ainsi, chacun peut choisir, dans la mesure du possible, où il souhaite prendre part au déroulement des spectacles de rue. Il faut préciser aussi que sans cette aide volontaire et non rémunérée, ce festival et tous ceux existant ne sauraient fonctionner correctement, ce qui rend la place de la culture et des spectacles vivants dans notre pays d’autant plus importante et fondamentale. Le bénévolat n’est pas non plus une charge, puisque  « on encadre les spectacles, même si parfois on n’en profite pas à 100%, il faut rester vigilant pour la sécurité et les besoins de tous ».

Sans [le bénévolat], ce festival et tous ceux existant ne sauraient fonctionner correctement.

A l’instar de 2019, où le festival célébra ses vingt ans sous un thème multicolore et explosif rappelant les traditions indiennes, il n’y eut pas d’évènements festifs majeurs pour l’ouverture de cette année. Ce qui peut surprendre, même si plusieurs hypothèses sont envisageables. Un choix de la direction artistique ? Cela est possible, et rien ne nous laisse présupposer que les subventions resteront l’année prochaine.

Mais dans tous les cas, les enjeux financiers autour de la préservation des évènements culturels sont vifs, alors que le gouvernement a acté une coupe budgétaire dans les fonds alloués au Ministère de la Culture. Les volontés de réductions des subventions d’acteurs locaux aux Pays de la Loire pourrait très bien s’étendre à d’autres régions, dont la Bourgogne-Franche-Comté, ce qui donnerait une occasion supplémentaire à la plupart des compagnies d’intensifier leurs engagements et leurs combats pour des causes variées, et notamment pour une défense de la culture, de l’éducation populaire et de la création théâtrale. Castigat ridendo mores.

 

Elie Guetchrian

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