La censure moderne et les réseaux sociaux

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Ce 10 juillet, le commissaire européen Thierry Breton a annoncé sur FranceInfo que les « contenus qui appellent à la révolte » devront être supprimés à partir du 25 août en vertu d’une loi européenne. Quant à lui, Emmanuel Macron suggère de bloquer les réseaux sociaux pendant les émeutes. Ces décisions et propositions ont pour but de restreindre la liberté d’expression sur Internet.


Le 4 juillet, Emmanuel Macron réunissait 200 maires de communes françaises au sujet des émeutes récentes. Il y a évoqué l’idée de restreindre l’accès aux réseaux sociaux en cas de nouvelles émeutes, cas qui n’est pas prévu par le droit français, et qui s’inspire directement des dictatures modernes. La Chine bloque Twitter et Facebook depuis 2009 et restreint l’algorithme de son application TikTok pour que le contenu y soit différent dans son pays. La Turquie avait bloqué en partie l’accès à Twitter pendant les séismes afin de cacher aux Turcs sa politique de  gestion de la crise. La Russie interdit Facebook et Instagram pour « extrêmisme ».

Ces pays qui bloquent les réseaux sociaux. Depuis Statista d’après les données de Surfshark

Déjà en 2020, LREM avait tenté de renforcer le contrôle des réseaux sociaux avec la loi Avia – du nom de la députée Laetitia Avia – qui proposait d’obliger les opérateurs de plateforme en ligne et les moteurs de recherche à retirer dans un délai de 24 heures, après signalement, les contenus incitant à la haine et les injures à caractère raciste ou anti-religieuses. Heureusement, le Conseil constitutionnel a censuré l’essentiel de cette proposition de loi en soulignant le risque que les opérateurs soient incités à retirer tous les contenus contestés pour éviter les sanctions, y compris ceux qui sont licites, ce qui porterait atteinte à la liberté d’expression.

LES RÉSEAUX SOCIAUX, VECTEURS DE LA VIOLENCE ?

Ces derniers jours, pendant les émeutes, on a pu observer une prolifération de vidéos des émeutiers sur Snapchat, partagées en masse sur Twitter. L’argument du gouvernement pour restreindre les réseaux sociaux est que ces contenus sont trop violents et qu’ils incitent à la violence. 

Interdire ces contenus ou les appels à la révolte porte une atteinte grave à la liberté d’expression. Dans l’idée émise par Emmanuel Macron, les réseaux sociaux seraient coupés, ou du moins fortement restreints, pendant les mouvements d’émeutes. Une interdiction comme celle-là est aussi un risque que l’on voit des messages s’opposant au pouvoir en place être supprimés des plateformes.

En mars dernier, pendant la période des manifestations contre la réforme des retraites, une femme avait été interpellée à son domicile puis placée en garde-à-vue après avoir publié sur son Facebook : « L’ordure va parler demain à 13h », à la veille d’un discours d’Emmanuel Macron. Ce dernier n’ayant pas porté plainte contre elle, son procès a été annulé. Une victoire pour cette gilet-jaune mais un événement qui reflète la volonté du gouvernement et de ses sympathisants – elle avait été dénoncée par le sous-préfet Guillaume Thirard – d’interdire tout contenu à l’encontre du pouvoir. On fait face aujourd’hui à un gouvernement qui a peur de son peuple, et qui n’a que l’idée de censurer pour réussir à contrôler.

L’UNION EUROPÉENNE VEUT CONTRÔLER INTERNET

Contenu « violent » sur Internet : « Tout cela ne sera plus possible à partir du 25 août », explique Thierry Breton, commissaire européen dans un entretien sur Franceinfo, date à laquelle une loi européenne sera appliquée. Ce sont ses mots : « Lorsqu’il y aura des contenus haineux, des contenus qui appellent par exemple à la révolte, qui appellent également à tuer ou à brûler des voitures, elles auront l’obligation dans l’instant de les effacer. Si elles ne le font pas, elles seront immédiatement sanctionnées ». Il assure que « si les plateformes n’agissent pas immédiatement », on pourra « interdire l’exploitation sur notre territoire » et que « les interventions vont être extrêmement rapides », c’est-à-dire couper les réseaux sociaux s’ils ne suppriment pas les contenus jugés « violents ».

Si les plateformes n’agissent pas immédiatement […] on pourra [leur] interdire l’exploitation sur notre territoire

Cette déclaration interroge. Supprimer les contenus qui appellent à la révolte ? Quelles pourraient être les interprétations des messages face à une telle restriction ? Qu’est-ce qui pourrait différencier un appel à la révolte d’un appel à la manifestation ou d’une critique contre le gouvernement ? N’a-t-on plus le droit de remettre en question le pouvoir en place ? Les réseaux sociaux risquent de supprimer des contenus sans raison légitime pour éviter les sanctions, et ce serait le début de la censure généralisée. L’Union européenne a décidé de laisser les entreprises privées gérer la suppression de contenu d’elles-mêmes, sans qu’aucun contrôle ne soit fait pour éviter les abus. L’arbitraire du privé prend pas sur le débat politique et la justice.

A noter aussi que cette loi européenne se rapproche très fortement de la proposition de loi Avia de 2020 ! Pourtant, elle sera promulguée dans un mois, sans qu’elle ne soit revue par le Conseil constitutionnel car le droit de l’Union européenne prime sur le droit national, y compris les dispositions constitutionnelles. Les Sages ne nous protègent plus lorsque l’UE prend des décisions applicables à la France.

COMMENT LES BLOCAGES INTERNET FONCTIONNENT-ILS ?

Pour bloquer un site, un réseau social, un Etat va obliger les FAI (Fournisseur d’accès à Internet tels que Free, Orange, SFR…) à bloquer les requêtes de certains sites web. Lorsqu’on se connecte à un site web, on passe par un DNS (Direct Name Server) : il associe un nom de domaine avec une adresse IP. Par exemple, twitter.com redirige vers le serveur Twitter à l’IP 104.244.42.1. Une IP c’est comme une adresse postale mais sur Internet, un DNS c’est comme un annuaire de sites web finalement. Ce DNS, c’est celui de notre FAI (Fournisseur d’accès à Internet).

Schéma d’accès au site web de Twitter

C’est donc les DNS des FAI qui nous permettent ou non d’accéder à un site web. Dans un régime totalitaire, les FAI sont contraints de bloquer certains sites web (tels que des réseaux sociaux, des médias d’information…).

Schéma d’accès au site web de Twitter, dans le cas d’un blocage DNS

Heureusement, il est possible de passer par un DNS différent de celui de notre FAI. Il suffit de changer son DNS dans les paramètres de son appareil. Nous ne manquerons pas de vous faire un tutoriel si un blocage des réseaux sociaux pouvait avoir lieu en France.

DÉFENDRE INTERNET POUR DÉFENDRE LA LIBERTÉ

L’ère du numérique ouvre un espace de débat immense qui vient enfin libérer la parole ! Souvent, les premiers pas de la politisation se font sur les réseaux sociaux. Cela peut être aussi là, où en tant que jeune, ou dépolitisé, on trouve son courant politique, ses organisations et ses camarades. Alors, Internet devient un espace de lutte politique. D’après un rapport de l’institut Montaigne sur la jeunesse (18-24 ans), 55 % des jeunes femmes, et 41 % des jeunes hommes se disent « tout à fait » prêts à utiliser les réseaux sociaux pour défendre leurs idées. Les bloquer – ou supprimer des publications – c’est porter une atteinte grave à la liberté d’expression, et c’est progressivement faire disparaître d’Internet toute opposition. Les réseaux sociaux jouent pourtant un rôle primordial dans nos engagements politiques et dans la médiatisation de la vie politique.

Les réseaux sociaux, c’est surtout là où on se renseigne sur l’actualité politique, loin des journeaux (télévisés) traditionnels – l’émergence ces dernières années des médias comme Brut. ou Loopsider en sont la preuve. C’est notamment le cas pour les jeunes les moins politisés. Eloignés de la télévision, nombre de jeunes ne s’intéresseraient ni de près ni de loin à la politique sans les réseaux sociaux. Et une démocratie est en danger lorsque son peuple ignore tout de son système et ne vote pas. Les réseaux sociaux sont un espace d’influence qui se doit d’être libre pour défendre la pluralité des idées, et donc la démocratie. Sinon, cet espace devient une dictature de la pensée unique où chaque tweet protestataire est supprimé, ne laissant aucune place à la critique du pouvoir.

Qu’est-ce qu’Internet s’il n’est pas libre ?


Quand des émissions comme que C’est encore nous disparaissent du paysage médiatique, avoir la possibilité de s’exprimer librement devient primordiale dans le paysage politique. Si la liberté d’expression doit être défendue pour les journaux et médias, il est très important, à l’ère du numérique, de défendre la liberté d’expression sur Internet et de lutter contre les restrictions réseaux. Internet est un espace d’échange, de partage et d’expression qui se doit de rester libre pour sauvgarder son essence même.

Antonin Hérault

L’image d’illustration a été créée spécialement pour cet article, mais est fortement inspirée de celle d’un article de Cadre Averti.

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1 réponse à “La censure moderne et les réseaux sociaux”

  1. Jérôme O. says:

    Le politiquement correct (« le fascisme déguisé en bonnes manières » George Carlin) est la pire des censures. A partir du moment où des faits historiques, des thèmes majeurs et MEME DES MOTS décrivant la réalité sont tabous il n’existe aucune véritable liberté d’informer ou d’expression. Heureusement internet permet de freiner un peu cette logique totalitaire et de donner accès à des informations (sur tous les sujets, sans exception) exclus des médias mainstrem. Et à la prise de parole sous certaines contraintes cpdt. Or depuis la campagne de 2022, Macron et ses ministres n’ont cessé d’exercer des pressions sur les médias un peu récalcitrants. Cela concerne même les courriers de lecteurs qui ont alors cessé de publier des contenus « polémiques » ou / et hostiles a Macron (moi-même j’avais pu faire publier des dizaines de courriers avant cette époque…et depuis censure quasi systématique). Le but presque avoué du gvt est de détruire toute liberté d’expression publique hors réseaux sociaux. Mais ceux-ci sont bien sûr également dans son collimateur. Il lance donc des ballons d’essai (comme la loi Avia, soi-disant pour combattre la haine) et tâte le terrain mais son objectif est parfaitement clair. Si la liberté d’expression disparaît à son tour des réseaux sociaux, la France et les autres pays européens deviendront vite comme la Chine…voire la Corée du Nord.

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