Émeutes : de la révolution à Louis Vuitton

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Les obsèques de Nahel, adolescent de 17 ans abattu d’une balle par un policier alors qu’il conduisait sans permis, ont eu lieu ce samedi 1er juillet. Le soir-même, une foule s’est rassemblée sur les Champs-Élysées, occupés par des centaines de policiers. Nos reporters étaient sur place.


« Où sont les Blancs ? »

Des émeutes nocturnes explosent partout en France depuis quatre nuits. Les participants sont très jeunes : à vue de nez, une grande partie de la foule a entre 15 et 20 ans. La majorité des émeutiers interrogés sont originaires de communes de banlieue parisienne, et certains d’arrondissements parisiens populaires tels que le 18e, 19e et 20e.

« Y’a que des Noirs et des Arabes, où sont les Blancs ? » se lamente une snapchateuse voilée, en filmant. Ce commentaire illustre la dimension ethno-identitaire du vécu des manifestants, qui mène vers un « eux contre nous » et laisse peu de place à une critique marxienne du pouvoir. Il faut avouer que les grandes absentes de ce soir sont les organisations politiques de gauche. Si elles déplorent le décès de Nahel dans leurs communiqués, ni la France Insoumise, ni le PCF, ni la CGT n’ont jugé bon de faire le déplacement.

C’est arrivé près de chez toi

Dans toutes les grandes villes, ce sont des services publics qui ont été brûlés. Écoles, bureaux de poste, bibliothèques municipales… la macronie doit être contente, ça leur fera ça de moins à privatiser. On dénombre des agressions gratuites contre des passants, et des rackets à l’encontre de journalistes. Les mouvements émeutiers laissent place au vandalisme, des commerces sont pillés chaque soir. À une heure du matin, la foule envahit la route sur les Champs-Élysées en criant « LOUIS VUITTON ! » et se dirige vers l’avenue George V. Elle est rapidement stoppée par les brigades de police. La révolution semble si lointaine

Gendarme mobilisé sur les Champs Élysées le 1er juillet 2023. Crédits photo : Laurine Varnier / Gavroche
Gendarme mobilisé sur les Champs-Élysées le 1ᵉʳ juillet 2023. Crédits photo : Poppy / Gavroche

Parmi le tumulte, certains manifestants ne cautionnent pas les débordements violents. Awa*, habitante du 17e arrondissement, s’en désole : « Ça fait que de dégrader des choses, et je ne pense pas que ça rende justice. Ça empire la situation. » Ces violences risquent de rendre le mouvement inaudible, d’autant plus qu’il n’a aucun porte-parole ni structure informelle pour porter des revendications clairement définies. « Justice pour Nahel », unique slogan crié occasionnellement par la foule, résonne comme un vœu pieux.

Un apaisement impossible ?

Ce soir, les forces de l’ordre usent de leurs stratégies habituelles : épuiser les manifestants en les faisant courir dans un sens puis dans l’autre, et envoyer du gaz lacrymogène pour séparer la foule. Les émeutiers, peu expérimentés pour la plupart, prennent facilement peur dès que les brigades se déplacent, même en marchant.

Des BRAV-M très présents sur les Champs-Élysées le 1ᵉʳ juillet 2023. Crédits photo : Poppy / Gavroche

Une bande se balade en Vélib pour fuir plus rapidement les gaz et les charges. Parmi eux, Nordine*, qui s’inquiète de l’évolution des pratiques de maintien de l’ordre. « Quand tu regardes les communiqués d’Alliance, tu vois ce que certains ont envie de faire car… » Alors qu’une brigade de policiers arrive en courant, il s’empresse de conclure : « Bon, on démarre ! En fait c’est juste des fachos ! » À la fin de la charge, un des policiers menace un piéton avec son LBD à bout portant.

Le dernier communiqué d’Alliance et d’Unsa-Police, aux tonalités militaires, semble avoir mis de l’huile sur le feu, alors que les relations entre les forces de l’ordre et la jeunesse « anomisée » des quartiers sont déjà compliquées. Le syndicat France Police a quant à lui fait un tweet plus radical, félicitant le policier ayant tué Nahel. Le compte Twitter a été suspendu, et une enquête est ouverte pour apologie de la violence. Les locaux de France Police, à 500 mètres du magasin Louis Vuitton, n’ont pas été touchés par les émeutiers. Ces locaux manquent-ils de vêtements de luxe ?


T. L. et Poppy

* Les prénoms des personnes citées ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.

 

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2 réponses à “Émeutes : de la révolution à Louis Vuitton”

  1. Kinski says:

    Des violences émaillées de slogans et discours racistes (et antisémites) un défoulement de haine et de violence porte par des membres ou sympathisants du PIR (mouvance d’ultra extrême droite raciste et antisémite). Le même scénario qu’aux USA avec BLM. Ces manifestations fascistes sont rendues possibles par le déni de ceux qui n’osent pas nommer les choses par leur nom. Et se rendent ainsi complices de ce déchaînement de haine

  2. palouf says:

    Pour ma part, je ne pense pas qu’il soit possible de voir une réelle perspective révolutionnaire dans ces émeutes, car oui à mon avis cela n’est rien d’autre que cela.

    Même en admettant que ces personnes souhaites la justice pour Nahel, que doit on entendre par là, une enquête et un jugement d’une exemplarité à la hauteur de celle qui doit être attendue d’un représentant de la loi, si le geste était effectivement en dehors des possibilités de recours à la force, a fortiori la force létale; si tel est le cas, à quoi servent ces émeutes, le policier est déjà en détention provisoire, et l’enquête ce poursuit.
    Si encore, il y avait eu une relaxe après une enquête bâclée, la colère serait compréhensible, mais nous en sommes même pas encore là.

    Si encore seuls les symboles de la bourgeoisie était ciblés, mais ce n’est pas le cas, les principales victimes sont, en dépit de quelques boutiques de luxe pillées, les lieux de vie et de travail, ainsi que les services publics des prolétaires.

    Je vais maintenant faire une chose qui me répugne du fond de mon âme m’exprimer non pas en qualité de citoyen, mais en tant que ce que cette gauche qui n’a eu de cesse depuis que je suis en age de comprendre la politique de me décevoir, appelle un « racisé », et de plus un « racisé » vivant dans ce que les parisiens appellent le « rural profond » ( pour vous donner une idée, si ma famille était plutôt à l’aise, celle de mon meilleurs n’avait pas l’eau courante, et le moindre service publique est à plusieurs dizaines de km en voiture.

    J’en ai marre de cette amalgame insultant et grotesque fait par une certaine gauche entre les gens comme moi (sur la seule base de ma couleur de peau sans tenir compte de ma situation matérielle), et le lumpen des quartiers dit « sensible », car aussi choquant que cela puisse paraitre cet amalgame a, dans mon expérience de vie, comme dans que j’ai pu lire dans les médias, toujours été fait par une certaine « gauche », cette gauche qui du fait de ma couleur de peau me traite avec une sorte de délicatesse condescendante, et m’a plus d’une foi présenté à ces potes comme une sorte de rosette progressiste, quand j’ai fait plus de 100 km depuis chez moi pour aller faire des études.

    Je vais être franc, je n’éprouve aucune solidarité avec les émeutiers et je refuse de m’en voir assigné une.

    Il m’apparait de plus en plus que, les gens que j’appellerais la petite bourgeoisie intellectuelle, ne voit dans les personnes comme moi qu’une masse indistincte et dépourvu d’autonomie à l’échelon individuelle.

    Alors je vais être clair, dans ma famille les opinions politiques vont globalement du NPA à Zemmour, et cela ne nous empêche ni de nous aimer, ni d’en discuter.

    Nous n’allons pas par une sorte d’esprit de la ruche nous sentir visé à chaque fois qu’une personne de la même pigmentation que nous va se faire contrôler.

    Non ces émeutes ne vont rien changer, du moins rien en bien.
    Si elles ce calme d’elles mêmes, elles auront apporté l’ éclatante démonstration que les gens comme moi sont des sauvages, car le narratif construit par une certaine gauche, qui nous fantasme comme un vivier révolutionnaire, nous met de ce fait tous dans le même panier, (ce que soit dit en passant même les encartés au RN de mon village n’ont jamais fait).

    Soit elles serviront de marche pied vers un régime de plus en plus autoritaire, qui se durcira à chaque épisode d’émeutes car les causes réelles, les causes matérielles qui pourrissent la vie de 99% de la population n’auront pas été abordées, camouflées par la nécessité malheureusement tous aussi réelle du retour à l’ordre.

    De même, la haine du flic.

    Je passe, du fait de mon activité professionnelle, une portion significative de mon temps avec eux.

    je peux témoigner que je n’ai jamais subis de racisme de leur part sur une vingtaine de commissariats et gendarmeries, au contraire, ils m’ont toujours bien accueillis et m’ont offert spontanément de quoi manger et boire chaud quand je devais faire avec eux des gardes de nuit à 3 heures du matin.

    Même avec les délinquants, je peux témoigner de leur effort pour rester polis avec un certain nombre de ce qu’on ne peut appeler que des « petits c…, et de leur effort pour éviter aux susmentionnés de gâcher leurs vies en présentant les faits de manière favorable au procureur, pour que la procédure soit la moins sèvre possible.

    Ils sont en sous effectif, ce qui prolonge les GAV de plusieurs heures, voire plus, car il faut souvent attendre qu’une patrouille revienne pour avoir assez de personnel pour procéder aux auditions, sans parler du retour procureur, qui en sous effectif également, ne peut traiter rapidement les demandes des OPJ.

    La justice Française et de plus loin d’être sévère, certaines des personnes que je devais aider avaient plus de quarante mentions de violence à leur casier (à 22 ans), certaine avait même commencé au collège avec des infractions de nature criminelle, et étaient libres comme le vent.

    J’ai, je pense suffisamment abusé de votre temps, et avec beaucoup de confusion, j’en ai peur.

    Peut-être car ces jours-ci ont a beaucoup abusé du bien en me demandant mon avis sur les émeutes, ce que pourtant on ne fait que rarement sur d’autres sujets.

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