De Bolloré à France Inter, la censure banalisée

Début mai, les auditeurs de France Inter ont eu la surprise d’apprendre la suppression de C’est encore nous, l’une des émissions phares de la radio unique en son genre pour sa liberté de ton et son impertinence.
Fin de la redevance, fin de l’indépendance ?
Chaque jour, les auditeurs peuvent écouter les chroniques de Guillaume Meurice, de Juliette Arnaud et d’Alex Vizorek et d’autres chroniqueurs, tout cela orchestré par l’humoriste Charline Vanhoenacker, la présentatrice de l’émission. L’émission est l’une des plus écoutées du service public avec 1,9 millions de fidèles quotidiens, mais visiblement, cela n’a pas convenu à la direction de la radio. C’est encore nous ! représente un symbole, celui d’un humour engagé et impertinent, rendant cette émission unique en son genre. Cette suppression décidée dans le dos des humoristes de transformer la quotidienne de C’est encore nous ! par une émission hebdomadaire deux heures le dimanche n’est pas anodine et peut être associée à une forme de censure. Depuis la suppression de la redevance audiovisuelle en août 2022, les médias du service public sont obligés de négocier chaque année leur budget dont l’État est l’unique source de financement. Or, on ne crache pas dans la main de celui qui vous nourrit. C’est encore nous !, un des derniers bastions de gauche du service public dérangerait-il la macronie ? Qu’on apprécie ou non l’humour de cette émission, on ne peut que s’interroger sur les motivations profondes de cette suppression. Pourquoi supprimer une émission qui marche et à laquelle un certain nombre d’auditeurs, tout âge confondu, sont attachés ? L’année dernière déjà, la chronique de 7h57 de Charline Vanhoenacker lui avait été retirée, remplacée par celle de l’humoriste Mathieu Noël, ancien d’Europe 1.
L’humour politique dérange. La suppression de l’émission C’est encore nous ! n’est donc pas un fait inédit dans la longue histoire de l’humour politique. Ainsi, sur la même radio, l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré avait fait le choix de quitter l’émission La Bande Originale, lorsqu’au moment de l’entre deux tours de l’élection présidentielle de 2017, il avait encouragé l’abstentionnisme. Plus récemment, il a claqué la porte de l’émission C l’hebdo sur France 5, après qu’on lui ait demandé d’enlever quelques éléments sur sa chronique acerbe consacrée à Cyril Hanouna.
Des milliardaires trop puissants
Les médias privés ne sont pas en reste : en 2018, l’émission culte Les Guignols de l’info s’était vu supprimer sous prétexte d’une baisse d’audience. Depuis 2015 et la main mise de la ligne éditoriale par le milliardaire Vincent Bolloré, l’émission s’était éloignée de la politique et subissant également de nouveaux horaires et une diminution de son budget. Toujours sur Canal+, Sébastien Thoen, l’animateur du Journal du Hard, s’est vu évincé de Canal+ pour avoir participé en 2020 à un sketch parodiant L’heure des pros, une émission de débat sur CNEWS, chaîne dont est également propriétaire Vincent Bolloré.
Bien que cela ne fasse pas les gros titres, ces affaires ne sont pas exceptionnelles et plusieurs humoristes se sont vu censurer. Il arrive que ces derniers ne soient pas virés d’un coup, mais qu’on leur réduise leur temps d’antenne ou qu’on décale l’émission à un moment ou d’audience est moindre.
On ne peut plus rien dire ?
L’humour politique est un genre à part auquel les français sont attachés. Sans langue de bois, il ne fait pas dans la dentelle et ironise sur ce monde grâce à un véritable travail littéraire. L’humoriste cherche à parler de l’actualité sous un ton décalé en se construisant son propre style. Pilier de la liberté d’expression, il se pourvoit du droit de se moquer des grands et de celles et ceux qui occupent le pouvoir. Dans une interview donnée à Blast, l’humoriste Edgar Yves explique son rôle en temps qu’humoriste : « On n’est pas là pour faire les toquards et dire des conneries. L’origine de ce métier là c’est éveilleur de conscience, c’est le bouffon à la cour du roi. Si la presse est le quatrième pouvoir alors l’humour devrait être le cinquième. J’arrive et je dis tout haut ce que tout le monde sait ». Pour Edgar Yves, on peut rire d’absolument tout, tant qu’on respecte la loi. Dans son sketch « Corruption » diffusé sur Canal, l’humoriste se moque ouvertement de Vincent Bolloré, de ses entreprises en Afrique et de ses liens avec le pouvoir actuel. Des parties de son sketch ont été censurées par Canal + sans qu’on en informe Edgar Yves.
Ainsi, l’humoriste n’est pas si guignol que ça, puisque l’humour est un travail intellectuel, ce qui l’élève au-delà d’une simple blague. Dans son livre Aux Vannes, citoyens – Petite leçon d’humour politique, Charline Vanhoenecker explique que l’humour désacralise ce qu’il touche. Les personnes qui occupent un rang important dans l’échelle de la société se retrouvent sur le même pied d’égalité que les personnes dominées. Remettre en cause l’ordre de la société, tel fut le travail de Charline Vanhoenecker à la matinale de France inter comme dans l’une de ces chroniques sur Gérald Darmanin.
Cette impertinence remet en cause l’ordre établi et permet de dire tout haut ce que des millions d’auditeurs pensent du ministre de l’intérieur mais que personne avant elle n’avait exprimé à l’antenne. Cette complicité qui se crée entre l’auditeur et l’humoriste est précieuse dans une époque où les citoyens présentent une certaine défiance vis à vis des médias. Toujours il existera des personnes choquées ou offusquées, mais c’est particulièrement lors des tensions que l’humour a un rôle à jouer. L’humour est naturellement politique car choisir « l’humour de pur divertissement, en ne cherchant pas à remettre en cause les dominations renforce celles qui sont à l’œuvre » écrit Charline Vanhoenacker.
Face à la disparition de l’humour politique
Pour toutes ces raisons, il est urgent de rire sans entraves et de défendre nos chers humoristes. Une pétition pour le maintien de C’est encore nous ! a été lancée dès le lendemain de l’annonce de la suppression de l’émission. Face à des géants politico-médiatiques qui cherchent à nous nourrir d’un rire abêtissant, exigeons un humour qui élève notre pensée et nous sortent de nos idées reçues. Car l’humour sera toujours un contre-pouvoir.
« S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir , s’il est vrai que le RIRE peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables, alors oui, on peut RIRE de tout, on doit RIRE de tout. » Pierre Desproges.
Laurine Varnier
En septembre 2022, le chef de l’État a plaidé pour une meilleure répartition des demandeurs d’asile au sein des territoires ruraux. Ce projet aurait pour but de redynamiser les campagnes sujettes à une baisse de la population et aux fermetures des commerces.
Les centres de demandeurs d’asile sont des institutions gérées par des associations qui les encadrent le temps que leur demande soit examinée par les autorités françaises. Les CADA assurent l’accompagnement social des résidents dans leurs démarches administratives. Ils jouent un rôle fondamental en permettant l’apprentissage du français et en inscrivant les enfants dans des établissements scolaires. La mission des CADA se rapproche des centres médico-sociaux en offrant un suivi médical et social des pensionnaires. Ils assurent une mission de service publique qui permet aux demandeurs d’asile de ne pas être des laissés pour compte. Dès lors, comment peut-on s’opposer à la construction de CADA ? Nous nous sommes rendus à une manifestation organisée à Bélâbre contre le projet d’installer un CADA dans une ancienne usine abandonnée du village, afin de comprendre les enjeux de ce débat.
Un CADA dans une petite ville rurale
Bélâbre, c’est un petit village de 900 habitants situé dans le Berry dans le centre de la France. Ce samedi 25 février 2023, plus d’une centaine de personnes s’étaient rassemblées dès potron-minet sur la Place de l’Église pour manifester leur refus que leur commune accueille un CADA. Certains confient qu’il y a encore une semaine, ils ne savaient même pas encore ce que c’était.
Des drapeaux français s’agitent sous le ciel nuageux. Certains ont ramené leur pancarte sur lesquelles on peut lire « Mairie Complice CADA = Délinquance = invasion » ou encore « Pas de CADA à Bélâbre ». Beaucoup n’habitent même pas la commune et viennent d’Argenton, de Châteauroux, de Blois, de Poitiers, et même de Paris comme cet avocat habitué des plateaux de CNEWS, Pierre Gentillet. Car oui, récupération politique il y a. Des représentants du Rassemblement National et de Reconquête sont là, comme ils étaient déjà présents au même moment à Saint-Brévin-les-Pins, en Loire-Atlantique pour manifester contre l’ouverture d’un CADA dans la commune.
« On va chez le maire ! »
Un petit groupe de manifestants arrive sur la place du marché et ose proclamer tout haut ce que d’autres pensent tout bas : la vie d’un être humain n’a pas de prix. Ils se font insulter, prendre à partie, mais la lutte pour la reconnaissance de la dignité humaine est un combat. Les « anti-CADA » se dirigent ensuite devant la mairie avant qu’un des manifestants ne crie « On va chez le maire ! » Ainsi, environ une cinquantaine de manifestants se retrouvent devant la maison de l’élu qui n’est pas présent à ce moment-là. Sa femme va au contact des manifestants et reste stoïque sous les insultes. L’édile a reçu des menaces de morts l’intimant à ne pas vendre le bâtiment de l’ancienne usine qui appartient à la municipalité au bénéfice l’association Viltaïs qui le transformerait en CADA.
L’extrême droite, un danger pour tous
L’extrême droite dénonce l’insécurité d’un CADA mais c’est cette même extrême droite qui ose menacer de mort un élu de la République. Bien qu’elle ne s’en vante pas, l’extrême droite tue, elle divise la population et déshumanise des êtres humains. L’accueil de ces réfugiés peut être une véritable source enrichissement pour Bélâbre et pour toutes ces communes rurales qui souffrent d’une faible population et d’une démographie peu active. C’est un nouveau point de départ pour les demandeurs d’asile dans la construction de leur nouvelle vie. Refuser la construction d’un CADA, c’est les exclure de notre société. S’il fallait tirer des leçons de l’histoire, nous verrions qu’aucune forme d’exclusion n’a contribué au bien commun.

Au-delà des effets de l’opposition au CADA et à l’accueil de demandeurs d’asile, mortifères, le rejet des CADA peut vite dégénérer. En effet, à Saint-Brévin-Les-Pins, la maison du maire et de sa famille a été visée par un incendie dont l’origine humaine a vite été établie par les enquêteurs. Dans quel monde vit-on ? On espère que les droitards habituels finiront par dénoncer cette contribution aux chiffres de la criminalité…
Les CADA : un outil nécessaire pour l’intégration des demandeurs d’asile
Les CADA existent pour pouvoir donner un toit à ceux qui en ont besoin. Ils permettent de limiter les risques de ghettoïsation et de naissance de bidonvilles accueillant des demandeurs d’asile. Ils permettent de faciliter les démarches sociales et l’insertion sociale. Du fait d’un nombre de places restreint, des demandeurs d’asile sont contraints à rester vivre dans la rue. S’il restait un peu de candeur chrétienne à l’extrême-droite, peut-être qu’ils prôneraient l’implantation de ce genre de structures de bienfaisance et augmenteraient leurs moyens. Il convient de proposer une intégration accompagnée et suivie à ceux qui le désirent.
Laurine Varnier
De juillet 1942 à février 1943 avait lieu la bataille de Stalingrad, causant la mort de plus d’un million de soldats soviétiques. La défaite du Reich annonça la fin de la progression de l’armée allemande vers l’Est, et le début de la chute du régime hitlérien. La commémoration de cette victoire est aujourd’hui l’occasion de promouvoir ses idées.
Instrumentalisation chez Poutine
La date du 2 février 1943 est restée dans les annales et on a célébré cette année le 80e anniversaire de la victoire russe. La Russie célèbre la fin de cette bataille à Volgograd, le nouveau nom de Stalingrad, en compagnie de Vladimir Poutine. Le chef du Kremlin y a rappelé l’importance décisive de cette bataille et n’a pas manqué de faire un parallèle entre les chars de la Wehrmacht et ceux des Léopards de l’armée ukrainienne. En effet, le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine depuis bientôt un an est au cœur de ces commémorations. Alors que l’Allemagne a envoyé 88 chars Léopard à l’Ukraine, la France est en pleine réflexion au sujet de l’aide militaire. Depuis le début du conflit, la rhétorique poutinienne s’articule autour de l’idée qu’il faille « dénazifier » l’Ukraine. Cette date du 2 février 2023 est donc un symbole historique fort.
En France, une manifestation perturbée
À Paris aussi, une commémoration célébrant l’anniversaire de la victoire de Stalingrad a lieu Place Stalingrad dans le 19ᵉ arrondissement. Elle était organisée par le Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF). Créé en 2004, le PCRF est une organisation issue d’une scission avec le PCF, et se revendique du marxisme-léniniste. Elle est opposée à l’Union Européenne, à l’OTAN et au fascisme. Ce rassemblement promeut la paix et la lutte contre la montée des idées d’extrême-droite en Europe. Les personnes présentes sont pour la plupart des membres et des sympathisants du PCRF, des militants étrangers sont également présents. Parmi les drapeaux du PCRF, on peut voir ceux de l’URSS, mais également le drapeau de la République Socialiste Soviétique d’Ukraine, lorsque l’Ukraine faisait partie de l’URSS.
Les discours commencent dès 14h30. Vers 15 heures, un groupe arborant des drapeaux aux couleurs bleus et jaunes de l’Ukraine tente de perturber la manifestation en chantant. Kogutyak Volodymyr, vice-président de l’Union des Ukrainiens de France fait partie de ce groupe. Le service de sécurité, composé de jeunes aux brassards rouges, met en place une chaîne humaine afin d’isoler les contre-manifestants. Les forces de l’ordre arrivent quelques minutes après, isolant les manifestants pro-Ukrainiens qui quittent par la suite les lieux.
On peut légitimement se demander ce qu’ont voulu faire ici ces contre-manifestants. Étaient-ils présents pour protester contre la victoire soviétique à Stalingrad, grâce aux soldats ukrainiens, russes, et autres, sous l’égide du drapeau rouge ? C’est ce qu’il apparaît au premier abord, symboliquement. Concomitamment, la position du PRCF ne leur aurait pas plu non plus : tandis que ces derniers prônent la recherche de la paix et la non-intervention, directe ou indirecte, dans le conflit russo-ukrainien, les pro-Ukraine présents encouragent la guerre de l’Occident contre la Russie, et la livraison d’armes à l’Ukraine.
Laurine Varnier