Merci Patron ! (2016) est une déclaration d’amour à l’homme le plus altruiste du pays, le bien nommé Bernard Arnault. Cet homme fait vivre des milliers de familles. Gardien du savoir-faire français, par sa possession de LVMH, Dior, Kenzo et d’autres belles maisons, cet empire lui permet d’être la première fortune mondiale. Un véritable modèle de réussite pour la jeunesse et une conclusion : I love Bernard !
François Ruffin, lui, n’est pas dupe. Avec l’équipe du journal Fakir, il enquête sur la face cachée de l’empire Arnault, celle des licenciements, comme à l’usine ESSE à Poix-du-Nord, délocalisée en 2007 en Pologne. Les époux Klur y travaillaient : les costumes Kenzo, c’étaient eux et les mains des 145 autres employés.
Désindustrialisation et désillusion du capitalisme
Une usine ferme et tout est dépeuplé : les dettes du couple s’accumulent au point qu’ils risquent de perdre leur toit. Cette histoire tragique aurait pu s’arrêter là. Qui aurait pu prédire qu’elle deviendrait l’épicentre d’un documentaire ? C’est là que François Ruffin imagine un croustillant stratagème : créer un rapport de force avec LVMH pour leur extorquer de l’argent. Sans vouloir vous divulgâcher le dénouement, disons que toute âme communiste appréciera le résultat de ce match de boxe : Klux 1 – Bernard 0.
« Mon film n’est qu’un film. Mais j’espère qu’il pourra servir d’outil pour réenthousiasmer les résignés. »
Jeudi 14 mars 2024, Merci Patron ! était projeté à l’École Normale Supérieure, à l’initiative d’un jeune groupe de soutien à François Ruffin : ENS en lutte. Projeter Merci Patron ! dans un tel lieu n’est pas anodin : c’est un acte politique qui permet, mimant mai 68, de rapprocher étudiants et ouvriers. Un syndicaliste du secteur de la métallurgie a ainsi pu discuter avec les étudiants présents.
On entend régulièrement parler de Bernard Arnault dans les médias, mais peu de celles et ceux qui subissent les décisions managériales de son groupe. En tout cas, la parole ne leur est jamais donnée aussi longuement. La dépolitisation de notre société que l’on observe depuis plusieurs années contribue à invisibiliser les luttes syndicales et leur parole. Avant ce film, qui était au courant de la fermeture de l’usine ESSE, si ce n’est les principaux concernés ? Si aujourd’hui, on évoque les possibilités de relocalisations du réveil de l’industrie en Europe, des entreprises sont toujours délocalisées sans concertation avec les salariés. Vous comprenez, ils ne font pas partie du select club des actionnaires majoritaires…
Bernard Arnault, en plus de sa casquette de patron le plus riche du pays, est celui dont tout le monde connaît le nom. LVMH ? C’est Bernard ! Et Lactalis ? Vous donnez votre langue au chat ? Il est vrai qu’Emmanuel Besnier, 8ᵉ fortune française, cultive la discrétion. Il est patron de l’entreprise familiale Lactalis, numéro un mondial de commercialisation du lait. On peut être un grand patron et se terrer dans l’ombre de sa tour d’ivoire. Combien de Français connaissent le nom de leur patron ? Il y aurait de quoi tourner une dizaine d’émissions de Patron incognito… Bien souvent, on ne regarde pas plus haut que son n+1. Mais comment en vouloir à ces salariés victimes de la verticalité du management saucé à la mauvaise mayonnaise qu’est la start-up nation ?
Créer un rapport de force
Si Merci patron ! a autant touché son public, c’est grâce à sa capacité à nous identifier à ce couple qui a vu sa vie basculer du jour au lendemain après la perte d’un emploi. Sans note de pathos (on rit bien plus qu’on ne pleure), François Ruffin réalise une œuvre journalistique engagée qui restera dans les mémoires et réveille les imaginaires.
Moins de blabla, plus d’action : ce documentaire a eu un réel impact sur la vie du couple Klur. Bien sûr, il ne s’agit que d’une famille parmi tant d’autres touchées par la fermeture de l’usine. Mais il nous montre qu’un rapport de force peut être possible, même avec une entreprise du CAC 40. La résignation est le plus beau cadeau que l’on puisse faire à des personnes comme Bernard Arnault.
Chez Gavroche, nous sommes convaincus que le journalisme a le pouvoir d’éveiller les consciences de chacun en allant au-delà de la simple transmission d’informations. C’est à la société et à ceux qui la composent de s’indigner, de se défendre et de s’organiser. Soyez Gavroche !
Poppy
Merci à « Ulm Debout ! » pour la séance de cinéma !
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