L’école, l’enfant et la prière

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Pour Christian Estrosi, maire Horizons de Nice, c’est le branle-bas de combat. Le 16 juin, celui-ci dénonce des enfants qui ont commis l’erreur de prier dans l’enceinte d’une école publique. Ces faits, qualifiés « d’extrêmement graves » par les autorités publiques, remontent à des observations effectuées au mois de mai par les personnels des établissements. Sont mis en cause pour ces prières des enfants de CM1 et de CM2 d’entre 8 et 10 ans.


D’abord, personne n’en est mort. Des enfants si jeunes ne méritent pas d’être cloués au pilori, de susciter une si preste intervention du ministre de l’Éducation nationale. En réponse à l’admonestation d’Estrosi, Pap Ndiaye, déjà vivement critiqué pour son bilan laïque inexistant, notamment après les polémiques liées aux abayas, a choisi de se faire son muezzin. Ainsi, avec l’exclusion définitive de ces élèves, il devait légitimer la réaction des « laïques-qui-vont-à-la-messe » de la droite, qui prônent les crèches dans les mairies, traînent dans les Églises sur leur temps de fonction, et défilent dans une procession à la fraternité Saint-Pie X.

Comme à l’accoutumée, Pap Ndiaye s’est trompé. Cette fois, c’est au profit de l’instrumentalisation de la laïcité par des individus qui n’en ont cure, et qui déblatèrent en ratant la cible. Quant à nous, tentons de bien viser.


Jeu malheureux

Les derniers éléments sur cette « affaire » indiquent que cela n’aurait été qu’un jeu, une simulation. Qui plus est, elle aurait été le fait d’enfants qui ne vivaient pas dans un environnement religieux. Aussi, Nice Matin a révélé qu’effectivement, les enfants auraient été repris par leurs professeurs, qui leur auraient expliqué pourquoi leur simulation n’avait pas lieu d’être dans une cour d’école.

Dans un premier temps, cela montre que cette affaire est une pure construction, une pure panique morale du maire de Nice. Envisager aussi que ce serait un propos conscient des faits, destiné à faire parler de lui, n’est pas hors de propos. Dans tous les cas, cette affaire ne se destine qu’à exacerber des tensions déjà structurantes politiquement, qui semblent indépassables. La droite faussement laïque se déchaîne en arborant son masque habituel, une partie de la gauche dénonce une « islamophobie » – légitimant ainsi les prières à l’école – et le centre tente de réparer médiocrement les pots cassés.

Dans un second temps, aucun jeu ne sort de nulle part. Pourquoi un enfant se mettrait à jouer à la prière et à l’hommage à un prophète de l’islam ? L’enfant a une certaine conscience de ce qui fait parler, des points de tension de la société. La cour d’école, le domicile, mais aussi internet – les enfants ont accès aux écrans assez tôt maintenant – sont des lieux de socialisation horizontale et verticale, dans lesquels, au-delà des codes, l’enfant « apprend » le monde qui l’entoure. Encore peu au fait des enjeux politiques, le sacripant veut s’amuser, « faire une bêtise », et il a ici réussi de la meilleure des façons.

Si c’est ce « jeu » qui a été choisi, c’est parce qu’il a pu l’être. Propos bateau, mais qui a le mérite de permettre d’explorer plus loin le sujet : le retour du religieux. Dans un autre pays, à un autre temps, il aurait joué au soldat de l’Armée rouge, ou au Dalaï Lama, ou au paramilitaire des FARC. Par contre, si des enfants peuvent prier par jeu, le contexte fait que d’autres prieraient « pour de vrai ». La question religieuse est ici essentielle.

 

Pauvres enfants ?

En 2023, il n’est pas rare d’observer des enfants mener une vie à l’aune de principes religieux. Un républicain authentique peut s’en désoler, mais il se tromperait à ne parler que Lumières et répression de la foi. Le rejet est simple mais manque cruellement de perspectives. Un siècle est passé, la loi de 1905 relative à la séparation de l’Église et de l’État est actée, mais la laïcité a perdu de clarté ; non pas que le concept et ses règles soient flous, mais qu’on les a recouverts de terre. Qui vise-t-elle, cette laïcité ? Pour quelles raisons ? Que signifie-t-elle ? Les Français ne trouvent pas de terrain d’entente. Si l’IFOP montre que nos compatriotes la perçoivent menacée à 67%, à juste titre, ils en s’accordent pas sur ses éléments de définition premiers. Difficile de noyer le poisson. Dans le même temps, la moitié des Français croient encore en un dieu. Ces conditions portent la question de la considération de l’enfant qui prie à l’école.

Avant de poursuivre, il convient de préciser que la religion et la croyance sont autant des causes que des conséquences. De façon générale, il est difficile pour un républicain de voir les bienfaits de la foi et de l’acceptation des textes sacrés, car cela reviendrait à un constat d’échec de l’idéologie républicaine dans ce qu’elle a d’émancipateur pour chaque individu. Elle sont des causes, d’abord, en ce que le prosélytisme religieux apporte aux communautés de richesses matérielles. Une conséquence en ce qui est évident que la part de croyants augmente à mesure que le niveau de vie baisse. La marginalisation et la désaffiliation créent le « terreau » favorable aux ordres sociaux alternatifs, ici religieux.

Dieu entre en tout, y compris dans la vie quotidienne : il n’est plus que le créateur de l’univers, il est aussi l’instigateur de la vie, de l’existence de chaque être, existence à laquelle il est parfois bon de chercher une raison tant elle peut être difficile. La question de la tolérance n’est cependant pas la seule à devoir se poser. Aux prémices de la précarité, elle est même secondaire. C’est bien celle de la rhétorique sociale et de la lutte des classes qui s’imposent. Les exemples sont nombreux, en France-même où, après-guerre, près de 66% des habitants de l’Hexagone se disaient croyants contre à peine 50% de nos jours. Assurément, un peuple éclairé est un peuple qui ne croit qu’en lui-même et à la force publique.

C’est bien la rhétorique de la lutte des classes qui s’impose.

Quid de l’enfant, être innocent, chahuté et guidé par les méandres de la reproduction sociale, du mimétisme, de l’éducation de ses parents et de son milieu ? Il est le reflet de la qualité de la vie politique et sociale du pays. Or, depuis des décennies, les professeurs et instituteurs alertent sur la baisse terrifiante des niveaux scolaires, réclamant plus de moyens pour former les esprits de demain. Jamais écoutés, souvent moqués voire insultés, ils ne peuvent que baisser les bras quand de telles affaires éclatent – au demeurant, la grande majorité des professeurs continue de se battre. Des enfants prient dans une école publique : c’est autant une évidence qu’un drame. La chose arrive chaque jour, notamment et surtout dans les quartiers défavorisés où la religion musulmane, dont la pratique est parfois poussée à l’extrême, s’est implantée dans la précarité et la marginalité forcée par le parcage social. Des jeux du chat opposent les noirs aux maghrébins, les blancs aux slaves ; certains petits s’inventent des origines, non-pas pour crâner devant leurs amis, mais pour se faire accepter. Les cours d’école ont toujours été cruelles et représentatives de la société. Ici, en l’occurrence, celle d’une France polarisée.

Les enfants qui ont prié dans cette cour d’école ont fauté sans le savoir. L’acte en lui-même n’est pas grave sans pour autant être anodin. Leurs prières n’ont fait de tort à personne et n’ont pas transformé les enfants en de dangereux rigoristes. Il y a encore, dans les villes et les campagnes françaises, des établissements catholiques dont les cours sont à l’ombre des clochers. Si la logique républicaine voudrait leur suppression, force est de reconnaître que beaucoup d’adultes de notre entourage ne se sont pas métamorphosés en croisés. Pourtant, à moins surveiller l’évolution de ces établissements, le danger d’une société obscurantiste reviendrait à grands coups d’ordonnances papales. Il ne faut jamais, dans une société comme la nôtre, ignorer la puissance et la volonté de domination du dogme. La vie politique française s’est séparée de la religion pour assurer les libertés individuelles et fondamentales des citoyens qui la composent. Si l’attaque frontale du sujet mènera obligatoirement à un déséquilibre de l’ordre et à une évidente haine qui, au-delà d’une saine colère, irait jusqu’à faire commettre l’irréparable, un rappel constant de la valeur laïque n’est pas à négliger. Là réside toute la difficulté du sujet : trouver le bon équilibre.

 

Un traitement ubuesque

Cette « affaire » l’est surtout pour Christian Estrosi qui sent, à l’approche d’un possible remaniement ministériel, la possibilité de déstabiliser la Première ministre Élisabeth Borne. Outre la possible manœuvre, il est bon de rappeler que les faits se sont déroulés dans une école primaire, mandant à la commune de mobiliser l’ensemble de ses compétences. Simple prise en charge des enfants par l’équipe pédagogique, bienveillante, mais aussi ateliers, sorties scolaires, accompagnement à la scolarité : autant de décisions évidentes à prendre avant de déclencher une tempête médiatique. Comptant sur l’ignorance des Français quant aux moyens d’actions dont dispose une mairie pour agir sur l’éducation des enfants, Estrosi tendait un piège énorme au gouvernement. Même, on aurait pu croire que l’école n’avait rien fait, ce qui s’est avéré faux. Les dents rayant le parquet, le maire de Nice réitérait son amitié avec la radicalisation de la droite dans l’émergence des conflits communautaires et, tout en précipitant la réaction de la Première ministre, draguait un président de la République absent des affaires intérieures mais tout à fait adepte du rapprochement stratégique avec l’extrême-droite.

Toutefois, il serait proprement irresponsable de nier les difficultés de la ville de Nice vis-à-vis de la vie religieuse. Après l’attentat du 14 juillet 2016 qui devait faire 86 morts, c’était au tour de la basilique Notre-Dame d’être ciblée par un terroriste islamiste le 29 octobre 2020. À cette situation parfaitement insupportable devait s’ajouter de nombreuses manifestations du terrorisme et de la barbarie obscurantiste, notamment avec l’assassinat de Samuel Paty quelques jours plus tôt.

Comprenant ce cas de tensions tout à fait singulier, il convient de combattre une médiatisation brutale de l’histoire des écoles tendant à faire des enfants des coupables en puissance. La seule réalité qui vaille et qui compte est celle d’un besoin de discussion, d’un débat de société qui devient – ou plutôt, devient à nouveau – un sujet important du Contrat social. Pas par complaisance, non, mais par ce besoin de réaffirmer l’importance vitale de la laïcité pour le bien de chacun. Cela ne peut évidemment être entendu des plus déterminés à faire passer leur religion au devant de la loi ; si le sujet ici est celui d’enfants encore dans l’apprentissage, les militants religieux et leurs alliés devront être placés devant la mémoire de Robespierre. La laïcité est un discours auquel on adhère ou l’on n’adhère pas mais qui, en cas de refus de l’individu, le rend forcément incompatible à la France, quelle que soit sa croyance.

Si la laïcité est un principe fondamentalement républicain, consubstantiel à la République, il serait malvenu de « forcer » la laïcité, c’est-à-dire de ne pas l’expliquer et la faire comprendre, ou simplement d’en fait un marteau. Une telle méthode placerait immédiatement en porte-à-faux une part entière de la population vis-à-vis des valeurs de la nation. Aux partisans d’une extrême-droite catholique, réactionnaire et traditionnelle, qui d’un coup se sentiraient spoliés : grand bien leur fasse ! Clemenceau admirait Foch pour sa conduite des armées mais pas pour sa communion. Il en est de même pour chacun qui se fait, par son état et son histoire, un compatriote français ou non : croyez si vous le souhaitez, mais chez-vous.

La seule réalité qui compte est celle d’un besoin de discussion.

En somme, la formation vaut mieux qu’une répression mal organisée. Les sanctions promises par Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, ne sont pas adaptées à une situation qui se généralise peu à peu. Ce qu’il faut aujourd’hui et faudra demain, c’est un programme d’éducation civique dès l’entrée en primaire, passant par des ateliers pratiques et ludiques, puis par des cours d’introduction à l’histoire des institutions et au droit. La fermeté doit s’accompagner d’une main plus douce capable de compréhension et d’écoute ; auquel cas Pap Ndiaye continuera sa politique de la chemise trop serrée, donnant à l’école une politique laïque incomplète, insuffisante de médiocrité, passive à toute les importances, propre à l’image de son rôle dans ce grand ministère. La politique qui se veut laïque, mais qui, en réalité, n’a rien de cela, confond effectivement la résolution et l’intransigeance.

Là où le ministre a raison toutefois, c’est dans sa déclaration datant du 15 juin aux ondes de France Info : « Nous avons besoin de revaloriser le métier de professeur. » Oui, monsieur le ministre, nous en avons besoin. Le professeur, l’instituteur, doit renouer avec son rôle de hussard de la République contre le danger de l’obscurantisme, et surtout, il doit en avoir les moyens. Il se doit d’être un mélange d’autorité et de douceur, l’incarnation de la pédagogie sans laquelle rien n’aurait été possible. Encore faut-il qui le puisse, qu’on lui en donne le droit, et qu’on le soutienne dans sa démarche. Cette revalorisation ne passe pas par leur arnaque, elle ne doit pas être une tentative de contournement du problème. Elle doit se traduire par des faits matériels : plus de classes, plus d’enseignants, plus de locaux, un meilleur salaire, le tout appuyé par une réponse du droit précise sur la question laïque. Peut-être, monsieur le ministre, avec les capacités qui sont les nôtres, fiers d’un héritage républicain qui réclame d’être dignes, une telle situation d’atteinte à la laïcité n’aurait pas été atteinte aujourd’hui.


N’abattons pas les enfants ! Laissons le médiocre scandale aux réactionnaires ! Attaquons sans eux les questions primordiales qui animent notre pays et les valeurs qui ont fondé notre Contrat social : luttons contre l’obscurantisme religieux et la croyance en une répression aveugle des affaires cultuelles, portons une réponse d’éducation populaire dans les quartiers et dans toutes les écoles de la République française, sauvons le professorat. Il y a beaucoup à rebâtir, mais, assurément, mieux vaut ne pas détruire la vie d’un enfant à la boule de démolition.

 

Gabin Bruna

Théophile Noree

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3 réponses à “L’école, l’enfant et la prière”

  1. Jérôme O. says:

    L’auteur de l’article parle d’extrême droite » sans avoir compris que Pap Ndiaye (seul ministre de la «  » »5eme République » » » en fonction ayant publiquement tenu des discours racistes et ayant même bâti sa carrière universitaire sur son opposition fondamentale aux principes républicains) est un proche de la mouvance indigéniste (identitaire, raciste, antisémite, anti universaliste etc et donc d’ultra extrême droite : en Europe comme aux USA et une partie de l’Afrique les mouvements néo fascistes ont remplacé la lutte des classes par la lutte des « races ». Agiter l’épouvantail d’une extrême droite imaginaire ou révolue ne sert donc qu’à faire le jeu des nouvelles extrême droites ( des mouvements néo fascistes evoques ci-dessus mais aussi du militarisme fascisant de l’UE et de l’OTAN). Donc le véritable fond de l' »affaire » ou plutôt de cette polémique autour d’un non-événement insignifiant c’est que non seulement Pap Ndiaye mais à travers lui Emmanuel Macron et TOUTE la macronie sont fondamentalement hostiles aux principes les plus élémentaires de la République. Cela inclut bien entendu la laïcité que Macron n’a cessé de remettre en question dès la campagne électorale de 2017. Le macronisme étant fondamentalement anti républicain, cette polémique artificielle sert une fois de plus d’écran de fumée.

    1. Théophile Lazarus says:

      Il faut bien comprendre que oui, le centre (ici Macron et Ndiaye) ne sont pas fidèles aux principes républicains et les laissent dépérir (voire encouragent le dépérissement), et dans le même temps que la droite et plus particulièrement l’extrême droite sont des « républicains in name only ». Il existe une extrême droite en France bien réelle, toute une frange tue du RN, les Zemmouriens qui s’affichent, les nationaux révolutionnaires qui font des ratonnades, l’AF existe encore et sert d’école (voir article récent de streetpress). Si le centre et la gauche abandonnent la république, et que l’ED la récupère (en discours seulement), alors c’en sera fini.

      1. Jérôme O. says:

        L’indigénisme (ou le décolonialisme : idéologie basée sur la « race ») coche toutes les cases de l’extrême droite pure et dure. Le fait que certains de ses sympathisants puissent devenir ministres, députés ou enseigner en université et qu’elle ne soit jamais (Sauf par quelques lanceurs d’alerte) nommée par son nom prouve que l’indigénisation des esprits a atteint un degré absolu. Son idéologie raciste et antisémite est devenue une sorte d’idéologie d’Etat et elle tue ou agresse tous les jours. Les meurtres de Sarah Halimi et de Jeremy Cohen (dans ces deux cas antisémites) ont été encouragés et favorisés par cette idéologie qui ne relève pas que de la rhétorique : le passage à l’acte puis le déni de la société en sont des conséquences. Bien sûr l’extrême droite traditionnelle, à l’ancienne, existe encore : elle est même au pouvoir en Ukraine ! Mais en France on ne peut pas dire que les nostalgiques de Pétain courent les rues. Il y en a bien évidemment (Gud + Soraliens) mais c’est pour ainsi dire l’arbre qui cache la forêt.

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