Étudiants expulsés : le carnage social des Jeux olympiques

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3263 logements ont été réquisitionnés pour accueillir les policiers, les CRS, mais aussi les pompiers venus assurer le bon déroulement des Jeux olympiques de Paris. Désemparés, méprisés, les étudiants ont été précipités vers la sortie sans contestation véritable possible. Honoré, récemment diplômé de son école d’architecture et expulsé de son CROUS, nous livre son témoignage.


LA MOBILISATION DES ÉTUDIANTS CONTRE LES EXPULSIONS

Dès mars 2023, les étudiants logés en CROUS ont pu entendre les rumeurs qui couraient dans les médias : leur logement pourrait être réquisitionné pour accueillir les fonctionnaires participant à l’organisation des Jeux olympiques. En décembre, la mesure était finalement annoncée, avant d’être validée par le Conseil d’Etat. Honoré et ses camarades organisent la résistance. L’union syndicale Solidaires les aurait contactés et aidés à organiser une réunion avec d’autres expulsés, qui finit par aboutir au montage d’un collectif, La Rescrous.

Banderole « Etudiants à la porte » déployée dans la résidence d’Honorée. Des affaires sont présentes dans le hall.

Le 6 avril, une manifestation est organisée devant le ministère des Sports. Entre autres, les syndicats Solidaires, UNEF et Union étudiante étaient présents avec les étudiants. Un peu de visibilité médiatique, mais pas de réaction de la part des autorités. Sollicitée plusieurs fois, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castera, et la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, n’ont répondu à aucun message ni à la lettre remise en main propre par le collectif La Rescrous.

COUPS DE PRESSION

Derrière le ton paternaliste des directeurs de CROUS, de la ministre des Sports, de la ministre de l’Enseignement supérieur, il n’y a que mépris et déconnexion. Non, les étudiants ne rentrent pas tous chez leurs parents pendant l’été. Une part non négligeable travaille et a besoin de son logement à cet effet. Certains ont dû prendre des jours de congé pour leur déménagement forcé. Aussi, les étudiants étrangers ne peuvent pas se permettre de rentrer dans leur pays pour les deux mois de l’été. De plus, leurs logements CROUS ne sont en aucun cas « offerts » : ce sont des résidences mises à disposition des étudiants par l’État, certes, mais régies par un bail et un loyer, comme un logement en location classique.

Honoré affirme avoir reçu des « coups de pression » de la part de son CROUS, ainsi que des appels pour effectuer l’état des lieux de sortie dans l’immédiat. Il explique que les étudiants qui ne s’opposaient d’aucune manière avaient le droit à de meilleures places pour les relogements. Ainsi commence un jeu malsain : ceux qui se mobilisent pour garder leurs logements perdent des solutions ultérieures. Forcés de déménager, même les étudiants les plus résignés ont dû laisser abandonner lutte à contrecœur face au risque de perdre définitivement leur logement CROUS.

DÉMÉNAGEMENTS DANS L’URGENCE

Si les CROUS de Créteil, Paris et Versailles ont bien proposé des solutions de relogements, celles-ci ajoutent d’autres problèmes aux affres de cet été : logements plus petits, trop éloignés de leur université ou de leur école, résidences en moins bon état (quand on connaît l’état des résidences habituelles…)… D’après un questionnaire du CROUS fait en avril, ce sont plus de 60% des étudiants qui ne souhaitent pas rester dans leur nouveau logement attribué pour l’été.

Honoré lui, a eu un peu de chance. Sa résidence est située dans le campus de son école d’architecture. Cette dernière a mis une salle à disposition des étudiants expulsés pour qu’ils puissent y entreposer des meubles et affaires. Rare exception, car dans la plupart des résidences, tous les coûts liés au déménagement sont aux frais des étudiants. Dans sa résidence CROUS, comme dans d’autres, les déménagements se sont passés dans la désorganisation la plus totale. Les locaux poubelles étaient pleins à craquer. Les étudiants n’ont pas eu d’autre choix que de poser leurs affaires dans le hall, bien que les responsables avaient ordonné de n’y laisser aucune affaire, ni aucune poubelle.

Deux images. Local poubelle de la résidence d’Honoré le jour des expulsions.

L’état des lieux de sortie fait à la hâte pénalise les étudiants, Honoré explique : « Les cautions sautent allègrement, avec des retenues abusives : 50 euros pour des traces de calcaire, 30 euros pour une housse de matelas coûtant 10 euros, et 20 euros pour un rideau de douche valant 5 euros ».

DES RÉQUISITIONS INUTILES ?

Le syndicat Union étudiante alertait sur les réseaux sociaux contre les réquisitions inutiles. Début juillet, les premiers policiers ont pu s’installer dans les résidences CROUS fraîchement « libérées » des étudiants. Un syndicat de police, couvert médiatiquement, a dénoncé l’insalubrité des résidences. En vingt-quatre heures, on a fait le nécessaire pour corriger certains problèmes et les policiers ont eu le droit d’être relogés. Cela fait pourtant des années que les syndicats étudiants parlent des problèmes de cafards, d’infiltrations, de chauffage, etc. dans l’indifférence quasi systématique du CROUS. Si les policiers ont pu être relogés, c’est que certaines chambres d’étudiants ont été réquisitionnés inutilement. D’après Honoré, une résidence entière de son académie a été réquisitionnée et vidée de ses étudiants pour rien, car la construction d’une nouvelle a finalement été terminé à temps.

DES ÉTUDIANTS ABANDONNÉS PAR L’ÉTAT

Ce nouveau scandale social ne fait pas oublier les conditions déplorables dans lesquelles vivent les étudiants, notamment les plus précaires. D’après un rapport d’enquête de l’Union étudiante, l’Union pirate et de la fondation Abbé Pierre (contribution), plus de la moitié des étudiants sont considérés comme « mal-logés ». Près de 90 000 étudiants ont commencé l’année universitaire sans logement. En novembre 2023, près de 3% des étudiants n’avait pas de logement durable. Pour les autres, il ne faut pas oublier qu’ils vivent parfois dans l’insalubrité : insectes, nuisances, froid… Tant de facteurs qui sabordent la réussite des étudiants, les plus touchés étant ceux issus des milieux précaires. Un bilan inacceptable qui démontre bel et bien l’indécence du pouvoir en place et son mépris pour les étudiants.

 


Honoré a été contraint de rentrer à Lyon chez ses parents, le lendemain même de sa remise de diplôme. Une fête qui s’est transformée en déménagement sous le ton autoritaire et paternaliste des responsables du CROUS. La belle cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques ne saurait faire oublier le carnage social que subissent les étudiants, mais aussi les familles précaires, elles aussi en quête de logement.

 

Antonin Hérault

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