Ce samedi 25 mars, une manifestation de gilets jaunes a eu lieu à Paris. Celle-ci avait pour but de rendre hommage à des gilets jaunes décédés depuis le début du mouvement, ainsi qu’aux victimes de violences policières.
HOMMAGE AUX MORTS ET AUX BLESSÉS
Le rassemblement commence près de Bercy à 14h30. Ils sont plusieurs centaines à honorer la mémoire des défunts. Selon Sébastien, quarantenaire portant des dreadlocks, « c’est un hommage à tous ceux qui ont disparu depuis le début du mouvement des gilets jaunes, mais aussi toutes les personnes mutilées, blessées ». À 15 heures, la manifestation fait une pause et observe une minute de silence. Le personnage central dans cet hommage est Nejeh Ben Farhat, décédé en mars 2022. Très populaire au sein de la branche parisienne des gilets jaunes, il était une figure locale emblématique et a organisé plus de 140 manifestations.
Bien d’autres défunts sont commémorés, avec deux grandes banderoles, plusieurs pancartes, et des portraits accrochés aux gilets. Notamment les 10 personnes décédées d’accidents ou d’attaques à la voiture-bélier durant les blocages des ronds-points, ainsi que des figures locales décédées naturellement depuis le début du mouvement.
Sur une autre banderole, le visage au centre est celui de Zineb Redouane. On trouve son portrait sur plusieurs pancartes. Cette octogénaire a été tuée en décembre 2018 à Marseille, par une grenade lacrymogène lancée dans son appartement, pourtant situé dans une direction opposée à celle de la manifestation. « Le policier m’a visée. Je l’ai vu… » a-t-elle dit à sa fille qu’elle avait par téléphone au moment des faits, juste avant de mourir. Pour les gilets jaunes, Zineb Redouane est devenue le symbole de la violence arbitraire du gouvernement, s’attaquant même à des personnes ne manifestant pas. Jusqu’à les tuer. Aux dernières nouvelles, l’enquête en est au point mort et l’institution policière fait tout pour empêcher l’identification de l’auteur du tir. « Il y a une justice à deux vitesses, se lamente Sébastien. On sait qu’il n’y aura jamais rien contre les policiers qui ont tué Zineb, ou d’autres. Et il n’y aura jamais de justice pour ça. »
DES LUTTES ACTUELLES
Vers 16 heures, près de la place de la Nation, une deuxième minute de silence est observée. Puis la manifestation reprend. On entend des slogans issus du mouvement social actuel : « La retraite à 60 ans, on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder ! » Ce syncrétisme entre les slogans des syndicats et les slogans des gilets jaunes, va dans les deux sens. Au mégaphone, Patrick* improvise des discours incessants au mégaphone. Dans sa logorrhée, il va dans ce sens : « Les slogans des gilets jaunes sont repris par les partis d’opposition de droite et de gauche, et par les syndicats qui sont les porte-voix des sans-voix ! » À 17 heures, la manifestation s’arrête devant le cimetière du Père Lachaise, et observe une troisième minute de silence.
Vers 17h45, la procession passe devant l’École Normale Supérieure d’Architecture (ENSA) de Belleville, qui a des banderoles aux fenêtres et des affiches sur les vitres, rendant visible la grève des ENSA depuis le début du mois de février. Ils dénoncent un manque de moyens financiers et humains. Des gilets jaunes entrent dans la petite cour à l’entrée de l’école. Une dame du personnel sort, de peur qu’il puisse y avoir de la casse. « Ne vous inquiétez pas madame, on est avec vous, on vous soutient ! » lui répond un gilet jaune. Un autre filme en direct les banderoles et les affiches : « On va montrer votre grève sur les réseaux, madame ! »
À BARBÈS, LE PARI DU NOUS
Vers 18h40, les gilets jaunes arrivent à Barbès. Un RER B passe en mettant des coups de klaxon sur le rythme du slogan « Macron démission », et les passagers tapent aux fenêtres. Les rues sont pleines d’habitants du quartier, qui inondent les échoppes pour acheter de la nourriture et préparer la rupture du jeûne. Les habitants acclament les gilets jaunes. Les manifestants répondent « Barbès avec nous ! » et « Paris, debout, soulève-toi ! » tandis que la police entoure le rassemblement avec des rangs de plus en plus serrés, craignant que les habitants ne rejoignent la manifestation, et voyant que certains tentent de faire dévier le cortège vers les petites rues de Barbès. Si les intellectuels rêvant de « l’alliance inédite entre les beaufs et les barbares » sortaient de leurs beaux quartiers, ils verraient que leur vœu est exaucé depuis des années à chaque manifestation.
Quand des renforts de la gendarmerie arrivent, les slogans à l’encontre des forces de l’ordre se font de plus en plus entendre. « Tout le monde déteste la police ! » En tête de cortège, des manifestantes invectivent directement les policiers : « Protéger et servir le CAC40 ! Vous êtes des chiens ! » Les policiers continuent de marcher, faisant mine de ne rien entendre.
MONTMARTRE
À 19 heures, les gilets jaunes arrivent près du Sacré-Cœur. Dans la rue Steinkerque, qui remonte vers la Basilique, les consommateurs bien vêtus fusillent les gilets jaunes du regard, ou lèvent les yeux au ciel. Du haut de la butte Montmartre, une masse de touristes intrigués regardent le mouvement se faire nasser. Après un quart d’heure de tentatives de pousser les boucliers des CRS, un policier dit au mégaphone : « Message de la préfecture : la manifestation se termine aujourd’hui ici. » La foule, qui ne peut sortir que depuis le bas de la rue au compte-goutte, finit par perdre peu à peu ses effectifs.
Tanguy Lacroix
* Les prénoms de certaines personnes citées ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.
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