Macron, Barnier, et les LGBT – Entretien avec Thomas Vampouille

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Thomas Vampouille est directeur de rédaction du magazine LGBT Têtu. Dans son travail de journaliste, il a souvent analysé les questions LGBT sous un prisme politique. Dans cet entretien, il analyse les évolutions d’Emmanuel Macron, du nouveau gouvernement et de la société française sur ces enjeux.


Gavroche : Dans un édito de juin dernier, vous avez critiqué Emmanuel Macron en l’accusant de trahir ses promesses envers les personnes transgenres. Que s’est-il passé ?

Thomas Vampouille : Lors d’un déplacement en Bretagne où il avait rencontré des électeurs, il avait dit du programme du NFP qu’il y a « des choses complètement ubuesques comme par exemple aller changer de sexe en mairie ». En disant ça, il surfait sur cette espèce de bon sens populaire transphobe où l’on fait passer les identités trans pour un caprice, ou pour une absurdité. C’est la transphobie populaire de base. Il surfe là-dessus à une visée électorale afin de séduire un électorat plutôt âgé et conservateur, alors que lui-même avait affiché jusqu’alors une position plutôt progressiste sur cette question. C’était au point qu’en 2022, quand Têtu l’interrogeait durant la campagne de 2022 sur son programme concernant les LGBT, il nous avait dit qu’il voulait simplifier la vie des personnes trans, notamment dans leurs démarches administratives à l’état civil. Bien sûr, il n’avait pas été très précis dans sa promesse et n’avait pas été jusqu’à promettre le changement d’état civil sur simple demande – ce que réclament les principales associations ainsi que Têtu – néanmoins sa réponse allait dans ce sens.

J’ai écrit cette tribune pour souligner la contradiction entre ses déclarations de 2022 et celles de 2024. Un coup il promeut des propositions progressistes qui vont dans le sens de ce que les associations demandent, puis le coup suivant, il affiche une transphobie beauf pour s’attirer les faveurs d’un électorat plus conservateur. Cette versatilité de Macron existe sur beaucoup d’autres sujets.

C’est la politique du « mais en même temps » macronien ?

Le « mais en même temps », il l’a parfois assumé comme étant un slogan centriste voulant dire qu’on peut faire bien en reprenant un peu des idées de gauche et un peu des idées de droite. Bon ok, ça on peut l’entendre. Mais le « en même temps » qui consiste à afficher des positions radicalement contradictoires, ça n’a pas lieu d’être.

En 2022, il nous a déjà fait le coup. Dans une interview pour Brut, il avait exprimé son scepticisme envers les cours d’éducation sexuelle au collège, ce qui est une position conservatrice et rétrograde. Et pendant la même période, il avait répondu aux questions de Têtu en soulignant l’importance du rôle de l’école pour lutter contre les préjugés sur la sexualité. À la fin on ne sait plus qui est Emmanuel Macron !

Parmi les nouveaux ministres, six ont voté contre le mariage pour tous lorsqu’ils étaient députés et deux ont voté contre l’interdiction des thérapies de conversion. Même si Michel Barnier a assuré qu’il n’y aurait aucun recul sur les droits des personnes LGBT, pensez-vous que ce symbole peut avoir des conséquences ?

Cela peut paraitre paradoxal, mais je pense que cela peut avoir des répercussions positives. Que deviennent les conservateurs quand ils ont perdu leur bataille ? Ils ont perdu contre la PMA des couples lesbiens, ils ont perdu contre le mariage pour tous, ils ont perdu contre le PACS, et ils ont perdu en 1982. Je pense que les conservateurs sont capables d’évoluer et d’acter les changements de société, l’histoire l’a démontré. Il y a beaucoup d’élus de droite qui ont lutté en 1982 contre l’abolition des lois discriminatoires et ils ont évolué depuis 40 ans. Ils ont bien vu que l’acceptation de l’homosexualité n’avait pas mis à mal la société. Ils ont parfois pu connaitre dans leur vie personnelle des couples homosexuels, ou en ont marié en tant qu’élus municipaux. Il faut qu’on distingue deux camps à droite. Il y a les conservateurs, qui luttent contre les nouveaux droits parce qu’ils en sont méfiants, et ils sont en réalité comme de nombreux Français. Ceux-là, ils peuvent évoluer. Et même dans nos propres familles on en voit : on est beaucoup à avoir subi du rejet dans notre jeunesse au moment de notre coming out – ce que j’ai connu personnellement avec ma famille – mais avec le temps nos parents voient que tout ça ce n’est pas si grave. À côté de ça, on a les réactionnaires, qui vont rester accrochés aux modèles de société d’autrefois. Ce sont les gens comme Christine Boutin qui n’accepteront jamais cette évolution.

Michel Barnier, lui, s’affiche comme un conservateur qui a évolué. Le fait d’avoir intégré des personnes comme Bruno Retailleau dans son gouvernement pourrait être un bon signal : ce gouvernement, dirigé par un ancien militant anti-LGBT, acte le fait que la droite revenant au pouvoir pour la première fois depuis le mariage pour tous, ne va pas le remettre en question. Cela montre qu’il n’y a pas, en France, un espace politique suffisamment important pour une droite réactionnaire à la Trump ou à la Orbán. Aux États-Unis, la droite réactionnaire est plus puissante et arrive à faire reculer des États ou même le pays entier sur de nombreuses questions. Chez nous, Bruno Retailleau est obligé d’avaler quelques couleuvres quand il assiste au discours de politique générale de Michel Barnier ! Évidemment, il y a tout de même une mauvaise nouvelle dans cette histoire : les dossiers qui doivent avancer n’avanceront pas ou très peu sous un gouvernement de droite.

Au-delà de la politique politicienne, vous parliez tout à l’heure de transphobie populaire. Dans la société française, on assiste à une augmentation des actes anti-LGBT, avec une hausse de 13% entre 2022 et 2023. Selon vous, à quoi cela est-il dû ?

Ces violences correspondent à des moments historiques où les questions LGBT sont prégnantes, et où les discours LGBT-phobes sont présents dans le débat public. Il y avait eu une explosion des violences homophobes en 2013, dans le sillage du débat sur le mariage pour tous. On l’a constaté aussi dans le sillage du débat sur la PMA pour les couples lesbiens en 2021. Le discours homophobe a évolué peu à peu un discours anti-queers, pour s’attaquer à tout ce qui déroge aux normes, que ce soit les personnes trans ou les drag queens. Ce discours produit concrètement des violences anti-LGBT. Et cette corrélation a été étudiée à l’échelle européenne : on voit que le durcissement des discours politiques anti-LGBT correspond toujours à des montées des violences.

À côté de ça, dans les sondages, on voit que les Français sont de plus en plus tolérants. Cela crée un paradoxe dans la société française : il y a une augmentation des violences alors que la majorité de la population française accepte l’homosexualité et les transidentités. C’est pour cela que la montée des violences n’est pas un symptôme du durcissement de la société, mais un symptôme du durcissement des discours politiques.

La mobilisation de la Manif Pour Tous et les violences LGBT-phobes qui ont suivi ont été une surprise en France car des pays plus religieux comme l’Espagne ou le Royaume-Uni n’ont pas eu des mobilisations aussi longues et aussi grandes. David Cameron, conservateur, avait même légitimé le mariage homosexuel au nom des valeurs familiales. Il faut donc garder en tête que tout ce militantisme anti-LGBT et ces actes anti-LGBT ne sont que le fait d’une minorité. C’est une petite partie de la population très conservatrice ou réactionnaire qui s’agite mais qui va dans le sens inverse de l’opinion publique. À l’époque, en dépit des sondages qui montraient cette tolérance de la société française, la flambée de violence a laissé croire beaucoup d’entre nous que la société française nous rejetait. Mais c’était faux : tout ça n’était que le fait d’une minorité qui se radicalise de plus en plus.

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