Le football face à l’argent-roi

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Le foot, c’était mieux avant ? Avant l’époque des gros sous, des starlettes, des riches investisseurs et des paillettes ? Le débat sur l’argent-roi dans le sport le plus populaire de la planète n’est pourtant pas nouveau, comme l’écrivait le journaliste Pierre Ducasse le 22 janvier 1921 : « Comme il est pénible de constater la crise que traverse le sport actuellement. (…) Lorsque les clubs ont commencé à faire de l’argent, les joueurs se sont montrés plus exigeants. Les dirigeants ont cédé pour les garder. Maintenant, on ne joue que par intérêt. »


Les années 1990 ont été pour le football professionnel une période de grands bouleversements. Le secteur économique s’est considérablement développé par la hausse des droits TV et l’internationalisation des effectifs. Le ballon rond est alors entré, plus que tout autre sport, dans la mondialisation. 

Un autre phénomène s’est récemment accéléré : l’ouverture des clubs aux investisseurs de toute la planète. En 2018, l’UEFA dénombrait 67 clubs des premières divisions européennes sous contrôle étranger. Si la moitié des actionnaires étaient européens, 25 % venaient d’Amérique du Nord, 21 % d’Asie et 8 % du Moyen-Orient. Les rachats spectaculaires provenant de cette dernière partie du globe sont parfois directement le fait d’États souverains (Qatar au PSG, Arabie saoudite à Newcastle…)

En 2010, alors qu’aucun club professionnel français n’était sous le contrôle d’un actionnaire étranger, ils étaient onze en 2019, dont cinq en Ligue 2. L’arrivée d’un milliardaire ou d’un fonds d’investissement étranger est souvent perçue comme un moyen de survivre dans un environnement hautement concurrentiel, où l’aléa sportif est de mise.

L’intérêt des investisseurs pour un secteur à la croissance folle 

Autrefois boudés, les championnats professionnels de football français attirent depuis plusieurs années l’appétit des investisseurs internationaux. 

Ce nouvel intérêt pour la Ligue 1 s’explique avant tout par l’expansion continue des droits TV. D’un montant de 122 millions d’euros en 1997, les clubs de l’élite se partageaient en 2020 1,153 milliards de droits annuels.

D’autres facteurs structurels entrent en compte. Les clubs français disposent en effet d’infrastructures de qualité et d’une économie saine pour un prix d’achat relativement faible. Racheté en 2020 pour 10 à 20 millions d’euros, le Toulouse Football Club était en pleine tourmente sportive. Il bénéficiait pourtant d’atouts non négligeables, notamment un centre de formation à grand potentiel.

En investissant peu, l’acheteur peut bénéficier des ventes d’un effectif talentueux. Ces deux dernières années, le club de Haute-Garonne a ainsi vendu huit joueurs formés en interne, pour près de 45 millions d’euros

Depuis longtemps, la Ligue 1 est un championnat tremplin pour les jeunes joueurs. Ceux-ci sont formés en France puis vendus à prix d’or à des clubs étrangers, la plupart du temps anglais. En l’absence de projet sportif, la gestion de l’effectif devient spéculative. Les clubs s’exposent alors à des catastrophes industrielles.

La gueule de bois des supporteurs après l’ivresse du rachat

« Si seulement un riche fond d’investissement pouvait nous racheter ! ». Tout supporteur de football a déjà entendu cette supplique. Beaucoup rêvent désormais de l’arrivée providentielle d’un émir aux ambitions dévorantes ou d’un magnat de l’immobilier asiatique. L’injection massive d’argent frais permet de voir son club de cœur devenir – ou redevenir – une écurie qui compte sur le plan sportif. 

Lors de la reprise des Girondins de Bordeaux en 2018 par des fonds américains, l’Américain Joe DaGrosa avait annoncé vouloir rivaliser avec le PSG. Le club au scapulaire, l’un des plus titrés de l’hexagone, sera rétrogradé quatre ans plus tard en ligue 2, frôlant le dépôt de bilan.

En pratique et malheureusement pour les supporteurs, la plupart des rachats ne se transforme pas en projet à paillettes. Loin de là. Les investisseurs ont rarement les moyens de leurs ambitions et adoptent une stratégie fondée sur un lourd endettement et des investissements limités. Cela peut vite tourner au cauchemar. 

Outre Bordeaux, des clubs historiques et populaires comme le Racing Club de Lens ou encore le FC Sochaux Montbéliard ont frôlé la disparition ces dernières années. Un club de foot qui disparaît, c’est tout un écosystème culturel et une identité locale qui périssent avec lui.

Une solution à la voracité des investisseurs : le protectionnisme ? 

L’Allemagne n’a pas suivi cette ouverture aux flux financiers internationaux. Par la règle du « 50 + 1 », les abonnés de chaque club des divisions professionnelles conservent  la majorité des votes lors de l’assemblée générale. Un investisseur privé, et à plus forte raison étranger, ne peut alors pas prendre le contrôle d’un club.  

Instituant des obligations des clubs envers les supporteurs, cette règle permet également de maintenir un prix des billets abordables. Les stades allemands sont les plus affluents d’Europe, avec 44 000 spectateurs en moyenne par match en première division. Le revers de la médaille est que la Bundesligua reste largement domestique. Contrairement à d’autres, le championnat ne s’est pas lancé à la conquête des nouveaux marchés comme l’Asie ou l’Amérique du Nord. 

Face aux résultats en berne de ses clubs, le football allemand se questionne. Plusieurs militent pour mettre un terme à la règle du 50 + 1, jugée trop protectionniste. Des fortes tensions sont apparues ces dernières années entre les tenants de l’ancien et du nouveau monde. Lors d’un match à Dortmund, les supporteurs du RB Leipzig ont ainsi reçu des jets de pavés ou de bouteilles de la part de certains locaux.

Alors que les premiers promeuvent une tradition associative et le droit des supporteurs à être impliqué dans la vie et la gestion du club, les seconds souhaitent s’ouvrir aux flux financiers internationaux. L’objectif affiché est de pouvoir se mettre au niveau et concurrencer les plus grands – et riches – clubs européens

Vers une nécessaire exception sportive européenne 

Le modèle allemand, trop rigide, semble voué à disparaître. L’ouverture de l’actionnariat des clubs aux quatre vents est-elle pour autant un modèle viable ? Il paraît indispensable de trouver un modèle plus équilibré avec les attentes d’un sport qui est populaire par essence. 

Aujourd’hui, le système est si libéral que toute personne qui a les moyens de racheter un club peut le faire, en faisant fi de l’histoire et de l’ancrage local. Devenu propriétaire du Cardiff City FC, un richissime malaisien souhaita abandonner les couleurs du club pour passer du bleu au rouge. Dans le même temps, le dragon gallois remplaçait la traditionnelle hirondelle des blue birds. Le projet visait à améliorer l’attractivité du club à l’international, au grand dam des supporteurs locaux

La protection des clubs et la construction d’une « exception sportive européenne » apparaît vital aujourd’hui. Cela doit passer par une nouvelle gouvernance. Instaurer un véritable droit de regard des collectivités locales, des clubs de supporteurs voire de l’Etat n’apparaît pas illégitime. Le modèle pourrait directement s’inspirer de celui des « socios », des supporteurs parties prenantes disposant d’un droit de vote sur certaines décisions structurantes pour la vie d’un club (rénovation du stade, élection du président, …)

Des débats existaient déjà au début des années 2000 sur la construction d’une telle exception sportive à l’échelle européenne. Il était alors question d’amender l’arrêt Bosman de 1993, qui a mis fin aux quotas de joueurs étrangers dans les clubs européens. Trente ans plus tard, le football professionnel est plus que jamais un secteur économique dérégulé et élitiste. 


La valeur du football n’est pas économique, mais avant tout sociale et culturelle. Il est urgent de se saisir de la question afin de ne pas laisser les intérêts privés organiser, seuls, le football du XXIème siècle.

 

Félix Charroux

 

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