Et si le parti socialiste redevenait socialiste ? L’ambition de la Ligne Populaire du député Philippe Brun
Le 18 décembre, à la Bourse du Travail de Seine-Saint-Denis, avait lieu la soirée de lancement de La Ligne populaire. Au frontispice de ce mouvement, on retrouve le député de l’Eure Philippe Brun (NFP-PS), qui a appelé lors de sa tribune à un changement radical à gauche, dans le discours comme dans les propositions. En ligne de mire, le congrès du PS en 2025, dont la date n’est pas encore connue, mais aussi les propositions des autres partis de gauche. Quelles perspectives pour le mouvement se dessinent à l’aune de cette réunion ?
Une soirée de lancement pour changer les choses
Pas d’affiche dans la rue, ni devant la bourse du travail, aucun signe qu’un événement se prépare dans la salle Marcel Paul, ouvrier devenu ministre, symbole pour ce nouveau mouvement qui entend recréer un lien entre la politique et les classes populaires. C’est seulement une fois entré dans le hall, après avoir monté un escalier pour rejoindre l’étage, que l’on s’aperçoit de l’affluence : il est rempli. La foule réunit autant de têtes grisonnantes que de jeunes politisés, adhérents PS pour beaucoup, dont 70 venus de l’Eure, mais aussi quelques déçus du Parti, venus pour les perspectives de changement, de renouveau, qui accompagnent La Ligne Populaire. Des soutiens proches de Philippe Brun, abordables, se mêlent aux curieux.
L’événement a attiré un certain nombre de personnalités politiques, principalement issues du Parti Socialiste. On compte par exemple le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, le député Jérôme Guedj, mais aussi des opposants à Olivier Faure, avec J.-C. Cambadélis (ancien secrétaire du parti), N. Mayer-Rossignol (maire de Rouen), ou encore L. Rossignol (sénatrice), qui intervint sur le « féminisme populaire. » Des personnalités locales ont aussi fait le déplacement, que ce soit S. Troussel (président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui a permis à la réunion de se tenir) ou F. Bercault (maire divers gauche de Laval, intervenant sur l’éducation populaire). Du côté des verts, l’ex-députée européenne K. Delli était assise au premier rang.
Engagé sur la représentation des classes populaires, le mouvement a mêlé personnalités politiques, militants et simples citoyens sur la scène. Ont pu intervenir des agriculteurs pour l’initiative « Justice pour nos agriculteurs », qui dénonce notamment le Mercosur, ou des citoyens concernés par les pannes d’ascenseurs, réunis dans l’association « Ascenseurs en colère. »
La Ligne Populaire se « place » ainsi tant du côté d’Olivier Faure que de ses opposants affichés (N. Mayer-Rossignol en tête) : son ambition n’est pas là, elle concerne la gauche elle-même, Philippe Brun veut une « politique d’un genre nouveau. » L’esprit de la réunion est bien décrite, dès le départ, par S. Troussel : il faut un projet pour le « pays tout entier », c’est-à-dire la « France rurale, urbaine et populaire », ce qui nécessite des « débats » que P. Brun entend bien poser. La question qui se pose, c’est si la gauche y est ouverte.
Philippe Brun, député à projets
La Ligne populaire ne se veut pas simplement une « plateforme » d’idées, un tremplin pour des personnalités, mais entend être une nouvelle proposition politique, qui mêle les idées pour changer les lignes des partis et des projets concrets. Ces derniers sont présentés par une courte vidéo suivie de l’intervention de leurs concepteurs, de personnes impliquées et de bénéficiaires.
La plus importante réalisation à ce jour est l’Ecole de l’Engagement, association qui prône l’éducation populaire pour permettre l’engagement des classes populaires dans le champ politique, à travers des associations ou un engagement partisan. Parrainée par A. Montebourg, des proches de P. Brun s’occupent de son développement depuis 2021. Partant du constat que « 80 % des députés sont cadres, quand 80 % des Français ne le sont pas », P. Brun avait déjà quitté bruyamment la direction du PS lors des élections européennes pour dénoncer le manque d’ouvriers sur la liste de R. Glucksmann, le premier figurant à la 41e position (soit une position sans perspective). L’enjeu de la préparation des municipales de 2026 est assumée : pour la Ligne Populaire, il faudra des candidats ouvriers et employés à gauche.
L’autre champ de bataille, plus récent, de P. Brun, est le développement sur tout le territoire de son « Service Public Populaire. » Constatant la disparition progressive ces dernières décennies des guichets de service public, déploré par un rapport du Conseil d’Etat en 2023, le mouvement de P. Brun a commencé à organiser des permanences d’accès aux droits. Moqué sur les réseaux sociaux du fait de l’existence de France Services, des dispositifs étatiques aux objectifs similaires, les équipes de P. Brun court-circuitent la critique par leurs retours de terrain : les maisons France Services ne couvrent pas assez de services, ont peu de moyens, et le SPP permet de traiter d’autres démarches que celles relatives à l’Etat (par exemple les démarches assurancielles, bancaires, etc.). Le déploiement dans toute la France de ce SPP est à l’ordre du jour du mouvement.
Un changement radical nécessaire contre le RN
Parallèlement à ces projets concrets, la « reconquête » des territoires tombés aux mains du Rassemblement National – P. Brun cite les circonscriptions de Blum, Mitterrand, Chevènement et Montebourg – nécessiterait un « changement radical. » En effet, le tribun constate que la gauche « perd du terrain » et qu’elle a des « responsabilités à assumer » dans l’ascension du RN, qui représente environ un électeur sur 3 aujourd’hui.
La faute de la gauche tiendrait à son éloignement des classes populaires, qui permet au RN de « progresser sur le terreau de nos renoncements », par un triple phénomène. Le premier est la fin de la représentation populaire dans les rangs visibles de la gauche : il cite les députées RN de l’Eure, assistante maternelle et technicienne de surface, contrastant avec lui-même, énarque. Le second est l’abandon de pans du programme classique et traditionnelle de gauche au RN, notamment sur les questions laïques, républicaines, de défense des services publics (il mentionne les privatisations, politiques effectuées massivement par L. Jospin quand celui-ci était premier ministre), ou encore la défense de la production et de l’industrie… Troisième phénomène, le discours : une certaine « préciosité » dans le militantisme, ainsi qu’un usage suranné d’arguments moraux, créeraient des « barrières » avec les gens.
Quelle marche à suivre alors, pour créer ce changement radical ? Au-delà des effets attendus des projets de l’Ecole de l’Engagement, pourvoyeuse de nouveaux éléments aux partis, et du service public populaire, tendant à recréer du lien entre le champ politique et les petites gens, à l’instar du PCF de l’époque qui mêlait éducation populaire et solidarité (ce qu’il s’efforce toujours de faire aujourd’hui), il s’agit pour P. Brun de porter politiquement des sujets concrets, touchant à la vie quotidienne.
Ainsi, il prépare par exemple avec L. Rossignol une proposition de loi pour créer un statut national pour les familles monoparentales en 2025, dans la logique du « féminisme populaire » promue par cette dernière, et il dépose une proposition de loi pour lutter contre les pannes d’ascenseur (qui fut d’ailleurs adoptée). Cette activité parlementaire se couple d’une lutte d’influence : pour lui, le congrès du Parti Socialiste en 2025 sera « un moment décisif pour un changement de ligne. » Il encourage aussi l’engagement des militants d’autres formations à faire porter les ambitions d’une « ligne populaire » partout à gauche, contre le jeu des investitures et des apparatchik.
Le changement, c’est (enfin) maintenant ?
Un changement radical, c’est en même temps ambitieux et un discours que l’on retrouve régulièrement à gauche. Au-delà du projet, de la personnalité, du programme, qui sont toujours singuliers, il s’agit, en l’état du champ politique actuel, d’évaluer les perspectives de ce saut vers l’inconnu. Un changement radical demande en effet de revoir les bases, les doctrines, mais aussi la place de chacun dans les édifices politiques installés depuis longtemps, et par nature réticents au changement, et surtout à la remise en question – comment désavouer ce en quoi on a cru des années durant ? Comment remettre en cause ses méthodes, ses discours, sans se renier et s’effacer ? Même si ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace, P. Brun place tout de même son espoir dans le PS, notamment, car « c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleurs soupes. »
La ligne à tenir pour effectuer ce changement radical est cependant très fine, et demande mille précautions, inhibant dès lors ses perspectives les plus profondes. Dans son discours, qui ne se voulait pas celui d’un « grand chef » (pique à la France Insoumise), on y retrouve du Montebourg (défense de l’industrie, de la souveraineté) et du Mélenchon cru 2017 (République, laïcité). Un programme majoritaire dans la population (les nombreux sondages d’opinion l’attestent), mais qui pourrait avoir quelque difficulté à obtenir l’adhésion totale des militants de gauche.
En effet, la ligne à tenir est fine : il s’agit – exemples énoncés à des moments différents du discours – de défendre la laïcité dans la digne continuité des socialistes historiques, tout en prônant moins de débats sur l’islam, le halal, à la télévision, pour plus parler des déserts médicaux. Si ces deux propos ne sont en rien contradictoires en soi, et s’ils suscitent de vifs applaudissements (après certes un départ timide), la structuration du champ politique et médiatique risque d’empêcher cette voie médiane et mesurée de s’exprimer pleinement.
De même, les adhérents socialistes seront-ils sensibles à l’industrie verte ? Elément parmi d’autres des propositions programmatiques de P. Brun, c’est le seul qui suscita seulement des applaudissements timides. Toute la difficulté se trouve là : dans un contexte de polarisation croissante, toute déviation ou proposition nouvelle face aux canons « progressistes » et « de gauche » aura à effectuer un travail monstre de pédagogie et bien montrer patte blanche, pour ne pas être vouée aux gémonies par les partis, mouvements et personnalités en place. Déjà, Libération fait état d’un « agacement » de la part de la direction du PS.
Reprenant les tenants classiques et historiques du socialisme réformiste, avec pour ambition une réconciliation entre le champ politique, les partis de gauche et les classes populaires, notamment en terres conquises par l’extrême droite, La Ligne Populaire a de quoi séduire. Le congrès du PS en 2025 sera le premier test : arrivera-t-elle à représenter une alternative ? A défaut, représenter une grande partie des propositions des mouvements internes vainqueurs de cette échéance ? Pourra-t-elle amalgamer autour d’elle les formations et personnalités qui s’inscrivent dans les mêmes perspectives programmatiques ? On pense à la Fédération de la Gauche Républicaine (GRS, MRC, l’Engagement, Les Radicaux de Gauche) ou au Parti Communiste…
T. Noree
Poster un commentaire