Le nœud gordien ou la démission d’Emmanuel Macron

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Selon toute vraisemblance, dans quelques jours, la France n’aura plus de gouvernement. François Bayrou sera certainement remplacé à Matignon et son successeur sera déjà le cinquième Premier ministre nommé en l’espace de trois ans. Jamais depuis la chute de la Quatrième République la France n’aura connu pareille instabilité institutionnelle. Et celle-ci survient au son des bombardements, en un temps où plane l’ombre d’une grave crise de la finance mondiale. En proie à un problème difficilement soluble, notre pays doit se tenir prêt à trancher le nœud gordien.


Au bout d’un modèle

Il semble que nous soyons parvenus au dernier stade de délitement de notre modèle de société. Le régime démocratique, parlementaire et national, tel que nous l’avons façonné depuis la Révolution française, ne fonctionne plus. A l’origine formulée pour répondre aux chocs gigantesques provoqués par l’industrialisation et le parachèvement de l’État-Nation, ce modèle ne parvient plus à avoir de prise, tant sur la rupture anthropologique qu’annonce l’intelligence artificielle que face aux menaces qui pèsent dans un champ économique largement mondialisé. Il en va de même pour le consensus social. Érigé à la Libération sur la base de l’entente nouée entre les gaullistes et les communistes, ce consensus a pour intention louable d’édifier en France un État social résolument protecteur et vigoureusement interventionniste en matière économique.

Depuis quarante ans, le programme du CNR a été vidé de sa substance. Dans le cadre des traités européens, la France a agi contre elle-même. En libéralisant son rail ou en ouvrant le capital d’EDF. En dérégulant son Code du travail ou en réformant son régime de retraites. En modifiant les structures de ses administrations centrales ou en créant des régions à plusieurs vitesses. Souvent, tout ceci a été fait contre la volonté générale. Conséquemment, dans l’impasse où nous sommes, se confrontent deux forces aux intérêts antagonistes. D’une part l’agenda politique, de l’autre le peuple.

L’agenda politique d’abord. Décliné sans interruption depuis le début du XXIe siècle, il poursuit une logique d’adaptation infinie à la mondialisation concurrentielle, libre et non faussée. En parallèle de quoi, il essaie de maintenir, à minima, les vestiges du modèle social de l’État-providence. Outre les choix économiques hasardeux et fatalistes, cette politique s’est massivement illustrée par l’orientation de l’essentiel des efforts vers la classe moyenne active, en limitant l’ambition des investissements nationaux, en épargnant les retraités, en garantissant des facilités fiscales aux grands groupes et, par extension, aux plus fortunés. Ne tranchant jamais entre une adaptation complète aux règles de la mondialisation sauvage et la défense acharnée d’un État providence auquel le peuple reste attaché, cet agenda social-libéral s’est avéré être un échec sur toute la ligne. Il n’a certainement pas fait de la France un champion dans la mondialisation, il n’a pas davantage satisfait les Français quant à la qualité de leur condition de travail et de leur protection sociale.

Conséquence de quoi, entretenant des logiques économiques contradictoires, la classe au pouvoir n’a cessé d’alimenter un endettement, qui atteint désormais des niveaux déraisonnables, obérant nos ambitions nationales. Quelques statistiques en témoignent. En 2002, à la fin du Gouvernement Jospin et au moment de notre entrée effective dans l’euro, la France supportait un endettement de 57,1% du PIB et un déficit public de 1,4%. Un quart de siècle plus tard, nous en sommes rendus à 114% d’une part et à 5,4% de l’autre. Ceux qui agitent les peurs du surendettement sont les mêmes à se partager les responsabilités depuis 25 ans. Comment pourrait-on leur faire confiance ?

Depuis quarante ans, le programme du CNR a été vidé de sa substance.

C’est là qu’intervient le peuple et que se grippe le processus. Contrairement à une idée répandue dans les cercles technocratiques de la Commission européenne ou dans les directoires des grandes banques d’affaires, en droit, le peuple demeure l’exclusif souverain. Suivant le principe fondamental qui est inscrit dans la Constitution, nous sommes toujours censés être régi par « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». La réalité, c’est que si nous conservons une souveraineté formelle, nous sommes dépossédés de la souveraineté réelle. Dès lors, quels que soient nos choix politiques exprimés à l’occasion des élections, leurs traductions en acte n’adviennent plus.

Emmanuel Todd l’analyse crûment. Il rappelle que depuis 1995 et la fameuse campagne chiraquienne sur le thème de la « fracture sociale », chaque élection a vu émerger une candidature audacieuse, qui évoque l’exclusion et en appelle au peuple pour dégager une synthèse interventionniste, sociale et modérément européenne. Mais, une fois élu, le président s’assoit sur tous ces thèmes pour mener une politique conformiste et orthodoxe. La Commission européenne et les marchés financiers peuvent applaudir, le peuple, lui, perçoit qu’il a été trompé. D’où le processus de dégradation démocratique dans lequel nous errons.

Si nous conservons une souveraineté formelle, nous sommes dépossédés de la souveraineté réelle.

D’élections en référendum, de manifestations contre la réforme des retraites en insurrection des Gilets jaunes, la volonté populaire ne parvient plus à s’exprimer par la voie des outils institutionnels normaux. Voilà pourquoi, depuis une quinzaine d’années, des moyens d’expression plus violents surgissent à mesure que Marine Le Pen concentre sur son nom une partie de la synthèse du refus et que le reste échoit à Jean-Luc Mélenchon. Pendant ce temps, l’imbécile agenda de l’élite éclairée, autoproclamée comme telle, se poursuit. Ce qui accouche de l’une des plus importantes crises du consentement que la France ait connu depuis 1789.

Au bout d’un mandat

La mise en garde populaire, autour de la journée d’action du 10 septembre, menace d’exprimer brutalement l’état de désespoir social du pays. Pendant ce temps-là, les marchés continueront de jouer avec les peurs. Dès lors, quel qu’il soit, le prochain Premier ministre sera confronté aux mêmes écueils que ceux sur lesquels se sont abîmés Elisabeth Borne et Gabriel Attal et contre lesquels ont été renversés Messieurs Barnier et Bayrou. Il n’y pas de majorité parlementaire pour avaliser la continuité de cet agenda politique. Il n’y a plus de consentement populaire pour maintenir ces gens là aux affaires du pays. Aucune issue ne semble donc possible avec cette arithmétique parlementaire et avec la classe politique en présence. L’entente d’une partie de la gauche européiste avec le centre apparaît comme illusoire. Les combinaisons d’appareils l’emportent à mesure que les postures meublent le temps d’antenne. Ainsi la France se débat-elle avec la classe politique la plus médiocre qu’elle ait eu à supporter depuis la Monarchie de Juillet.

Au lendemain de la probable défiance parlementaire du 8 septembre 2025, l’issue politique sera compliquée. Pourtant, elle pourrait être simple et prendre la forme d’une alternative. Ou bien attendre le prochain rendez-vous national, normalement prévu au printemps 2027, avec un gouvernement borné au maintien de la continuité de l’Etat. Ou bien accélérer le calendrier et anticiper une résolution démocratique et organisée de la crise dans laquelle la France est engluée.

La première formule suppose l’émergence d’une union sacrée des forces politiques. Cette solution, que défend notamment Henri Guaino, n’apparaît pas envisageable en l’état des choses. Parce que le fonctionnement d’une telle formule n’est possible qu’à la condition de la participation de toutes les forces parlementaires en présence, incluant aussi bien les insoumis que le Rassemblement national, en passant par les socialistes et la droite. Il est très difficile d’envisager un tel gouvernement tant les réflexes partisans de la classe politique en présence sont forts et que les calculs électoraux restent prédominants.

La France se débat avec la classe politique la plus médiocre qu’elle ait eu à supporter depuis la Monarchie de Juillet.

Reste l’accélération du calendrier électoral. Mais dans quel ordre ? Prononcer une nouvelle dissolution parlementaire automnale aurait assurément la vertu de ramener la dispute sur un terrain démocratique. Toutefois, la brièveté d’une campagne anticipée et la désorganisation actuelle de l’ensemble des forces politiques ne déboucherait pas nécessairement sur un verdict clair. Le RN est toujours suspendu à un procès en appel pour savoir qui est son véritable chef de file. La France insoumise est en ordre de bataille, mais elle est seule contre ses anciens partenaires de gauche, qui eux ne disposent pas d’un programme et d’une stratégie politique. Le camp central est morcelé et se sait structurellement minoritaire. LR est à l’entame d’un fragile redressement qui n’a pas cristallisé. Aussi, l’hypothèse d’élections législatives n’assurerait pas automatiquement la résolution numérique de l’absence de majorité. Elle ne trancherait pas davantage la ligne économique et sociale que doit conduire la France. Et, quand bien même une force dégagerait une majorité suffisante, une cohabitation d’un an et demi ne ferait que différer la résolution générale de la crise et limiterait la capacité d’action d’un éventuel gouvernement. Et voilà comment la France se heurte à nouveau au nœud gordien.

Sortir le glaive et trancher le nœud

Dans la mythologie antique, le nœud gordien est un type de situation apparemment inextricable qui ne trouve d’autre issue que par une solution simple et saisissante, qui consiste à offrir un sacrifice inattendu pour régler une problématique insoluble. Depuis l’épopée d’Alexandre Le Grand, cela revient à sortir le glaive pour trancher le nœud gordien.

Nous sommes dans une situation de ce type. Quand bien même la classe politique en présence a largement contribué à l’aggravation de la crise, il n’en demeure pas moins que l’initiateur du désordre s’appelle Emmanuel Macron. Réélu sans campagne, en tordant le bras à une partie de l’électorat, celui-ci n’a tiré aucune conséquence de la majorité relative issue des urnes de juin 2022. Confronté à une crise sociale aiguë durant la réforme des retraites, celui-ci n’a pas reconnu qu’il ne disposait pas d’un mandat populaire pour imposer un texte viscéralement rejeté. Désavoué aux élections européennes, celui-ci n’a pas correctement évalué les conséquences de sa dissolution précipitée. Défait aux législatives, celui-ci n’a pas recherché une formule gouvernementale apte à garantir le calme parlementaire et la continuité de l’Etat.

Emmanuel Macron agrège contre lui une trop large majorité de notre pays. Par son attitude déraisonnable, il affaiblit la fonction qui lui a été confiée en mai 2017. En conséquence de quoi, soulageant une crise qui menace de s’aggraver lourdement d’ici le terme normal de son mandat, Emmanuel Macron est le seul à pouvoir trancher le nœud gordien en offrant à la résolution de la crise son propre sacrifice politique. Emmanuel Macron devrait démissionner de la présidence de la République française.

Alexandre tranchant le nœud gordien, Jean Simon Berthélemy, 1764
Alexandre tranchant le nœud gordien, Jean Simon Berthélemy, 1764

Mais il conviendrait de le faire dans l’ordre et avec méthode. Étonnamment, c’est la proposition suggérée par Jean-François Copé qui semble être la formule la plus sérieuse et la plus intéressante pour résoudre la crise. En quoi consiste cette proposition ? Dès la chute du gouvernement Bayrou, il reviendrait au Président de la République d’annoncer son départ après les élections municipales, au 1er avril 2026. Ainsi, les forces politiques disposeraient de suffisamment de temps pour s’organiser, pour désigner leurs candidats et pour arbitrer leurs projets électoraux. La démission rendue effective, les élections présidentielles anticipées pourraient se tenir en avril-mai 2026. Une fois élu, le nouveau Président de la République pourrait prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, élue en juillet 2024, et convoquer des élections générales au mois de juin suivant.

La crise serait-elle assurément résolue ? Peut-être que non. Mais il est manifeste que la frustration nationale dans laquelle nous errons ne peut rien dégager de bon à mesure qu’elle se dilate dans le temps et que s’aggravent les problèmes des Français. Le désir de confrontation est tel dans notre peuple, qu’une telle formule permettrait-elle au moins de pacifier les choses par une grande confrontation sur le seul terrain qui vaille. La dispute démocratique.


Adrien Motel

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