On est toujours déçu quand on s’aperçoit que notre démocratie représentative n’est même pas capable de faire émerger les questions sérieuses de notre époque, celles concernant la souveraineté et l’avenir économique du pays, et les élections présidentielles qui approchent prennent jusqu’ici l’allure d’une farce électorale dans laquelle ces questions ne seront pas posées, et en définitive, esquivées. L’état de santé d’une telle démocratie est somme toute inquiétant, voyage au cœur du mal français.
Je ne lui en demande pourtant pas tant, à la démocratie représentative, je ne lui demande pas de répondre dans un sens que j’estimerais favorable à ces questions sérieuses, je lui demande simplement de les poser, ce qu’elle est manifestement incapable de faire. On pourrait même croire qu’en démocratie représentative, les questions futiles chassent les questions sérieuses comme la mauvaise monnaie chasse la bonne.
Il nous faut distinguer la petite politique et la grande politique. La grande politique concerne les affaires internationales, la politique économique, l’organisation de la démocratie, etc. elle concerne tout ce qui pèse, tout ce qui est sérieux, c’est-à-dire les grandes décisions qui déterminent nos existences présentes et futures. La petite politique concerne ce qu’on appelle les questions de mœurs, les questions sociétales — dont je ne nie pas l’intérêt, certaines questions se posent évidemment — mais dont la gravité et l’importance sont tout à fait dérisoires par rapport à celles de la grande politique.
Pardonnez-moi, mais se positionner pour ou contre l’écriture inclusive ou sur d’autres enfantillages de ce genre me paraît tout à fait futile quand cela va faire bientôt vingt ans que notre pays est en situation de déficit commercial.
C’est peut-être un peu dur. On parlera bien de la question économique dans ces présidentielles, mais sous quel angle ? On remarque un certain changement de ton dans le discours de l’orthodoxie économique euro-libérale qui nous sert d’idéologie officielle. Depuis la crise du Covid, il ne faut plus parler de mondialisation heureuse, la formule faisant mauvaise recette, mais de réindustrialisation, formule que l’on a pu entendre dans la bouche même du président Macron[1].
Dans le fond, pourtant, c’est toujours la même politique. Il s’agissait autrefois de « s’adapter » à la mondialisation, en réduisant la part de l’Etat dans les affaires économiques et en baissant les salaires (précisément en s’attaquant aux cotisations soit à la part de salaire indirect, politiquement plus facilement attaquable que les salaires directs). Il s’agirait aujourd’hui de réindustrialiser, mais comment ? En réduisant le rôle économique de l’Etat et en baissant les salaires ! Selon les euro-libéraux donc, la politique qui permettrait une réindustrialisation est exactement la même politique que celle qui a produit la désindustrialisation !
Soyons sérieux, cette politique de réindustrialisation que l’on nous vend est une mascarade, ils ont simplement changé de mot pour mieux nous vendre la même politique.
Selon les euro-libéraux donc, la politique qui permettrait une réindustrialisation est exactement la même politique que celle qui a produit la désindustrialisation !
Ne viendrait-il pas à l’esprit de ces braves génies que la désindustrialisation est une conséquence de la mauvaise position de la France dans le commerce international ? Que la France ne peut pas tenir la concurrence face aux pays à bas salaire comme la Chine sans faire de protectionnisme ? Qu’elle ne peut pas non plus faire face à la concurrence d’un pays comme l’Allemagne, avec une monnaie unique surévaluée pour la France et sous-évalué pour l’Allemagne ?[2]
Voici le genre de questions sérieuses qui devraient faire la Une des journaux et être débattues quotidiennement dans les émissions de talk-show radiophoniques et télévisuelles, si nous étions dans une démocratie représentative fonctionnelle…
Mais le capital, et les hauts-fonctionnaires, et toute cette aristocratie stato-financière, ont bien trop d’intérêts à noyer les questions économiques non seulement sous un flux continu de propagande et de désinformation, mais également sous un flux continu de débats futiles et de débats sur les mœurs tous plus absurdes les uns que les autres.
Un nouveau trublion entre en scène
Les élections présidentielles de 2O22 approche et il y a tout lieu de penser que la campagne de cette élection va se dérouler sur le thème de l’identité. Il est même possible d’affirmer ici que l’extrême-droite va attirer toute l’attention durant la campagne, que l’on n’aura d’yeux que pour elle, que l’on ne parlera que d’elle, qu’on ne luttera que contre elle, et qu’au soir du second ce sera un candidat euro-libéral et centriste qui sera élu.
Sensation de déjà-vu ? On semble être parti pour une campagne dans les grandes lignes similaire à celle de 2017, le même spectacle de pantins, grosso modo, avec quelques variantes. Quelques marionnettes ont en effet changé.
Si le pantin présidentiel, Guignol, sera bien toujours présent, le pantin méchant qui vient taper sur Guignol, avec son gros bâton, va être joué cette année par un nouvel acteur, bien à l’aise dans son nouveau rôle. Eric Zemmour a en effet annoncé sa candidature depuis le 30 novembre dernier et il faut bien dire que le début de la campagne présidentielle a quasi entièrement tourné autour de sa personne, on frôle aujourd’hui l’overdose de Zemmour.
Disons-le d’emblée : Eric Zemmour n’a aucune chance de remporter les présidentielles. Il est bien trop clivant et extrémiste pour convaincre une majorité de français ; et ce n’est pas demain la veille qu’un partisan de la théorie du grand remplacement s’installera à l’Elysée.
Zemmour dit combattre la décadence, mais il est lui-même une partie de la décadence, Zemmour est une dégradation du débat public. Prenons quelques exemples : une critique de l’immigration est légitime, mais pourquoi la ridiculiser par la croyance en un grand remplacement ?
Il y a certes des critiques à produire sur l’islam en France mais est-il nécessaire pour cela de croire que « L’inconscient collectif [des] populations musulmanes est de coloniser l’ancien colonisateur, de dominer l’infidèle au nom d’Allah [3] » ? J’aurais plutôt tendance à croire que les immigrés maghrébins étaient venus en France pour travailler et non pas guidés par leur inconscient pour coloniser l’ancien colonisateur.
Enfin, la polémique sur les prénoms[4], lancé par le candidat Zemmour qui veut obliger les parents à donner un prénom issu du calendrier pour les nouveau-nés, confirme une chose : Zemmour n’a pas l’intention de parler de grande politique mais sera au contraire, dans cette campagne, producteur de questions de mœurs et de débats stériles. Que les puissants soient rassurés, Zemmour fera de la petite politique.
Zemmour dit combattre la décadence, mais il est lui-même une partie de la décadence, Zemmour est une dégradation du débat public.
Zemmour n’est évidemment pas le seul candidat à fustiger sur ce point, toute une partie de la gauche, ou plutôt quasiment l’intégralité de la gauche, est experte en ce qui concerne l’agitation de ces débats de mœurs futiles. C’est le triomphe de l’individualisme. Les grandes questions collectives sont marginalisées tandis que les questions concernant l’individu, ses mœurs et sa façon de vivre, occupent une place surdimensionnée par rapport à leur importance.
Mais revenons sur la candidature Zemmour, puisque c’est bien celle-ci qui sera l’attraction de ces présidentielles, n’est-elle pas une bénédiction pour Macron et plus globalement pour la caste centriste qui s’est arrogée le pouvoir depuis une cinquantaine d’années ? Il y a tout lieu de le penser.
Au-delà du calcul purement électoral, Zemmour venant en effet marcher sur les plates-bandes de Marine Le Pen et lui piquer des électeurs, l’ancien chroniqueur de CNews vient dynamiser une campagne qui s’annonçait ennuyeuse et caricaturale, il vient sauver en quelque sorte une élection qui s’annonçait trop grossièrement comme un remake de l’élection de 2017.
Tout donne l’impression que ce nouveau personnage dans la grande comédie électorale vient éviter le désaveu d’une mascarade présidentielle un peu trop voyante.
Anthony Gelao
[1] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/emmanuel-macron-veut-accelerer-la-reindustrialisation-des-territoires-20211025
[2] Voir par exemple cet entretien publié sur Gavroche https://gavrochemedia.fr/jacques-sapir-et-nicolas-dufrene-ue-euro-lheure-des-choix/leandre/
[4] https://www.magicmaman.com/interdire-les-prenoms-etrangers-en-france-la-proposition-polemique-d-eric-zemmour,3684781.asp
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