Un virage réactionnaire dans l’extrême-gauche

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La réception complaisante du dernier ouvrage de Houria Bouteldja dans les milieux d’extrême-gauche interroge. L’autrice de Beaufs et barbares : le pari du nous y prône une voie résolument identitaire et anti-moderne qui heurte les principes fondamentaux de la gauche française. Mais sa stratégie de séduction de la gauche radicale semble pourtant avoir un certain succès.


Le Média, site d’actualité classé gauche radicale, a récemment réalisé un « entretien choc » avec Houria Bouteldja, ancienne porte-parole du Parti des indigènes de la République et Louisa Yousfi, autrice et membre du même mouvement. Un document étonnant digne d’une perverse comédie sociale. Il serait difficile de faire l’inventaire des confusions historiques et des névroses identitaires déployées par les deux invitées, ainsi que de rendre l’atmosphère hallucinée de l’entretien. Toutefois, il est possible de déceler quelques moments caractéristiques.

Dès le départ, le ton est cordial, et on s’entend bien. Le journaliste Julien Théry fait une présentation élogieuse de l’autrice et de son mouvement. La première intéressée répondant : « C’est la première fois que j’entends un journaliste de gauche reconnaître l’apport du mouvement décolonial en France. » Cela était évidemment une infamie, car selon elle, « on a bouleversé le cadre de la pensée politique. On a provoqué un certain nombre de débats parce qu’on était en rupture avec le champ politique blanc, dans lequel on avait du mal à s’insérer à cause de la condition qui était la nôtre, celle de l’indigénat post-colonial. » Ainsi, tout s’explique.

Un nouveau complotisme ?

Il n’est pas trop de dire que la vision des « indigènes » repose essentiellement sur un complotisme bas-de-gamme. Selon eux, « L’État racial intégral » organise la domination de la blanchité – ce qui explique entre autres le rejet des thèses de Bouteldja par la gauche radicale. C’est la vision d’un complot républicain visant à détruire l’identité des non-blancs – « Nous voulons protéger les formes de vie qui ne sont pas soumises à la blanchité » – et contre lequel il s’agirait de lutter en revendiquant son identité dans toutes ses composantes. Cela donne lieu à un étonnant échange. « Je vais à l’encontre du projet de la beurette émancipé », dit Bouteldja. « Qui est un projet politique », renchérit Théry. Elle ajoute : « Oui, je le sais très bien. C’est un projet de trahison. »

Ajoutons que pour Houria Bouteldja, l’homophobie dans les pays du Sud n’est pas issue de leur propre histoire ni de leur propre culture, mais qu’elle est une forme de résistance face à « l’impérialisme gay ». Résistance que l’on retrouve dans les quartiers populaires français. Ainsi, elle affirmait elle en 2013 que « les quartiers populaires répondent à l’homoracialisme par un virilisme identitaire et… toujours plus d’homophobie. Quelle que soit la laideur apparente des réactions, elles ont une motivation commune : une résistance farouche à l’impérialisme occidental et blanc et une volonté obstinée de préserver une identité réelle ou fantasmée. »

 

« C’est la première fois que j’entends un journaliste de gauche reconnaître l’apport du mouvement décolonial en France. »

 

Aussi, la vision économique développée par Bouteldja est chaotique. Les Trente Glorieuses résulteraient d’un pacte racial entre les classes populaires blanches et la bourgeoisie blanche sur le dos des peuples du Sud, et la bourgeoisie aurait rompu le pacte racial en adoptant le néo-libéralisme. L’Occident y est globalement présenté comme le grand Satan et tout ce qui peut aller contre lui est bon.

L’émancipation individuelle est un « projet capitaliste », et le progressisme « n’est pas pour tout le monde », et c’est pourquoi Louisa Yousfi nomme son livre Rester barbare. Voilà qui devrait plaire aux progressistes des mondes arabo-musulman et africain. La vision ethno-différentialiste est ici assumée, tout comme le rejet de l’universalisme.

L’aspect sectaire est évident, tandis que la « civilisation des petits blancs » est présentée comme « morte », seuls les indigènes – et leurs éminents représentants – ont en eux une puissance charismatique capable de véritablement changer les choses.

« C’est une attitude insolente et charismatique de dire “Oui nous sommes des barbares, et alors ?” » – Louisa Yousfi

Le bouteldjisme, nouvelle étape et apothéose du gauchisme culturel

Tout le long de l’interview, la gêne est palpable. On assiste à une longue séance d’auto-flagellation de la part de l’intervieweur, qui accepte toutes ces catégories sans broncher, ou plutôt en acquiesçant et en appuyant ce qui est entendu. Il a pourtant dû avaler tant de couleuvres… Les deux invitées sont cyniques. Elles ont vu dans le fétichisme d’une vision fantasmée des banlieusards, un élément du gauchisme culturel en France, un moyen de domination symbolique et narcissique dans les milieux militants très particuliers de l’extrême-gauche, et elles en abusent.

Jusqu’où va aller la dérive ? On a pu récemment entendre l’auteur et essayiste à succès François Bégaudeau voir dans l’ouvrage de Houria Bouteldja un « petit chef-d’œuvre ». Ils ont fini par discuter publiquement dans un live Twitch d’une chaine indigéniste. Ce mouvement décolonial se targue, à raison, d’avoir influencé la ligne politique de La France Insoumise, dont les inflexions après 2017 ont permis à Houria Bouteldja de qualifier Jean-Luc Mélenchon de « butin de guerre ». Ils disposent également d’une haute respectabilité dans certains milieux de la gauche radicale ou révolutionnaire.


Avec ce phénomène Bouteldja, les présupposés ethno-différentialistes et anti-républicains contenus dans le gauchisme culturel, qui étaient autrefois souterrains, sont en train de ressortir de façon patente. Moment révélateur s’il en est d’une déliquescence de la gauche et du socialisme. Souscrire à une telle médiocrité intellectuelle n’est pas acceptable. À un moment donné, « ça doit faire tilt », normalement.

 

Anthony Gelao

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