La Constitution (encore) maltraitée

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L’occasion était trop belle… Le Conseil constitutionnel aurait pu utiliser ces saisines afin de s’affirmer comme contre-pouvoir, il n’en n’a rien fait. Dont acte, cette décision – au demeurant historique – permettra de renvoyer durablement aux poubelles de l’Histoire une institution qui, tout compte fait, n’aura jamais cessé d’être à la botte du pouvoir.


La décision fut rendue aux alentours de 18h : non-conformité partielle. Si ces quelques mots suffirent à doucher les espoirs de bon nombre d’entre nous, demeurait encore la question du référendum d’initiative partagé (RIP). Seconde déception puisqu’il fut rejeté.

Un véhicule législatif prétendument adapté

Le premier reproche avait trait au recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), c’est-à-dire au fameux article 47-1, dans le cadre d’une réforme des retraites. Selon les requérants, il y avait là un détournement de procédure dans la mesure où il ressortait clairement des travaux préparatoires de la révision constitutionnelle de 1996 – à l’issue de laquelle fut introduit dans la Constitution les lois de financement de la sécurité sociale – que le mécanisme ici utilisé aurait dû être réservé à certaines situations d’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à la correction de déséquilibres financiers majeurs.

Le second concernait directement la mise en œuvre des délais d’examen prévus à l’article susmentionné. En effet, d’après les auteurs de la saisine, le 47-1 ne faisant pas référence aux PLFRSS mais aux PLFSS, dès lors les délais restreints ayant encadré la procédure législative étaient caduques.

Si ce dernier grief fut aisément balayé – le Code de la sécurité sociale disposant que les lois de financement rectificatives de la sécurité sociale ayant le caractère de loi de financement de la sécurité sociale – le rejet du premier argument fut pour le moins… audacieuse. En effet, dans un huitième considérant, les « sages » affirmèrent péremptoirement que :

Il ne ressort ni des termes des dispositions constitutionnelles et organiques précitées, ni au demeurant des travaux préparatoires des dispositions organiques en vigueur, que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait subordonné à d’autres conditions que celles résultant de ces dispositions, et notamment à des conditions qui tiendraient à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux.

Ainsi, le Conseil balaya d’un revers de main l’esprit du texte, pourtant bien décelable à travers les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle. C’est ignorer sciemment que le ministre du travail et des affaires sociales de l’époque, Jacques Barrot, avait expressément dit : « les lois rectificatives doivent rester l’exception. Elles pourront par exemple résulter d’un changement de gouvernement, de modifications importantes et brutales du contexte de santé publique. Exceptionnellement, elles tireront les conséquences d’une évolution économique ou d’une dérive des finances sociales d’une telle ampleur que les objectifs votés seraient devenus caducs » ; « le gouvernement ne veut pas non plus que les lois de financement de la sécurité sociale se transforment en lois portant diverses mesures d’ordre social ».

Un débat parlementaire magiquement clair et sincère

Dans un deuxième temps, le Conseil constitutionnel s’est attelé à examiner le grief selon lequel, entre autres, la multiplication des outils de rationalisation du parlementarisme aurait porté atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. En effet, Dans la mesure où il s’agissait de la première fois dans toute l’histoire du régime où autant d’armes constitutionnelles étaient employées pour un même texte de loi (recours aux articles 47-1, 44.2, 44.3 et 49.3 de la Constitution ainsi que l’article 38 du règlement du Sénat), la question méritait d’être posée.

Cependant, en l’espace de quelques lignes, le Conseil balaya l’argumentaire des requérants. Nous vous laissons en juger par vous-même :

68. D’une part, il résulte des termes mêmes de la première phrase du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution que le constituant a entendu permettre au Premier ministre d’engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale examiné dans les conditions prévues par son article 47-1. Il n’a, en outre, pas limité l’usage de cette faculté à un seul projet de loi de financement par session, comme il l’a fait pour d’autres projets ou propositions de loi.

69. D’autre part, la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi.

70. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.

Comme à son habitude, le Conseil constitutionnel excelle grâce à sa vacuité argumentative et réflexive : les mécanismes étant inscrits dans la Constitution, tout est bon ! Circulez petites gens, il n’y a rien à voir. À l’avenir, un gouvernement pourra donc enchaîner les coups de force sans que les exigences de « clarté et la sincérité des débats parlementaires » ne soient, aux yeux du Conseil, violées.

Le cache-misère, ou la censure des « cavaliers sociaux »

Six groupes de dispositions ont ainsi été censurés en cela qu’ils n’avaient pas d’effet sur les comptes de la sécurité sociale pour avoir une place dans un PLFRSS : l’index senior, le CDI Senior, les dispositions sur le recouvrement des cotisations par l’Agirc-Arrco, le départ anticipé pour certains fonctionnaires dits « actifs », le suivi individuel des salariés les plus exposés ainsi que le dispositif visant à améliorer l’information des salariés sur le système par répartition.

En effet, tant juridiquement que politiquement, la censure des dispositions susmentionnées s’imposait : non seulement elles n’avaient absolument rien à faire dans un tel projet de loi, mais encore le Conseil ne pouvait pas prononcer une validation totale. Entre la censure totale (on ne mord pas la main de celui qui nous nourrit) et l’absence totale de censure, une voie médiane lui semblait nécessaire.

Au surplus, un rapport du Conseil d’Etat révélé par le sénateur PS Jérôme Guedj mettait en lumière, dès janvier dernier, l’existence de cavaliers sociaux et enjoignait le gouvernement, compte tenu de l’absence d’effets financiers pour l’année 2023, à les disjoindre de la réforme. En d’autres termes, le gouvernement a sciemment laissé dans son projet de loi des mesures dont il savait pertinemment qu’elles seraient frappées d’inconstitutionnalité.

Enfin, cela fut une stratégie particulièrement habile : non seulement le gouvernement incluait des mesures « sociales » dans une réforme profondément antisociale, mais il offrait également des motifs d’inconstitutionnalité au Conseil afin que celui-ci puisse simuler une désapprobation de l’exécutif.

Le rejet compréhensible du référendum d’initiative populaire

Si d’aucuns avaient misé sur une censure partielle avec validation de la proposition de loi référendaire, la surprise fut d’autant plus grande en découvrant le rejet de celle-ci.

Prévu à l’article 11, ce mécanisme introduit par la révision constitutionnelle de 2008 prévoit qu’un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, les objets mentionnés au premier alinéa étant tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Or, ainsi que le souligne le Conseil constitutionnel, à l’heure où il a été saisi de cette proposition de loi visant à établir l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans… le Code de la sécurité sociale le prévoyait déjà. En d’autres termes, la proposition de loi référendaire ne portait pas sur une réforme, en cela qu’elle n’avait pas pour conséquence une modification de l’état du droit.

Ce fut d’ailleurs en anticipant un rejet de la proposition de loi des députés sur ce fondement que des sénateurs déposèrent une autre proposition de loi, laquelle entend non seulement fixer l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, mais comprend également quelques changements cosmétiques sur la contribution sociale généralisée (CSG). Demeure la question de savoir si le Conseil considérera qu’elle modifie ou non l’état du droit.

Aussi, telle est certainement l’une des raisons de la promulgation dans la nuit de la loi : éviter que d’autres RIP, moins ambigus, puissent être déposés. Concrètement, des parlementaires auraient pu profiter de la promulgation tardive pour proposer une loi référendaire établissant l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans. Une telle proposition aurait assurément modifié l’état du droit, donc serait nécessairement passé sans encombres auprès du Conseil constitutionnel.

Une journée qui fera date

Quelle que soit l’issue de cette épopée institutionnelle, les décisions n° 2023-849 DC et n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 seront marquantes. Juridiquement, d’une part, puisque juristes comme étudiants en droit ne manqueront pas de s’arracher les cheveux sur ces décisions. Politiquement, d’autre part, car cette journée sera celle de la troisième grande fracture démocratique que notre pays aura connu.

Ainsi que l’a très justement rappelé François Ruffin sur le plateau de BFMTV, le traité de Lisbonne – mépris à peine voilé des résultats du référendum de 2005 – et la révolte Gilets jaunes furent les deux grandes déchirures que connut la France en ce début de XXIe siècle. Cette absence de compromis social, les multiples passages en force, les innombrables mensonges proférés au cours du processus législatif et, maintenant, la censure partielle du Conseil constitutionnel sont autant d’éléments de nature à instiller, dans le corps social, le poison du ressentiment. Assurément, notre démocratie – du moins le peu qu’il en reste –  n’en sortira que plus meurtrie.

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