Réforme de l’enseignement: la régression intellectuelle générale

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C’est l’effervescence depuis des mois partout en France. Le gouvernement, tel un rouleau compresseur à égalité et à justice sociale ne cesse de nous gratifier de nouvelles réformes toujours plus imaginatives pour accentuer la paupérisation de la population. L’effet est palpable : Une liesse, des défilés et des slogans qui célèbrent la destruction de l’environnement, la précarisation, la pauvreté et la victoire des classes dominantes. Une belle leçon de fair play ! Le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche semblent s’être concertés pour maintenant terrasser le système éducatif tel qu’on le connaissait jusqu’alors. Nous ne parlerons pas de la réforme du Baccalauréat qui a causé énormément de troubles au sein des lycées. Occasionnant blocages, fuites, bras de fer avec une administration compatissante mais soumise au rectorat et une angoisse infernale pour les Terminales, la réforme est un échec. Le gouvernement aurait pu alors tirer les conclusions qui s’imposent au lieu de s’enfermer dans un logos de victoire faisant fi de toute autocritique. Il lui semble préférable donc de persister tête baissée dans son erreur et continuer de creuser dans l’espoir de trouver de l’or au milieu du limon.

La réforme du CAPES

Dans une volonté de redorer son blason, le ministre Jean-Michel Blanquer organisa une réforme du CAPES (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Secondaire) en Novembre 2019. Le projet a été, depuis, repoussé d’un an après la colère et la mobilisation des enseignants, et pour cause : le CAPES est le concours qui recrutera la plupart des professeurs du Secondaire, c’est-à-dire les personnes mises en relation directe avec les élèves de tout l’hexagone dans le but de construire ensemble le monde de demain. Aujourd’hui, les métiers de l’enseignement n’attirent plus remarque le ministre à juste titre. Il est vrai que devenir professeur doit être une décision mûrement réfléchie prenant en compte avantages et inconvénients avant d’assumer la gestion d’une classe. Le bas salaire, la pénibilité et la pression seront bien présents. La réforme Blanquer a donc pour objectif de rendre le concours plus attractif et comme principe le remplacement des épreuves de connaissances par des épreuves concernant les situations pédagogiques, la gestion administrative, les institutions républicaines. Une simple phrase afin d’illustrer davantage le propos : Les candidats au poste de professeur d’anglais n’auront plus d’épreuve orale d’anglais.

Voici des exemples concrets de changements dus à la réforme notamment en philosophie : Devenir professeur de philosophie impliquait de réussir une épreuve de dissertation, un commentaire de texte puis de passer deux oraux en présentant encore une fois une dissertation et un commentaire de texte. Lorsque le ministre affirme que les métiers de l’enseignement n’attirent plus, il a raison pour ceux de professeur de mathématiques et de français dont le CAPES peine à recruter. Cependant, le CAPES de philosophie c’est 100 places âprement disputées que l’élite seulement obtiendra. La suppression pure et simple de l’épreuve du commentaire de texte et le remplacement des oraux par des questions administratives et un entretien de motivation va euthanasier l’enseignement de la philosophie au lycée. La compétence est délaissée au profit de la gestion de classe ! Le savoir est délaissé au profit de la soumission aux valeurs républicaines usurpées par une classe dirigeante qui entend bien confisquer le pouvoir ! Certes, ces valeurs sont un code qui guide les enseignants et évite les dérapages mais il ne doit pas être un carcan qui détruit le plus grand trésor de l’éducation en France : la liberté pédagogique. Le gouvernement ne veut plus de professeurs de philosophie compétents mais des professeurs qui savent animer une classe. Mais comment animer une classe sans avoir les connaissances nécessaires de la matière qu’on enseigne ? Certainement pas en suivant des plans pédagogiques préconçus et sans saveur aucune ! Le résultat va être plus que catastrophique et les professeurs l’ont bien compris en s’opposant et en manifestant dès l’annonce de ce projet de loi aussi absurde qu’abject. Pourquoi abject ? Parce qu’en plus de placer des animateurs médiocres en face des élèves, ces derniers seront recrutés d’après un profil type spécifique. Nous sommes en droit de penser que leur docilité et leur loyauté au gouvernement seront déterminante dans leur sélection. Les professeurs de demain seront les pantins du gouvernement.

Cette réforme participe à un phénomène de régression intellectuelle globale, à une privatisation des concours de l’enseignement public à travers les entretiens d’embauche qui remplacent les épreuves orales et à un contrôle de la résistance citoyenne. Car quoi de mieux que des moutons pour former des moutons ?

La réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche

Nous verrons à présent la deuxième loi assassine que nous concocte la ministre Frédérique Vidal responsable de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le diagnostic est simple (voire simpliste) et consiste à dire que la France n’est pas compétitive dans bien des domaines notamment scientifiques et que, par conséquent, le système universitaire est défaillant et doit subir une réforme de son mode de fonctionnement. Ainsi naquit le projet de loi LPPR (Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche). L’objectif est de nous aligner au fur et à mesure sur le système américain, qui est tellement plus performant que le nôtre ! Nous ne rappellerons pas ici la menace de la bulle universitaire américaine et les étudiants qui croulent sous les dettes. Si le système américain est plus « performant », il n’est certainement pas plus sain. Oui, les plus grandes entreprises du monde sont américaines et oui, les plus prestigieuses universités ou écoles du monde sont américaines d’après le classement de Shanghai. Mais n’est-il pas temps d’interroger l’Histoire des populations, la croissance démographique, les relations internationales pour expliquer ces écarts de niveaux entre les universités de pays différents et même, pourquoi pas, discuter de la légitimité du classement de Shanghai ? La loi LPPR donc, prévoit une baisse à terme des effectifs de maîtres de conférences et de professeurs des universités dont le recrutement est déjà difficile1 et, pour ceux qui restent encore, une possibilité de diminution des obligations d’enseignement qui, jusqu’à aujourd’hui étaient de 192 heures annuelles. Le résultat est évidemment une économie d’argent public – et on se demande si ce n’est pas la seule chose qui intéresse réellement le gouvernement – pendant que les cours devront être assurés par les précaires, toujours plus nombreux, ce qui est dommageable à tous les niveaux2. Frédérique Vidal semble revenir sur cette mesure qui fonctionne comme un levier pour sembler satisfaire les mécontentements3.

Le manque de dynamisme de la recherche et son problème de rentabilité qui se révèle être en réalité un problème de visibilité et de valorisation va être stimulé par une compétition entre les chercheurs pour accéder aux précieux fonds de recherche. La ministre s’insurge contre le terme de compétition et préfère parler de « coopétition ». Un savant mélange de coopération et de compétition qui nous laisse imaginer une lutte acharnée mais dans la bonne humeur et l’entraide générale ! La rhétorique est aussi misérable que le projet de loi qu’elle est censée défendre.

Ce n’est pas tout. Frédérique Vidal et son groupe de petits scientifiques médiocres et probablement frustrés par une carrière universitaire sans grand intérêt et passés du coté administratif, vont plus loin et se proposent de lutter contre la précarisation en créant… de nouveaux statuts précaires pour assurer les cours et la recherche ! Existait alors déjà les ATER qui étaient rémunérés pendant la préparation de leur doctorat en échange d’une charge d’enseignement. Maintenant, la ministre veut créer des CDD de post doctorat, des CDI de chantier/projet dont la durée est en fait limitée, puisqu’elle dépend du chantier/projet et des chaires juniors équivalents du tenure track américain : contrats de 5 ou 7 ans, à l’issue desquels l’enseignant-chercheur est soit renvoyé, soit titularisé à vie. La ministre accuse les professeurs d’université de s’inquiéter de rumeurs et de faire grève sans rien de concret. Mais le problème est précisément celui-là : l’engrenage institutionnel est bien huilé et si le texte de loi passe en commission avant d’être public, les concernés n’auront que très peu de temps pour réagir. C’est exactement ce que veut Vidal qui a repoussé la création de la loi aux alentours de mai pour laisser les universités se vider et agir tant que l’opposition est désorganisée. Une stratégie vicieuse indigne d’un ministre de la République et un énième coup de poignard dans le dos de la démocratie.

Avec les réformes de l’enseignement, le gouvernement fait bien plus qu’appliquer une logique rentabiliste et capitaliste, il est en train de détruire ce que la France avait de plus beau : son patrimoine culturel et la qualité de l’éducation de la jeunesse. « Et la vie avec la pensée cède doucement la place au combat éternel entre le fanatique et le zombie », écrivait Alain Finkielkraut dans les dernières lignes de la défaite de la pensée. Il est temps de s’insurger car nous valons mieux que ça ! Nous ne sommes pas que des sujets qui subissons une éducation, nous sommes et resterons à jamais acteurs de notre éducation. Sauvons la libido sciendi ! En elle réside toute la beauté de l’enseignement.

Thomas Primerano
étudiant en philosophie à la Sorbonne, membre de l’Association de la Cause Freudienne de Strasbourg, membre de la Société d’Etudes Robespierristes, auteur de Hobbes contre les ténèbres, publié chez BOD

Sources:

1 http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8594

2 https://universiteouverte.org/2020/02/25/interpellee-par-les-facs-et-labos-en-lutte-vidal-precise-les-orientations-de-la-lppr-et-cest-chaud/

3 http://www.groupejeanpierrevernant.info/#Desenfumage

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2 réponses à “Réforme de l’enseignement: la régression intellectuelle générale”

  1. David says:

    Toutes ces réformes sont fort logiques ; en effet, il est tellement plus simple de contrôler un troupeau de moutons incultes qu’un groupe hétérogène d’adultes doués d’une capacité de réflexion individuelle et collective.
    La télévision apporte sa pierre à l’édifice, abreuvant dès le plus jeune âge les téléspectateurs d’un amas de bêtises incommensurables. Reste à finir de saborder l’éducation nationale pour être bien certain d’avoir un minimum de réflexion – et donc de contestation pertinente -à affronter. Je dis finir car la réforme du bac et de l’enseignement supérieur est bien la dernière étape d’une scolarité déjà bien amoindrie depuis longtemps pour le primaire et le collège. Niveler par le bas sous couvert de ne pas stigmatiser les plus faibles afin de maîtriser l’élite qui doit rester la plus restreinte possible et bien sûr adhérer à la stratégie générale sous peine de rejoindre le troupeau. C’est un peu aussi le principe du diviser pour mieux régner.
    Continuez vos articles. C’est très agréable de pouvoir lire autre chose que la pensée orientée.

    1. Thomas Primerano says:Auteur/Autrice

      Je suis intimement persuadé que votre analyse est la bonne. Notre arme face à ce nivellement vers le bas ce peut être la pluralité de nos sources d’enseignement. Comme le dit le philosophe Mill, le progrès culturel d’une société ne peut advenir que si l’enseignement n’est pas uniquement remis entre les mains de l’Etat. A nous de motiver nos pairs, nos proches et nos enfants à explorer, se documenter et découvrir d’autres visions du monde. Merci en tout cas pour votre commentaire. Il renforce notre motivation et nous détermine à continuer en ce sens.

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