Après les succès de « Merci Patron ! », « Debout les femmes » et « J’veux du soleil », François Ruffin et Gilles Perret reviennent sur le grand écran avec un nouveau film-documentaire : « Au boulot ! ». Une réalisation dont la vocation s’inscrit dans la lignée de leurs précédents films : mettre un nom, un visage et une histoire, sur les invisibles de la société.
Le storytelling est plutôt alléchant : c’est l’histoire de François qui emmène Sarah, avocate habituée aux plateaux de télé, dont la principale prouesse est de clamer son mépris vis-à-vis des smicards trop revendicatifs et envers ceux qu’elle appelle les « assistés », vivre leur quotidien le temps de quelques semaines.
En nous rendant au cinéma, nous avions deux craintes. La première : que le film soit centré autour de Sarah Saldmann et que le véritable enjeu du doc soit de savoir si cette représentante de la bourgeoisie mondaine allait réussir à communiquer avec les « gueux ». Que le tournage prenne la forme d’une téléréalité qui suit le tourisme social de cette dernière, une sorte de « Vis ma vie », de Martine à la montagne, Martine à la ferme, Martine à la mer… Alors qu’à vrai dire, nous nous en fichions un peu de Sarah Saldmann…
Notre seconde crainte était que ce film représente une caricature un peu grotesque : d’un côté Sarah la bourgeoise parisienne, qui fustige l’assistanat, de l’autre, les représentants de « la France d’en bas », aux idées politiques opposées. Nous craignions qu’il y ait ce clivage artificiel, omettant que, dans la réalité, une large partie des profils tenant un discours similaire à celui de Sarah Saldmann sur les chômeurs et l’assistanat sont eux-mêmes des gens au SMIC ou tout juste au-dessus.
Un film centré sur l’essentiel
Le début du film ne fait pas forcément disparaître notre première crainte. Sarah est partout, tout le temps, on lui demande ce qu’elle a pensé de telle ou telle expérience, si sa vision évolue. Elle s’en retrouve même « humanisée » lorsqu’elle est discrètement filmée en larmes après une discussion avec Louisa, auxiliaire de vie, qui lui décrit son quotidien. Mais au fil du doc, sa présence se fait de plus en plus rare, elle finit même par disparaître totalement dans les dernières minutes.
On comprend alors que alors que Sarah Saldmann fait surtout office de prétexte pour, finalement, se concentrer sur l’essentiel : le travail, la vie des gens, leur quotidien et souvent leur souffrance. Surtout, c’est l’occasion de leur donner de la dignité. En sortant de la salle, ce sont les visages de ces travailleurs habituellement invisibles que l’on garde en mémoire.
C’est leur histoire que l’on retient. Celle de Nathalie, agente d’entretien qui se trouve au chômage après avoir été licenciée par le grand hôtel pour lequel elle travaillait depuis 10 ans. Celle de Louisa, qui touche 1000 euros par mois pour prendre soins de nos aînés, qui fond en larmes en évoquant son quotidien; celles de Mohammed et Illies, intérimaires, sortis du système scolaire à cause de Parcoursup, contraints de continuer à vivre chez leurs parents; celle de cette femme qui emmène sa fille au Secours Populaire depuis plus de dix ans… Bref, toutes ces histoires singulières qui ont enfin le droit à la lumière.
Quant à notre seconde crainte, si le début du film nous pousse à redouter que ce clivage soit effectivement surjoué, nous sommes vite rassurés. Différents témoignages relatent la difficulté avec laquelle le fait d’être au chômage est souvent perçu dans les milieux populaires. Nathalie, par exemple, raconte s’être faite traitée « d’assistée » et de « feignasse » après avoir été licenciée, et confie l’avoir très mal vécu. Ces injures n’émanaient alors pas de Sarah Saldmann, mais bien de ses voisins, de gens qui avaient une situation sociale et professionnelle comparable à la sienne.
Une caste médiatique déconnectée
Alors, quelle est la véritable utilité de ce film ? On peut estimer que les gens qui verront ce documentaire sont, pour l’écrasante majorité, déjà plus ou moins conscients et sensibles aux thématiques mises en avant dedans. Le fait que Sarah Saldmann admette, dans les interviews réalisées à la sortie du film, qu’elle se trompait jusqu’à présent sur toute la ligne et qu’elle a totalement changé d’avis depuis, paraît finalement assez anodin.
Pourtant, ce point est révélateur de l’un des nombreux problèmes de notre société : l’espace médiatique est saturé d’éditorialistes, qui, comme Sarah Saldmann, n’ont qu’une vague idée de ce qu’est le travail manuel, n’en connaissant pas les ressorts. Si elle a le mérite de reconnaître qu’elle était jusqu’à présent totalement déconnectée, on pourrait se dire qu’ils sont nombreux à qui une telle immersion remettrait les idées en place. Cette réalité concerne aussi bien ces adeptes des plateaux qu’un certain nombre de responsables politiques. François Ruffin affirme d’ailleurs avoir demandé à plusieurs d’entre eux de vivre une expérience similaire, mais s’est heurté à leur refus.
Un coup marketing ?
Si ce film est très bon, prenons toutefois quelques lignes pour appuyer sur certains détails qui nous ont laissé perplexes. La manière étonnante avec laquelle Sarah Saldmann est sortie du film interroge. Une éjection que François Ruffin et Gilles Perret justifient par les positions qu’elle a continué de tenir sur les plateaux télé alors que le tournage était entamé depuis plusieurs mois. Des propos qui ne concernaient pourtant pas le travail ou « l’assistanat » mais l’insécurité, la délinquance ou encore le conflit israélo-palestinien. Cette éjection peut donner l’impression qu’ils ont voulu « se débarrasser » de l’avocate avant la fin pour ne pas donner l’illusion que ce film ait pu contribuer à redorer son image.
Une impression qui a donné du grain à moudre à ceux qui voudraient entretenir la thèse selon laquelle les deux hommes se seraient « servis » de Sarah Saldmann dans un objectif marketing. Il faut dire que pour le député de la Somme, qui, notons-le, n’a pas mentionné ses engagements politiques durant le film, c’est aussi l’occasion de revenir en force, lui qui s’était fait plutôt discret lors de cette rentrée. De nombreuses personnalités de gauche, tous partis confondus, ont fait l’éloge de ce documentaire. Récemment, François Ruffin a déclaré qu’il était « de l’ordre de l’évidence que 2027 est sur la table ». Et si ce film était la rampe de lancement idéale pour se repositionner dans la course, lui qui semblait s’en être éloigné ces dernières semaines ?
Restons sur l’essentiel : les gens. La beauté de ce film réside dans le fait qu’il redonne de la valeur et de la dignité aux invisibles. François Ruffin n’en est pas à son coup d’essai dans le domaine, et c’est une nouvelle fois réussi. Il parvient, pendant 1h20, à réhabiliter l’émotion au centre de la question politique.
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