Régulièrement, la transition énergétique est manipulée par le personnel politique à des fins électorales, pour construire une opposition artificielle entre énergie nucléaire et renouvelable. Or, les études publiées par les organismes spécialisés présentent un tableau beaucoup plus nuancé, qui illustre la pauvreté de notre débat public.
Incompétence et idéologie
Les élections régionales offrent le triste spectacle du populisme énergétique. Le 17 juin, Xavier Bertrand annonçait fièrement subventionner les associations anti-éoliennes afin qu’elles mènent des études environnementales. Financer des études pour qu’elles fournissent la réponse que l’on veut aux questions que l’on ne se pose pas, la démarche vaut le détour. Pas en reste, Jordan Bardella se surpassait alors deux jours plus tard pour affirmer que « le C20 a été divisé par 1000 depuis les années 60 ». De quoi relativiser l’expertise énergétique au sein du Rassemblement national, farouchement opposé à l’éolien également.
Mais la gauche[1] ne fait pas non plus la démonstration de ses compétences en la matière. Son rejet en bloc du nucléaire se base sur le danger que celui-ci représenterait en cas d’accident. Pourtant, cette analyse néglige non seulement le fait que l’Autorité de Sureté Nucléaire impose des normes draconiennes sur notre sol, mais se base surtout sur des scénarios extrêmement optimistes, comme nous le verrons par la suite.
De quoi parle-t-on ?
Il convient alors de clarifier les atouts et faiblesses de chaque source d’énergie. En rappelant le principe essentiel selon lequel une énergie sans contrepartie n’existe pas.
D’une part, ce que l’on appelle « renouvelable » ne l’est pas entièrement. Les matériaux qui constituent les panneaux photovoltaïques ou les éoliennes exigent une activité minière importante, polluante et peut-être bientôt limitante, face à une hausse majeure de la demande et une offre contrainte. Par définition, les énergies renouvelables sont aussi intermittentes, puisqu’elles dépendent de forces naturelles telles que le vent ou le soleil. Il est alors ardu de constituer un réseau électrique assurant une égalité continue entre la production et les besoins. Enfin, elles sont très peu concentrées : pour une production égale, elles demandent un espace démesuré par rapport au nucléaire ou aux énergies fossiles.
D’autre part, le nucléaire est une forme d’énergie pilotable, ce qui signifie qu’elle peut s’adapter à la demande par l’action humaine. Elle est également la source d’énergie qui émet le moins de Co2, le nucléaire français étant parmi les meilleurs élèves. Source d’exportations pour la France, le nucléaire est aussi un fleuron industriel national dont les compétences sont précieuses pour la souveraineté du pays. Enfin, cette technologie dépend de relativement peu de métaux stratégiques, tandis que l’uranium est utilisé dans des proportions très modeste et que son recyclage se développe. Néanmoins, la question des déchets et surtout les risques associés à cette énergie ne sont pas à négliger, bien que leur gestion soit extrêmement encadrée (et donc coûteuse) en France.
Maintenir le nucléaire…
Pourtant, il est fréquent d’entendre à gauche que l’on pourrait se passer du nucléaire pour parvenir à un mix électrique 100% renouvelable (ou presque). Mais les scénarios auxquels ils se réfèrent reposent sur des hypothèses très ambitieuses, n’assurent pas la stabilité du réseau ou n’informent pas sur les coûts de sa transformation (plus d’informations en notes de bas de page[2]).
En réalité, le maintien du nucléaire constitue aujourd’hui la solution la plus sûre en France. Dans un contexte d’urgence climatique, il est préférable de se concentrer sur la diminution de la consommation d’énergies fossiles que sur le remplacement du nucléaire par du renouvelable. Aussi, l’incertitude technologique confine à la prudence, et notamment face au défi que représenterait un réseau électrique 100% renouvelable[3]. Du point de vue stratégique enfin, enterrer une filière riche de 200 000 emplois, et sur laquelle la France est en concurrence avec la Chine et la Russie serait une faute sociale et géopolitique.
…et développer le renouvelable
Toutefois, la part du nucléaire dans la production électrique nationale est nécessairement amenée à décroître. Parmi les scénarios proposés par RTE (gestionnaire du réseau électrique français), le plus favorable au nucléaire implique de construire 14 réacteurs EPR et quelques réacteurs plus modestes (SMR), ce qui ramènerait la part du nucléaire dans la production électrique à 50%. De fait, la quasi-totalité du parc nucléaire français sera à l’arrêt en 2050 si rien n’est fait, et il est impossible d’un point de vue industriel d’aller au-delà du rythme annoncé par RTE.
Il est donc impératif de faire entendre dans le débat public que nucléaire et renouvelables sont amenés à cohabiter dans le cadre de la transition énergétique. Selon les scénarios de RTE, la puissance éolienne serait multipliée au moins par 2,5 et jusqu’à 4, tandis que la puissance solaire serait multipliée au moins par 7 et au maximum par 21.
La cacophonie contre le climat
A la vue des rapports scientifiques, le discours de la droite est donc antiécologique, tandis que celui de la gauche est purement irréaliste. Cette focalisation sur l’électricité est même dangereuse : si la consommation d’électricité est très largement décarbonée en France, elle ne compte que pour 23% de l’énergie consommée. Or, plus de 60% de notre consommation totale d’énergie est toujours constituée d’énergies fossiles. Autrement dit, la mise en scène médiatique de l’opposition entre renouvelables et nucléaire est totalement décorrélée de l’enjeu climatique.
Il est alors urgent de dépasser ce débat stérile, qui est clos depuis des années par les autorités expertes. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) comme le GIEC préconisent tous deux un mix électrique varié, mais insistent plus fondamentalement sur un point : les objectifs écologiques fixés par nos gouvernements ne seront pas atteints à moins d’empêcher tout nouvel investissement dans les énergies fossiles.
Au lieu de mener une fronde contre les éoliennes ou de vendre la peur du nucléaire, il serait plus judicieux de s’atteler à réduire les investissements dédiés aux énergies fossiles qui ne cessent d’augmenter en France, ou encore de réguler les activités bancaires liées à cette pollution. Mais cela nécessite, il est vrai, sensiblement plus de courage politique.
En cela, le populisme énergétique est une impasse. Consciemment ou par incompétence, le personnel politique détourne le débat du véritable enjeu démocratique. En effet, le grand défi du monde de demain concerne la gestion de la décroissance de notre consommation d’énergie, et implique de délibérer collectivement sur les efforts à consentir. Une chose est sûre, cette question demeurera insaisissable aussi longtemps que l’on se limitera aux éléments de langage et à la flatterie électorale.
Léandre Guillot de Suduiraut
[1] Comprendre ici : le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), La France Insoumise (LFI), Génération.s et Europe Ecologie Les Verts (EELV). Le Parti Socialiste (PS), et plus encore le Parti Communiste Français (PCF) sont en revanche favorables à l’atome.
[2] Trois scénarios vont dans ce sens : celui de Négawatt, de l’ADEME et de RTE. Les limites des deux premiers sont exposées dans cette excellente conférence de Nicolas Goldberg de 37:00 à 43:00 (https://www.youtube.com/watch?v=TuAYziwNfK4 ).
Concernant le scénario de RTE, lire cet article : https://www.lemondedelenergie.com/etude-rte-scenario-100-renouvelables-plausible/2021/01/22/. A noter que celui-ci n’est qu’un des six scénarios proposés par RTE pour 2050, et qu’il ne constitue en rien une piste privilégiée (https://www.liberation.fr/economie/eolien-ou-nucleaire-six-scenarios-pour-une-electricite-zero-carbone-en-2050-20210608_EIGRA7GZKJHAHNQSZ4GTQOF4EA/).
[3] A ce sujet, regarder https://www.youtube.com/watch?v=ptHnZLfPOjU&t=1823s à partir de 30:45 : le point de divergence entre « pro » et « anti » nucléaire se situe principalement au niveau de la confiance dans le progrès technologique futur.
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