Parmi les nombreux évènements de la rentrée politique de septembre, nous ne pouvons passer à côté du plus important et du plus ancien : la Fête de l’Humanité. En effet, cette dernière participe à sa manière au débat d’idées, et rassemble les fédérations communistes, et des gens de gauche de tout horizon.
L’organisation générale de la fête
La Fête de l’Humanité est un évènement de nature politique, culturel et musical fondé par le journal du même nom en 1930. Elle a évolué au fil des années et a donné de nos jours un rassemblement d’organisations françaises et internationales en faveur du progrès social, mais aussi avec des présentations de natures littéraires, scientifiques, et surtout musicales avec de nombreux artistes, connus ou non, présentés sur plusieurs scènes du site. Ce week-end fut l’occasion pour de nombreux artistes de se hisser sur scène : Bilal Hassani, Médine, Dub Inc, Mass Hystéria, Les Vulves assassines… La diversité musicale permet de satisfaire tous les publics, qu’ils soient sensibles à la politique ou non. On a vu certains festivaliers ne revendiquer leur présence que pour les concerts.
Fête politique, on trouve beaucoup de stands du Parti Communiste Français, mais aussi quelques-uns d’autres partis et organisations comme le NPA, EELV, LO, Youth For Climate Île de France, Picardie Debout, la CGT… Au niveau du Village du monde, nous pouvions trouver le Parti communiste turc, libanais, espagnol, cubain, proposant eux aussi des spécialités gastronomiques locales et portant des revendications spécifiques à leurs propres pays. La Fête de l’Humanité se veut, fidèle à son nom, festive, si bien qu’elle prend l’apparence d’un banquet permanent à chaque stand, où boisson, nourriture et rires s’entremêlent gaiement, entre deux t-shirt anti-Roussel faits retirés par les équipes de sécurité de l’événement. Chaque stand propose d’explorer les recettes traditionnelles de son territoire d’origine. Sur le stand de l’Indre-et-Loire, par exemple, une salade tourangelle était proposée, les JC proposant de leur côté un bar à shots de vodka.
Des débats de fonds
Festival total, la Fête comprend nombre de débats, par le biais de tables rondes, des rencontres avec des auteurs, des radios ou des conférences. L’Agora était l’un des principaux lieux de débats où l’on pouvait par exemple voir Fabien Roussel débattre avec Édouard Philippe, ancien Premier ministre. Ce « duel » était sous haute tension du fait du rôle joué par Edouard Philippe pendant la crise sanitaire ou le mouvement des Gilets Jaunes. Un militant est même intervenu sur scène pour le dénoncer, avant d’être écarté par la sécurité. Les deux personnalités politiques ont échangé sur la place de la dette et de l’inflation, de l’énergie ou même du pouvoir d’achat, sujets centraux dans cette rentrée politique de septembre 2023, à moins d’un an des prochaines élections.
Un débat qui aurait pu davantage attirer l’attention portait sur l’austérité européenne, avec pour participants Walter Baier (président du Parti de la Gauche Européenne), le chef de file PCF Léon Deffontaines, et le président du PTB (Parti du Travail de Belgique) Raoul Hedebouw. Dans un contexte de préparation de la campagne pour les élections européennes de 2024, l’enjeu énoncé serait de constituer un front contre les financiers, contre l’extrême droite, et de soutenir les luttes sociales. Le cas de l’Allemagne par exemple, marque les esprits avec la percée de l’AfD, surtout dans le länder du Brandebourg.
Le président du PTB expliquait que l’austérité venait de la dette des Etats, ces derniers étant endettés suite à la crise de 2008, et que les superprofits sont la cause de l’inflation en majeure partie selon une étude de la Banque Centrale Belge. L’austérité serait par ailleurs à deux vitesses, puisque les budgets militaires occidentaux sont en hausse. « C’est une crise environnementale et sociale » ajoute Léon Deffontaines. Il complète ensuite en expliquant que la politique austéritaire ne permet pas l’investissement dans les services de proximité, dans le ferroviaire par exemple qui a un besoin urgent d’investissements, à l’instar d’autres services publics.
Le sujet du débat ne préconise cependant pas une volonté de rupture avec l’Union Européenne en soit, mais plutôt une contestation conséquente, comme le présente Walter Baier, qui se déclare en faveur d’une « construction qui préconise le bienfait des gens, pas la loi du marché, avec des partis de gauche plus courageux dans leurs critiques de la politique européenne, que ce soit sur la guerre ou la finance. Cette campagne doit être européenne et prendre en compte les intérêts des ouvriers et du monde du travail, et faire face à la crise écologique. »
D’autres débats eurent lieu sur des stands plus modestes. C’est le cas de celui sur l’alternative révolutionnaire à construire au stand du PRCF (Pôle de Renaissance Communiste en France) avec de nombreux intervenants, parmi eux Olivier Matteu (secrétaire de l’UD CGT des Bouches du Rhône) et François Boulo (avocat des Gilets Jaunes).
Plusieurs visions ici se sont croisées, plusieurs stratégies furent développées. Pour François Boulo, il faut reprendre contrôle de l’appareil d’Etat, que ce soit par la rue ou les élections. Sinon, élever la conscience politique des masses, par un travail de fond, face au vide de sens actuel et aux structures qui nous enferment tous. Il alerte sur le fait que les forces du capital n’hésiteront pas à réagir en cas de révolution. Olivier Matteu, lui, prône le renforcement du mouvement syndical, et la recherche de la masse mobilisable, celle qui n’est pas syndiquée. La présidente de l’ANC (Association Nationale des Communistes), dénonce le processus de privatisations qui est à l’œuvre, en particulier dans la santé, les lignes ferroviaires, la téléphonie, et ce sous les ordres du capital et des directives européennes. « Ce processus est une attaque envers notre pays, étant donné que les services publics sont des biens de la Nation, et pas des outils de concurrence ou à faire de l’argent ». La représentante de l’ANC conclut par un fait bon à se rappeler : « si les salariés ne travaillent pas, les patrons n’ont pas de profits, aucune richesse. Nous sommes ceux qui créent la richesse et les plus nombreux. »
Les bénévoles, chaînons consubstantiels de la Fête
Il n’y a pas que les intervenants et les débats à la Fête. Les festivaliers participent à sa construction, et ont aussi leur mot à dire, leurs idées et réflexions. Les stands, la boisson et la bonne camaraderie sont l’occasion de débattre et de discuter.
Jade*, membre des Jeunes Communistes d’Indre-et-Loire depuis le mouvement contre la réforme des retraites est récemment entrée dans le monde militant : « Je m’inquiète beaucoup du fascisme, ça devient de plus en plus banalisé. Je me trompe peut-être mais je pense que la jeunesse se politise de plus en plus, même si ce n’est pas facile de se lancer en politique, en engagement. » Que penser de la question des élections européennes ? « Je ne pense pas que les élections changeront vraiment le système en place. Mais si cette option nous est présentée, pourquoi pas l’utiliser. Il n’y a pas qu’une seule manière de lutter selon moi. »
Du côté des plus anciens aussi, il y a à dire sur les élections et la place du Parti. Jean-Claude, écailler au stand du PCF de Charente Maritime et adhérent au Parti depuis 1972, remarque comment le monde a changé depuis sa première cotisation : « Je trouve que l’évolution actuelle est contradictoire. C’est très difficile car le monde du travail a changé, les peuples évoluent, et les forces du capital sont toujours en mouvement. » Sur les élections européennes, la perspective se rapproche de celle de Jade : « Dans la mesure où cela nous a été imposé, oui. Ça fait depuis Maastricht, Lisbonne, qu’on subit ça. Autant se battre dans ce cadre puisque l’on est dedans. Ils ont jeté la démocratie aux calendes grecques. Si elle n’était pas bafouée, il n’y aurait jamais eu de 49.3 ».
A neuf mois des élections européennes, c’est avec de l’ambition que semblent se porter les forces de gauche, après plusieurs mois de mouvements sociaux et de polémiques diverses et variées. L’enjeu pour les mois à venir sera de résorber l’hémorragie électorale, et trouver les bons mots à adresser aux citoyens de plus en plus désenchantés par les partis politiques et le système électoral.
Elie Guetchrian
*Prénom modifié pour des raisons d’anonymat
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