« Le libre-échange profite aux industriels, pas aux agriculteurs » – Entretien avec Philippe Grégoire
Philippe Grégoire, agriculteur dans le Maine-et-Loire et responsable national du parti République Souveraine, nous éclaire sur la crise que traverse l’agriculture française. Alors que le traité de libre-échange UE-Mercosur cristallise les tensions, il questionne les véritables responsables de la détresse agricole et les limites d’un système fondé sur le libre-échange.
Gavroche : Quel regard portez-vous sur la mobilisation des agriculteurs contre le traité UE-Mercosur ?
Philippe Grégoire : Chaque année, les agriculteurs manifestent en déversant du fumier devant les préfectures ou les grandes surfaces, mais le véritable problème se situe ailleurs : chez nos acheteurs, les industriels. Ce sont eux qui contrôlent les volumes d’importation et d’exportation et qui fixent les prix. Manifester devant leurs locaux serait risqué : ce sont nos « patrons », et on pourrait perdre nos débouchés.
D’autant plus que le traité UE-Mercosur, bien qu’il concentre les critiques, n’est pas encore en vigueur. Ce sont les accords commerciaux précédents qui nous ont plongés dans cette situation en nous mettant en concurrence avec des producteurs étrangers, souvent bien moins coûteux. La clé du problème est dans la répartition de la valeur ajoutée. Aujourd’hui, sur 100 euros dépensés par un consommateur, seuls 6 euros reviennent à l’agriculteur.
Aujourd’hui, sur 100 euros dépensés par un consommateur, seuls 6.5 euros reviennent à l’agriculteur
Gavroche : Les normes ou les tracasseries administratives sont-elles vraiment un frein ?
P.G. : Non, ce sont des prétextes pour détourner l’attention. J’ai mis ma ferme aux normes en 2007 et je n’ai pas eu de travaux majeurs depuis. Quant à l’administratif, je le délègue à un comptable pour 4 000 euros par an. Le problème principal reste la rémunération. Par exemple, un litre de lait est payé 43 centimes alors qu’il devrait l’être à 65 centimes pour être rentable. Résultat : 8 agriculteurs sur 10 gagnent moins que le SMIC brut et plus de deux agriculteurs se suicident chaque jour en France. Pour que notre métier soit viable, il faudrait redistribuer les marges de façon équitable : 40 % pour l’agriculteur, 24 % pour la grande distribution et 24 % pour l’industrie agroalimentaire. Aujourd’hui, ces deux derniers prennent la majorité des profits.
Pour que notre métier soit viable, il faudrait redistribuer les marges de façon équitable
Gavroche : Que pensez-vous des prises de position de Carrefour contre le traité UE-Mercosur ?
P.G. : C’est purement de la communication. Ils disent qu’ils n’importeront pas de produits issus du Mercosur, mais c’est impossible à vérifier. En réalité, cela devient un levier de pression : si nous, agriculteurs français, exigeons des prix plus élevés, ils menacent de s’approvisionner à l’étranger. C’est du chantage.
Gavroche : Et la FNSEA, le principal syndicat agricole, est-elle crédible dans son opposition au Mercosur ?
P.G. : Pas du tout. La FNSEA agit davantage comme un syndicat de l’industrie agroalimentaire qu’un syndicat agricole. Ses dirigeants ont investi dans des plateformes comme Unigrains, devenant de véritables commerciaux. Leur priorité est de maximiser les profits des industriels, pas d’améliorer les revenus des agriculteurs. Si nous voulons reprendre le contrôle, il faut privilégier la vente directe et garder la main sur nos produits.
La FNSEA agit davantage comme un syndicat de l’industrie agroalimentaire qu’un syndicat agricole
Gavroche : Comment sortir de ce modèle agricole en crise ?
P.G. : Le libre-échange tel qu’il existe aujourd’hui profite aux industriels, pas aux agriculteurs. Nous avons besoin d’un modèle basé sur des fermes à taille humaine, une fiscalité adaptée et des assurances agricoles efficaces. Aujourd’hui, un agriculteur en arrêt maladie reçoit 29 d’euros par jour. C’est une honte. Il est urgent de repenser ce système pour construire un modèle vertueux qui respecte les producteurs et les consommateurs.
Le libre-échange tel qu’il existe aujourd’hui profite aux industriels, pas aux agriculteurs
Gavroche : Que pensez-vous de l’agribashing ?
P.G. : Ce n’est pas la principale raison des départs dans la profession. Ce qui pousse les agriculteurs à abandonner, c’est l’absence de rentabilité. Nous travaillons à perte, et beaucoup n’arrivent même pas à se payer. Pourtant, nous entretenons les territoires et produisons une alimentation de qualité, essentielle pour la santé. Cela mérite une reconnaissance et une rémunération à la hauteur.
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