« Les communistes ont toujours été des patriotes » – Entretien avec Loïc Chaigneau
Loïc Chaigneau est professeur de philosophie, président de l’Institut Homme Total (institut d’éducation populaire, de formation, et d’action), essayiste et militant communiste critique. Il délivre à Gavroche sa pensée originale renouvelant les théories marxistes (entre autres) face au capitalisme mondialisé et à un postmodernisme qui, à force de se focaliser sur les discours, en finit par servir le monde des affaires. La place de la souveraineté dans la pensée marxiste, les perspectives qu’ouvrent Fabien Roussel, le lien entre communisme et grands sujets sociétaux (PMA, GPA)… autant de sujets abordés qui ne manqueront pas d’offrir des clefs d’analyse essentielles à la compréhension du monde contemporain.
Gavroche : Pourquoi cet effondrement du communisme en France ?
L. Chaigneau : C’est une question tout à fait légitime quand nous savons non seulement que le PCF a été un temps le premier parti de France mais aussi que le mouvement ouvrier a construit l’identité institutionnelle, économique et sociale de la France d’après-guerre. Il y aurait beaucoup à dire et les facteurs de cet effondrement sont multiples. Le premier, bien sûr, est la chute de l’U.R.S.S. et du monde bipolaire de la Guerre froide. Il s’est joué quelque chose de décisif en France à partir de ce moment-là, même l’eurocommunisme avait déjà été, en France comme en Italie notamment, une tentative de se détacher de Moscou, vingt ans auparavant. J’ai pour habitude de dire qu’en ayant voulu prendre ses distances à l’égard de Moscou, à bon droit et plus encore à raison parfois, cela a fini par nous précipiter dans une politique de soumission totale à l’impérialisme américain dont l’OTAN est le bras armé militaire et l’U.E le bras armé politique. A ce titre alors, il faut au moins signaler que l’internationalisme (qui n’est pas un anti-nationalisme, mais une doctrine qui intègre les nations pour qu’elles coopèrent réellement ensemble) est aussi une tactique, au sens où l’impact de la déstabilisation d’une puissance comme l’U.R.S.S. a eu aussi des répercussions fortes sur le communisme français, bien que celui-ci ait pris une forme, à partir de 1946, qui n’était déjà plus celle de Moscou.
Une destruction des appareils de classe s’en est suivie (je pense notamment à la CGT), à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Bien des choses attestent tout cela et pour ne pas nous conduire vers une discussion qui serait sans doute trop longue, j’aimerais plutôt insister davantage sur un versant souvent moins remis en cause : il y a eu une contre-révolution théorique dont les méfaits pratiques se font hautement ressentir aujourd’hui. Pour aller à l’essentiel, disons que les communistes ont abandonné le marxisme-léninisme comme méthode de compréhension et de transformation du monde. Mais ils ne l’ont pas fait pour le renouveler, pour l’améliorer, pour le dépasser sans s’en passer, ce qui aurait pu être louable. Non, au contraire, tandis qu’une minorité s’est dogmatisée en sclérosant cette pensée dans une forme tout à fait archaïque, une large majorité s’est mise à épouser les théories que nous pouvons qualifier de postmodernistes et plus tard de postmarxistes. C’est ce qu’incarne la gauche « Terra nova » : un abandon de la classe ouvrière, une ignorance crasse quant à l’évolution de celle-ci puisque de fait techniciens, cadres, enseignants et même managers font aujourd’hui largement partie de cette classe ouvrière. Celle-ci s’est intellectualisée et donc élargie, mais elle n’a pas disparu. Tandis que le Capital, par l’exercice des délocalisations et son pouvoir médiatique s’efforçait d’invisibiliser cette classe ouvrière en mettant un terme à ces sorties d’usines où tous les ouvriers marchaient d’un même pas, beaucoup d’intellectuels proches du parti communiste ou prétendument plus à gauche que ce parti ont emboîté le pas au Capital.
Je suis effaré de constater à quel point le communisme est ignoré en France à tout point de vue et parfois même par ceux qui prétendent le défendre. Tout est articulé afin de faire de cette seule alternative au capitalisme la bête immonde à abattre : à l’école où l’on enseigne que le communisme ne vaut guère mieux que le nazisme et pire, quelques fois encore, à la télévision, qui ne cesse de nous livrer des documentaires d’une rare mauvaise foi sur l’U.R.S.S, en politique aussi à partir de mythes existentialistes qui évincent la force que le communisme a représenté dès juin 1940 dans la résistance. Tout cela produit un voile idéologique et une ignorance qui garantit un temps encore le maintien de la classe dirigeante. Dès que je discute avec quelqu’un qui n’est pas du tout au fait sur ces questions il n’est pas rare qu’elle soit très étonnée voire choquée quand elle découvre que je me revendique communiste alors qu’elle était d’accord avec moi sur bien des sujets. Il faut briser ces anathèmes et c’est ce à quoi nous nous employons depuis trois ans maintenant au sein de l’Institut Homme Total.
Il y a eu une contre-révolution théorique dont les méfaits pratiques se font hautement ressentir aujourd’hui.
Gavroche : Peut-on trouver des points de convergence entre le communisme et le souverainisme ?
L. Chaigneau : C’est un autre point qui nécessiterait là-encore une bien longue réponse. Mais disons-le rapidement : bien sûr qu’il peut y avoir et qu’il doit même y avoir des points de convergence entre le communisme et la souveraineté nationale et populaire, que je ne réduirais pas au souverainisme comme systématisation. Le communisme est la seule alternative au capitalisme parce qu’il incarne empiriquement au travers des classes populaires, du prolétariat dans sa forme élargie, tout ce qui se meut pour rompre avec le capitalisme. C’est cela, le sens premier du mot communisme. Il ne s’agit pas d’un cahier des charges. Alors bien sûr, cela nécessite les réappropriations collectives de l’outil de travail, c’est-à-dire entre autres la socialisation des moyens de production. Mais cela s’inscrit déjà en acte et pas seulement dans un devenir qui ne viendrait jamais ou dans un projet utopiste futur. Et en ce sens, c’est au sein de l’État-nation souverain que le communisme en France a notamment pu prendre une forme particulière bien que trop méconnue au travers de la mise en place du régime général de la sécurité sociale, du salaire à la qualification, du statut de la fonction publique en 1946. Ce sont là des éléments essentiels qu’il nous faut non seulement sauvegarder mais surtout prolonger et étendre.
Les communistes ont toujours été des patriotes. En ce sens, ils se distinguent des capitalistes cosmopolites qui font passer leurs intérêts privés et le profit avant les intérêts nationaux jusqu’à instituer des entités territoriales qui répondent à cette ambition, et c’est le cas avec l’Union européenne. Mais les communistes se distinguent aussi des nationalistes belliqueux qui, de la Hongrie en passant par l’Italie jusqu’à la France désormais, s’accommodent très bien d’une Union européenne capitaliste, libérale et qui se réjouissent en retour que les luttes raciales viennent occuper le devant de la scène pour mieux diviser les classes populaires. Il est donc possible et nécessaire d’être communiste, patriote, internationaliste et de défendre la souveraineté nationale, c’est-à-dire le maintien des pouvoirs régaliens de l’Etat notamment, et également la souveraineté populaire démocratique sur le plan politique mais aussi économique et social. Les souverainistes de plateaux TV ne vont pas assez loin même : ils revendiquent une souveraineté nationale qui vise le rétablissement d’un pouvoir délégué par des représentants et un retour au capitalisme industriel, ce qui est un leurre. Nous, nous affirmons la nécessité d’un contrôle démocratique au sein même des entreprises, nous devons et nous pouvons nous défaire de cette classe dominante parasitaire. C’est d’ailleurs ce que les Français attendent, j’en suis sûr, et il serait temps qu’un candidat communiste s’en saisisse activement et correctement.
Les communistes ont toujours été des patriotes. En ce sens, ils se distinguent des capitalistes cosmopolites qui font passer leurs intérêts privés et le profit avant les intérêts nationaux jusqu’à instituer des entités territoriales qui répondent à cette ambition, et c’est le cas avec l’Union européenne.
Gavroche : La gauche mute et le libéralisme culturel tend à supplanter la lutte matérialiste marxiste, quel avenir pour le prolétariat ?
L. Chaigneau : La première chose que je m’efforce de rappeler depuis plusieurs années c’est que le prolétariat désigne aujourd’hui la classe ouvrière élargie comme je le disais précédemment. Le travail manuel s’est intellectualisé, mais son positionnement dans le procès de production et de consommation reste celui du prolétariat décrit par Marx. Le niveau de vie, heureusement, est différent, bien que cela soit le fruit des conquêtes passées du mouvement ouvrier et qu’à l’heure actuelle la classe dirigeante fasse tout pour le détruire. Mais de fait le prolétariat continue d’exister. Ce que cela signifie, c’est qu’aujourd’hui, qui plus est avec la crise profonde que nous connaissons, nous voyons bien que les dissensions convergent entre la classe ouvrière et le grand Capital. Ce que la crise sanitaire (qui n’est que l’extension de la crise du capitalisme) met en lumière, c’est la manière dont les GAFAM l’emportent. Nous verrons apparaître bientôt des villages et des écoles Amazon. Face à cela, les managers des grands groupes comme les salariés au plus bas de l’échelon sont en fait dans la même barque. Mais l’idéologie dominante tente de les induire en erreur, c’est le propre de la fausse conscience : ils pensent pour les uns, les managers notamment, qu’ils ont mieux réussi et qu’ils n’ont plus rien à voir avec les salariés qu’ils commandent. Pour les autres, ils sont d’abord en colère contre ces mêmes managers, faute de pouvoir se représenter celui qui les exploite. Or, petit à petit, l’intellectualisation des professions manuelles et la précarisation des professions dites intellectuelles tend à recréer un bloc historique de lutte. Bien-sûr, cela ne se verra probablement pas sur un horizon de cinq ou dix ans. Mais déjà, les Gilets Jaunes ont été un marqueur fort de ce ralliement possible.
Tout cela pour dire que ce qui prime ce sont les conditions matérielles d’existence. Sur cela, l’idéologie joue bien évidemment un rôle décisif afin de faire perdurer la fausse conscience. Mais il est plus facile que celle-ci perdure dans des conditions de vie objectivement moins difficiles qu’à l’heure actuelle. C’est sur un terreau très différent que le libéralisme culturel a réussi à s’implanter afin de diviser la classe ouvrière et d’organiser une pseudo-convergence d’intérêts entre le lumpenprolétariat à la marge et la grande bourgeoisie. Cela fait plusieurs années que je m’attache à déconstruire ces « déconstructeurs » qui se présentent comme plus à gauche que les communistes mais qui font le jeu du Capital. Il y a un intérêt objectif pour le Capital à la mise en concurrence des hommes contre les femmes, des blancs contre les « racisés », et ainsi de suite. Les débats actuels consistent alors à opposer une droite réactionnaire qui réagit comme son nom l’indique à une « gauche » postmoderne, mais l’une et l’autre s’engendrent réciproquement en occultant toutes deux les réalités matérielles. Nous devons les renvoyer dos à dos et proposer une ligne réellement communiste.
Il y a un intérêt objectif pour le Capital à la mise en concurrence des hommes contre les femmes, des blancs contre les « racisés », etc.
Gavroche : Comment le communisme comprend-il les dernières avancées bioéthiques (PMA, GPA…) dans le monde, source d’émancipation ou alors d’exploitation ?
L. Chaigneau : Les questions bioéthiques sont des questions classiques du rapport que nous entretenons à la technique et plus encore à la technologie. Il s’agit moins de juger l’outil ou l’objet en tant que tel que les implications de celui-ci au sein d’un mode de production particulier. En un mot, l’enjeu est toujours politique : il est nécessaire de savoir qui contrôle un outil technologique et en vue de quoi, s’il s’agit d’une classe dominante dont l’objectif est le profit constant qui nécessite l’exploitation massive ou bien s’il peut être remis entre les mains de tous à partir d’une décision démocratique afin d’émanciper les populations. En ce sens, votre question est très bien formulée. L’enjeu n’est pas d’être pour ou contre la PMA ou la GPA, « à nu », débat vain qui oppose encore une fois la droite réactionnaire et les gauchistes postmodernes. Il s’agit plutôt de comprendre les implications réelles de tels dispositifs au sein du mode de production capitaliste. Il n’y a aucun sens à se positionner en faveur d’une loi à vide, il faut toujours inscrire celle-ci dans les conditions de son application, au sein d’une société et d’une histoire déterminées.
L’enjeu n’est pas d’être pour ou contre la PMA ou la GPA, « à nu », débat vain qui oppose encore une fois la droite réactionnaire et les gauchistes postmodernes. Il s’agit plutôt de comprendre les implications réelles de tels dispositifs au sein du mode de production capitaliste.
Dans ce cadre bien sûr, le discours libéral de gauche vient toujours au secours du discours libéral de droite : c’est au nom du droit à disposer de son propre corps, au nom d’un individualisme acharné que la PMA et la GPA sont défendues afin par ailleurs de rendre possible la marchandisation des ventres des mères des classes populaires de part le monde et la grande marchandisation de l’enfant. À ce titre, nous ne pouvons bien sûr pas défendre la légalisation d’un tel processus technique. Cependant, l’anthropologie et la mise en lumières des multiples systèmes de parenté nous montrent qu’il serait absurde de s’y opposer pour des raisons purement réactionnaire et liées à une « essence » de la famille. Je pense notamment ici aux travaux de Maurice Godelier qui n’a eu de cesse de montrer que jamais, dans aucune société, un père et une mère ne sont suffisants pour faire un enfant – au sens culturel, bien sûr.
Gavroche : N’y a-t-il pas derrière l’émergence de l’intersectionnalité un dévoiement de la lutte de la classe profitable au capital ?
L. Chaigneau : Si, bien sûr. Nous en revenons au même problème : l’intersectionnalité est une théorie juridique qui vient poser l’existence de multiples discriminations qui peuvent se conjuguer au sein d’un même individu (race, genre, classe….). Mais les militants qui usent de la grille d’analyse proposée par la théorie de l’intersectionnalité n’en viennent jamais à questionner les raisons de cette intersection. Pour prolonger la métaphore il faudrait s’interroger sur les raisons de ces intersections, sur la raison pour laquelle ces routes se croisent ainsi, sur la manière dont elles ont été construites et surtout sur la manière de transformer cela et non seulement d’en affirmer l’existence. Ainsi, grâce à l’intersectionnalité, qui se situe toujours sur un terrain superstructural, c’est-à-dire en dehors des conditions matérielles de vie, il sera bientôt obligatoire de dire « madame la ministre » et plus « madame le ministre », sans que pour autant cette ministre ne modifie rien à sa politique capitaliste et néolibérale. De la même manière, nous ne pourrons plus dire « ils ont été licenciés par leur patrons », mais « iels ont été licencié.e.s ». Ce qui certes, est plus inclusif, mais ne change absolument rien aux conditions d’exploitation. De la même manière, le harcèlement au travail est un problème majeur. Mais l’enjeu ne devrait pas être de faire de belles lois pour le reconnaître et que les auteurs de ce harcèlement soient punis. C’est bien sûr nécessaire, mais très insuffisant. Il faut s’attaquer à la source du problème, c’est-à-dire à ce qui rend possible le harcèlement. Ce qui le rend possible, ce sont justement des conditions d’extrême précarité pour beaucoup de travailleurs et notamment parfois pour des mères célibataires. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Les militants intersectionnalistes en sont remplis, mais ils se trompent de combat pour mieux affirmer leur pureté morale. L’intersectionnalité ne gêne en rien le capitalisme, au contraire il s’en accommode à merveille, c’est un aspect tout à fait classique de la subversion subventionnée, comme l’analysait déjà le philosophe Michel Clouscard.
Ainsi, grâce à l’intersectionnalité, qui se situe toujours sur un terrain superstructural, c’est-à-dire en dehors des conditions matérielles de vie, il sera bientôt obligatoire de dire madame la ministre et plus madame le ministre, sans que pour autant cette ministre ne modifie rien à sa politique capitaliste et néolibérale.
Gavroche : La mondialisation est un stade du capitalisme décrit par Karl Marx. Les organisations transnationales et supranationales se multiplient. Est-il possible de voir cette institutionnalisation de la gouvernance mondiale comme un pas positif vers l’internationalisme, point souvent chère aux communistes ?
L. Chaigneau : Il faut bien distinguer la mondialisation comme processus de la forme spécifique qu’elle a prise dans le capitalisme cosmopolitique. En ce sens, elle n’a rien à voir avec l’internationalisme bien compris des communistes. A l’heure actuelle, la mondialisation capitaliste détruit les États-nations au profit d’entités supranationales qui ne servent que la maximisation des profits à l’international. C’est une nécessité pour le développement du capital, jusqu’à l’extrême. La baisse tendancielle du taux de profit entraîne ce dispositif et son accélération, jusqu’à aller chercher les moyens d’une exploitation nouvelle en dehors de la Terre dans une nouvelle conquête spatiale. Certains protagonistes de cette conquête, comme Elon Musk, ne s’en cachent pas.
En ce sens et comme je l’ai déjà souligné précédemment dans cet entretien, l’internationalisme n’a rien à voir avec cela puisqu’il nécessite d’abord que les classes populaires se structurent en nation et que les nations coopèrent entre elles. A l’heure actuelle, nous assistons notamment en Europe à une survalorisation du pouvoir des régions et des entités supranationales au détriment des nations et donc de la souveraineté nationale et populaire.
Gavroche : Y a-t-il encore une place pour une alternative communiste aujourd’hui ?
L. Chaigneau : Je dirais même qu’il n’y a que le communisme comme alternative possible au mode de production capitaliste. Je me défends de tout dogmatisme abstrait quand je dis cela. Il est vrai que, si l’on considère encore une fois le communisme comme quelque chose de nécessairement lointain dans le futur ou dans le passé, cela semble impossible. Mais encore une fois, le communisme n’est pas un idéal à créer mais tout ce qui se met en œuvre ou s’est déjà mis en œuvre auparavant afin de subvertir le mode de production capitaliste. Il n’y a pas un cahier des charges absolu du communisme. Cela signifie qu’empiriquement, la subversion du capitalisme se traduit à échelle nationale de différente manière. En Chine, il revêt actuellement une forme bien réelle (que des auteurs comme Remy Herrera ou Bruno Guigue ne cessent de défendre) mais différente de la forme française prise notamment en 1946, à travers les conquêtes du mouvement ouvrier, du parti communiste et de la CGT.
Ce qui crée le doute à propos du communisme, c’est toute l’idéologie qui consiste à ne laisser entrevoir aucune alternative au capitalisme et à en dresser un tableau extrêmement sombre et bien loin des réalités. Signalons deux choses : reculer sur le mot, c’est aussi souvent reculer sur la chose, comme le signalait Freud, mais en même temps il ne faut pas non plus être des fanatiques du signifiant, des termes employés pour désigner les choses. Nous ne sommes pas des nominalistes, mais nous considérons qu’il faut réintroduire l’histoire et la rigueur scientifique du communisme derrière les anathèmes. En ce sens, une fois le voile levé, le communisme n’apparaît plus comme un gros mot, mais comme la seule issue possible au désastre anthropologique et écologique auquel peut conduire le capitalisme.
Gavroche : Les élections de 2022 seront-elles le tremplin vers un nouvel élan communiste ?
L. Chaigneau : Je nourris d’importantes inquiétudes pour cette campagne. S’il est vrai que l’élection présidentielle ne peut pas être un but en soi pour tout communiste, il s’agit tout de même d’une bataille à mener. D’abord, parce que c’est toujours un moment d’effervescence politique organisé par la classe dirigeante, qui permet quelque-peu de militer efficacement et de convaincre certaines personnes. C’est donc encore aussi l’occasion de faire entendre un discours qui n’a d’ordinaire pas voix au chapitre.
Mais pour que les élections présidentielles de 2022 apparaissent réellement comme un tremplin favorable aux communistes, il faudrait mener une bataille sur des principes, appuyés par une pratique, qui le soient réellement. Or, ceux qui se confondent avec les représentations populaires de ce qui peut être apparenté à du communisme se fourvoient depuis plusieurs décennies dans la social-démocratie. Nous ne faisons même plus face à des réformistes qui peuvent parfois être intéressants et apparaître un temps comme des alliés objectifs. Tout au contraire, nous avons affaire à des réformateurs qui peinent à sortir du slogan et de la communication de campagne. J’ai dénoncé à de nombreuses reprises ces derniers mois le postmarxisme et sa théorisation des « signifiants vides ». c’est à cela que nous assistons : l’humain d’abord, l’Europe des gens, d’un côté, la révolution citoyenne de l’autre etc. Ces discours sont creux et ne permettent pas une politique de fond. Tout le monde est humain, nous sommes tous citoyens, l’Europe est faite par des gens… mais l’enjeu d’un discours communiste devrait être de pointer du doigt les rapports de force derrière ces abstractions : si nous sommes tous citoyens français, M. Draghi ou Arnault n’ont pas les mêmes intérêts que les Gilets Jaunes. Si nous sommes tous humains, certains n’ont pourtant aucun mal à conduire des politiques de classe qui sont antihumanistes.
J’ai dénoncé à de nombreuses reprises ces derniers mois le postmarxisme et sa théorisation des « signifiants vides ». c’est à cela que nous assistons : l’humain d’abord, l’Europe des gens, d’un côté, la révolution citoyenne de l’autre etc. Ces discours sont creux et ne permettent pas une politique de fond.
J’ai à cœur que 2022 soit une occasion de lutter contre l’engendrement réciproque de Macron et de Le Pen. L’un engendrant nécessairement la politique de l’autre : le libéral produisant l’appel du libéralisme-sécuritaire, et le libéral-sécuritaire permettant les politique de contrôle croissante du libéral etc. Mais pour lutter contre cela il faudra, je le répète, un discours et une pratique réellement communiste attendue par les classes populaires et non se contenter de jouer tantôt l’archaïsme, comme c’est le cas de certains groupuscules, tantôt de n’être qu’un énième pion social-démocrate.
Gavroche : Fabien Roussel incarne-t-il un bon candidat pour le PCF ? Vous retrouvez-vous dans les prises de position du parti ?
L. Chaigneau : J’ai laissé à Fabien Roussel le bénéfice du doute. Cet hiver, dans une entrevue avec Hadrien Mathoux pour le journal Marianne, j’étais volontairement élogieux à son égard malgré quelques réticences déjà formulées qui ont été retirées lors de la publication (c’est le jeu, il n’y a pas de problème là-dessus). Ce positionnement avait plusieurs objectifs, d’abord celui de reconnaître une dynamique nouvelle et intéressante au sein du PCF. Ensuite, de promouvoir une candidature communiste. Enfin, l’espoir de mobiliser au sein même du PCF des forces à même de contrer tout à la fois la ligne Hue-Laurent, mais aussi la ligne économique de Frédéric Boccara dont Roussel est le poulain. Malheureusement, les interventions récentes de Fabien Roussel, tout comme la ligne majoritaire du programme communiste actuel, ne me rassure pas quant aux possibles grandes désillusions que Fabien Roussel pourrait incarner. Fabien Roussel ne cesse de faire dans l’autophobie communiste permanente dans son début de campagne : comparaison du programme de LFI avec les « kolkhozes » (ce qui, en plus d’être une comparaison tout à fait hasardeuse, reflète une méconnaissance historique sur le sujet malgré les grandes avancées historiographiques de ces dernières années sur l’U.R.S.S) ; louanges faites à l’égard de la politique de Biden, fer de lance du capitalisme dont la critique du « ruissellement » ne vise justement qu’à maintenir le mode de production capitaliste, louanges à Soljenitsyne, critique du centralisme démocratique accolé à la personne de Macron etc. Je pense au contraire qu’il faut faire exactement l’inverse et réaffirmer une position claire tout en assumant l’héritage communiste, en France, comme à l’international.
À l’I.H.T, nous mettons un point d’honneur à produire une réflexion réellement progressiste et communiste qui a vocation à se diffuser au sein des forces politiques. C’est pourquoi, durant cette campagne, le rôle collectif que nous devons jouer consiste à critiquer à la fois Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon. Le premier, pour impulser une dynamique en faveur du Frexit et du salaire à la qualification, notamment, le second afin qu’il renoue avec la ligne républicaine, universaliste et patriotique de 2017. C’est à mon sens ce que nous pouvons faire de mieux à l’heure où le plus inquiétant demeure de loin la montée en puissance du fascisme et d’une société de contrôle et de surveillance.
Je pense au contraire qu’il faut faire exactement l’inverse et réaffirmer une position claire tout en assumant l’héritage communiste, en France, comme à l’international.
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