L’hommage d’Emmanuel Macron : La politique de l’éducation et le dégoût de l’enseignement
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Lorsque le délabrement de l’enseignement public menace l’avenir de toute une nation, il est temps de tirer la sonnette d’alarme et de prendre conscience que c’est grâce à l’école et à l’instruction publique que la République de demain sera entretenue et défendue. Les premiers acteurs du monde à venir sont encore dans les classes et devraient être la priorité de tous les gouvernements. Comment le plus beau métier du monde qui est celui de professeur a-t-il pu devenir si infernal ?
Un discours poignant mais hypocrite
Le 21 octobre 2020, Emmanuel Macron prononce son discours en Sorbonne. Un hommage officiel, sobre et digne pour un professeur de talent et d’engagement. Mais à l’heure où les campagnes de recrutement des enseignants se multiplient, le métier est déserté par la jeunesse. Le plus beau patrimoine de la France, celui de l’éducation, véritable héritage des Lumières, est en train de tomber en désuétude. C’est sans aucun doute la politique qui a tué le métier d’enseignant. Les gouvernements successifs se sont enfermés dans un paradoxe indépassable : Maltraiter les enseignants mais vouloir en embaucher plus.
Revenons à l’hommage prononcé par le Président en hommage à Samuel Paty. Le discours en lui-même était d’une rare beauté, poignant et solennel et qui plus est, porté par une voix émue mais déterminée. Et pourtant… avec les larmes c’est le dégoût qui noue la gorge, la frustration de voir ce parterre infâme de ministres et de leurs sbires. Cette dégueulade [1] d’hypocrisie. Comment en sommes-nous arrivés là ? Le gouvernement a choisi pour lieu la Sorbonne, véritable symbole de l’excellence scolaire et universitaire en France. Le phare de lumière dissipant l’obscurité de la barbarie. Mais le barbare peut prendre plusieurs formes. Il peut être ce monstre ignare dépossédé de toute humanité mais il peut également être plus insidieux, plus discret, plus retord. La barbarie, c’est le dogme mis au service d’une idéologie sans autocritique. Certains politiciens sont ces barbares qui ne reculent devant rien pour favoriser des intérêts privés au détriment des personnes qu’ils sont censés représenter. Alors oui, il n’y a malheureusement pas que le terrorisme qui tue des enseignants. Conditions de travail, salaires, reconnaissance sociale ; force est de constater qu’on a laissé le métier se dégrader.
La barbarie, c’est le dogme mis au service d’une idéologie sans autocritique.
Ces pitres n’ont rien à faire en Sorbonne et souillent la cour d’honneur de leur simple présence. Ce lieu sacro-saint est réservé aux méritants, à ceux qui se lève chaque matin pour apprendre, comprendre et s’émerveiller ; à ceux qui se lèvent chaque matin pour transmettre, éduquer et former. En s’élevant eux-mêmes, ils élèvent la France. C’est le transcendantalisme de l’éducation. “Nous continuerons, oui, ce combat pour la liberté et pour la raison dont vous êtes désormais le visage parce que nous vous le devons, parce que nous nous le devons, parce qu’en France, professeur, les Lumières ne s’éteignent jamais [2]”, déclare Emmanuel Macron à la fin de son discours. Mais cette raison dont il est question, quelle forme prend-elle aujourd’hui ? Comme l’avait compris le philosophe Michel Foucault, la raison est l’héritage des Lumières, mais un héritage qui n’a connu aucune réelle opposition depuis 1789. La raison d’aujourd’hui est économico-technique. La rationalité se caractérise par la course à l’armement, l’accumulation des richesses, la surconsommation, la surproduction, bref, le capitalisme dans toute sa splendeur. La raison et la liberté que souhaite défendre Emmanuel Macron ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi, tout dépend de ce que l’on en fait.
Devenir enseignant, la fin d’un rêve
Ce n’est pas un hasard si la jeunesse se détourne des métiers de l’enseignement. Ils sont motivés à coloniser le nouvel eldorado des études post-bac : les écoles de commerces. Ces dernières pullulent un peu partout en France en proposant des cursus aux noms franglais grandiloquents. Les étudiants n’y apprennent rien ou quasiment. L’objectif de ces écoles et de ses étudiants est tout autre. Pour les élèves, il s’agit de se créer un réseau de relations qui leur permettront de trouver un bullshit job [4] plus tard. Car voilà la France de demain : un pays administré par des bureaucrates déconnectés et animé par des marketeux décervelés.
Les étudiants ont renoncé à exercer le métier de leur rêve et se condamnent eux-mêmes à une vie de non-sens et d’ennui en échange d’un gros salaire. Ils pourront au moins partir en vacances au soleil, histoire d’oublier un instant leur inutilité profonde. Les professeurs, eux, sont des produits de première nécessité ! Après les parents (et parfois même avant) ils sont ceux qui formeront la prochaine génération. Emmanuel Macron déclare : “Nous continuerons, professeur. Et tout au long de leur vie, les centaines de jeunes gens que vous avez formés exerceront cet esprit critique que vous leur avez appris. Peut-être certains d’entre eux deviendront-ils enseignants à leur tour. Alors, ils formeront des jeunes citoyens. À leur tour, ils feront aimer la République. Ils feront comprendre notre nation, nos valeurs, notre Europe dans une chaîne des temps qui ne s’arrêtera pas [3]”. Alors non, nous n’avons plus envie de continuer, du moins pas avec vous. Nos valeurs ne sont pas vos valeurs, notre République n’est pas votre République et votre Europe n’est certainement pas notre Europe. Ce fossé s’élargit d’année en année et cristallise toute l’incompréhension qu’il existe entre d’une part, la classe dirigeante et d’autre part, les professeurs et leurs élèves. La réforme du CAPES, celle de l’enseignement supérieur, la précarisation des professeurs, la distribution de masques toxiques ou la direction des énarques sont autant de phénomènes qui ont achevé de dégoûter chacun et chacune de l’enseignement. Chaque année, 30 000 postes à pourvoir restent vacants [5]. L’Etat est obligé de faire appel à des contractuels bien souvent inexpérimentés et non formés, ce qui est dommageable aussi bien pour les élèves que pour les contractuels eux-mêmes.
Aujourd’hui, l’éducation est devenue un poids plus qu’un honneur. Les professeurs supportent de plus en plus mal un métier devenu un gagne-pain plus qu’une passion. Sans passion, les élèves eux-mêmes se désintéressent de l’enseignement et le vivent comme une punition. Nous pourrions nous demander à qui profite la dégradation du niveau scolaire en France. Des élèves aux connaissances atrophiées, sans objectif, manipulables et modelables à souhait et sans aucun esprit critique font généralement le bonheur des patrons et des politiciens. Contre la régression intellectuelle générale, une fois de plus, professeurs et élèves de toute la France, UNISSEZ-VOUS !
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[1] Néologisme du philosophe Emile Cioran dans Ebauches de vertige
[2] et [3] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/21/ceremonie-dhommage-national-a-samuel-paty-a-la-sorbonne
[4] Voir le livre Bullshit job de David Graeber
[5] https://www.vousnousils.fr/2019/11/29/des-contractuels-de-plus-en-plus-nombreux-dans-leducation-nationale-626624
Thomas Primerano, étudiant en philosophie à la Sorbonne, membre de l’Association pour la Cause Freudienne de Strasbourg, membre de la Société d’Etudes Robespierristes, auteur de « Rééduquer le peuple après la Terreur » paru chez BOD
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