Comme tous les deux ans environ, on a eu le droit a une nouvelle loi immigration. D’abord rejetée à gauche comme à droite, cette dernière a réussi à la durcir en Commission mixte paritaire, lui offrant ainsi une majorité à l’Assemblée, à la grande peine de la gauche. Retour sur cette loi et sur les réactions qu’elle a suscitées.
Après le vote de la motion de rejet 270 voix contre 265 à l’Assemblée Nationale envers la Loi Immigration, défaite infligée au gouvernement par la gauche et l’extrême droite, le projet de loi fut étudié en Commission mixte paritaire (CMP), et finalement adopté le 19 décembre.
UN PETIT TOUR EN COMMISSION MIXTE PARLEMENTAIRE
Lorsque le Sénat et l’Assemblée nationale sont en désaccord, les présidents de ces derniers ou le Premier Ministre peuvent provoquer une CMP. Cette commission est chargée de retravailler le texte pour qu’il soit renvoyé aux deux assemblées afin d’être à nouveau étudié. Un nouveau texte censé être trouvé en compromission avec l’opposition.
Cette commission est composée de 7 députés et de 7 sénateurs. Seulement, vue la composition des deux assemblées, les partis de gauche sont représentés en minorité. Impossible pour eux de faire réellement entendre leurs voix.
Ainsi, le texte de loi, déjà très critiqué par la gauche, a pris une tournure (pas si) déroutante : il s’est durci. Le projet de loi est maintenant très proche de la version proposée par le Sénat, majoritairement à droite. Il est désormais fondé autour d’un principe cher à l’extrême droite : la préférence nationale.
LOI IMMIGRATION : SON CONTENU FINAL
FIN DU DROIT DU SOL AUTOMATIQUE
Le texte promet la fin du droit du sol, supprimant son aspect « automatique ». Désormais, il faudra faire la demande entre 16 et 18 ans afin d’obtenir la nationalité pour les personnes nées en France de parents étrangers.
Le droit du sol est apparu dans le Code civil en 1804, à sa création par Napoléon Bonaparte. C’est un vieux principe de notre République. On avait déjà vu l’extrême-droite s’y opposer vivement mais les Républicains ont également fini par les rejoindre.
VERS UNE SUPPRESSION DE L’AIDE MEDICALE D’ETAT ?
L’Aide médicale d’Etat (AME) pour les sans-papiers ne sera finalement pas supprimée, mais une réforme est prévue pour 2024. De quoi (presque) satisfaire les Républicains pour le moment, qui l’avaient fait disparaître dans la version votée au Sénat. La FHF avait dénoncé la suppression de l’AME expliquant, à raison, que cela constituerait un « un contresens moral, sanitaire et économique ».
Une suppression qui risquerait d’avoir des conséquences dramatiques sur un système de santé qui se trouve déjà en grande souffrance.
Peu importe, cette loi ne passe pas pour le ministre de la Santé Aurélien Rousseau, qui a démissionné après l’adoption du projet.
MESURES CONTRE LES SANS-PAPIERS ET LA DÉLINQUANCE ÉTRANGÈRE
La loi rétablit aussi le « délit de séjour irrégulier », initialement jugé inutile par le camp présidentiel mais qui a cédé à la droite en CMP. Les binationaux coupables d’homicide volontaire sur des personnes dépositaires de l’autorité publique seront déchus de leur nationalité française. Le droit du sol n’étant plus automatique, la droite a également obtenu qu’en cas de condamnation pour crimes, toute naturalisation d’une personne étrangère née en France deviendrait impossible.
UNE MEILLEURE INTÉGRATION DES ÉTRANGERS ?
Pour obtenir une carte de séjour pluriannuelle, une meilleure connaissance de la langue française et des matières civiques sont à prévoir dans le cadre d’un « contrat d’intégration républicaine ». La question est encore floue, mais on y prévoit de faciliter le refus ou le retrait d’un titre de séjour pour les personnes « ne respectant pas les principes de la République ».
Est-ce une manière de faire « joli » dans un projet de loi déjà assez radical ? Cette vision de l’intégration est trop pauvre, n’apporte pas grand chose. Visiblement, ce n’est pas ce qui importe au camp présidentiel ni à la droite. Reste à savoir ce qu’il en sera.
DES DÉBATS SUR LES QUOTAS MIGRATOIRES
Mesure chère aux LR, le Parlement devra discuter de la politique migratoire et des quotas chaque année. L’objectif : plafonner le nombre d’étrangers admis sur le territoire. On y voit un risque d’abus si un Parlement anti-immigration se retrouvait majoritaire.
DEMANDES D’ASILE ET HÉBERGEMENT DES DEMANDEURS
Les déboutés du droit d’asile seront maintenant sous OQTF (obligation de quitter le territoire français), ce dernier étant allongé d’un à trois ans. Ils n’auront plus le droit de rester dans les hébergements du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, et seront même exclus du dispositif d’hébergement d’urgence, « sauf pendant le temps nécessaire à leur éloignement ».
UN REGROUPEMENT FAMILIAL DURCI
Le regroupement familial – ce dispositif qui permet au reste de la famille d’une personne présente sur le territoire d’immigrer légalement dans le pays – voit ses conditions durcies. Pour la personne qui le demande, il faudra maintenant qu’elle soit en France depuis 24 mois, contre 18 auparavant, avec des « ressources stables, régulières, suffisantes » et de disposer d’une assurance maladie. L’âge minimal du conjoint du demandeur est rehaussé de 18 à 21 ans.
TITRE DE SEJOUR POUR LES TRAVAILLEURS SANS-PAPIERS
Les travailleurs sans-papiers n’auront plus besoin de passer par leur employeur pour demander une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié ». Cependant, ils devront justifier de leur intégration, résider en France depuis trois ans et avoir travaillé 12 mois au total sur les 24 derniers mois. Une mesure qui sera expérimentée jusqu’en 2026. Les préfets auront un pouvoir discrétionnaire sur la délivrance de ces cartes de séjour. Autrement dit, ce sont les préfets qui décideront si un travailleur sans papier a le droit ou non d’en obtenir une.
Difficile de comprendre cette mesure qui n’aidera pas ces immigrés qui font le choix de travailler, un choix qui devrait être encouragé et respecté pour leur permettre de mieux s’intégrer.
LE DESTIN INCERTAIN DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS
Les présidents de nombreuses universités françaises alertaient à ce sujet : les personnes demandant un titre de séjour étudiant devront également verser une caution, soit-disant garante d’une « scolarité sérieuse », mais qui accroît considérablement les inégalités. Pour les étudiants étrangers pauvres, il leur sera impossible de venir étudier, faute de moyens. Aujourd’hui, la France est le 6e pays d’accueil des étudiants en mobilité dans le monde, mais cette mesure risque de décourager nombre d’entre eux et de creuser les inégalités. Une dynamique totalement à l’inverse de ce que doit être l’Université.
Quoique, Elisabeth Borne a déclaré, avec une gêne visible, que cette caution pouvait être de « 10 euros, 20 euros » mercredi matin sur France Inter. Finalement, tout ça ne ressemble qu’à une vaste blague. Reste à savoir comment vont se poursuivre les débats sur ce sujet.
PRÉFÉRENCE NATIONALE EN MATIÈRE D’AIDES DE L’ETAT
Victoire pour le RN : le concept de « préférence nationale » est introduit dans ce texte par des mesures visant à conditionner le droit au logement opposable, le versement des allocations familiales et de l’aide personnalisée au logement (APL). Pour le droit au logement opposable ou les APL, il faudra attendre cinq ans de résidence stable et régulière ; pour l’étranger qui travaille, deux ans pour le droit au logement opposable et trois mois pour les APL.
L’excuse pour restreindre ces aides, c’est le souhait de favoriser les français plutôt que les étrangers : la « préférence nationale ». Pourtant, cela ne changera rien au quotidien des français : leurs aides ne se verront pas augmenter par le simple fait que les étrangers ne les touchent plus.
UNE LOI QUI DIVISE
Désormais plus proche de ce que recherchaient la droite et l’extrême-droite dans un texte comme celui-ci, la loi immigration a trouvé une majorité et est adoptée à l’Assemblée nationale avec 249 votes et 186 contre.
Certaines mesures visant à prévenir la délinquance étrangère ou à mieux intégrer sont d’une logique incontestable pour tout républicain qui se respecte. Cependant, la République prend des coups ailleurs, notamment sur le droit du sol, la caution pour les étudiants ou la préférence nationale.
Si on peut entendre de la part du Sénat que le projet de loi a pour but de « diminuer l’attractivité migratoire de la France », c’est en fait une autre manière de dire que l’objectif est de « précariser les immigrés en France ». Ce texte n’offre pas assez de perspectives pour les travailleurs étrangers, qui pour rappel, participent aussi à l’effort commun, et qui sont absolument nécessaires pour certains secteurs. Ils rencontrent déjà bien souvent des difficultés à être régularisés.
VICTOIRE IDÉOLOGIQUE DE L’EXTRÊME-DROITE ?
Le Rassemblement national s’est empressé de réagir. Jordan Bardella, président du RN, expliquait sur France Inter qu’il se réjouissait que l’on « parle maintenant de préférence nationale » : proposition défendue depuis toujours par le FN/RN. Tous ont repris en chant que le texte adopté en CMP « offre une victoire idéologique au Rassemblement national », clamant que leurs idées progressent. Cette loi porte en son sein une idéologie imbuvable en République, elle contient des mesures chères à l’extrême-droite.
Cette loi n’offre pas pour autant un vrai moyen de contrôler l’immigration massive, parce qu’en réalité l’immigration est surtout une aubaine pour le Capital. Le patronat va chercher une main-d’oeuvre étrangère provenant de pays pauvres qu’il pourra plus facilement exploiter. Le président du MEDEF a lui-même expliqué que l’économie française aura « massivement besoin » de ces travailleurs étrangers.
Cette loi a pris comme modèle l’extrême droite en ne cherchant qu’à stigmatiser l’« étranger », le « sans-papier » sans lui offrir de perspective d’avenir, sans le protéger de l’exploitation.
LE TERRAIN DE L’INACTION POLITIQUE
Dans son communiqué de presse, le lendemain du vote, République Souveraine (RS) parle de « coup d’épée dans l’eau ». Effectivement, les mesures les plus restrictives seront probablement censurées par le Conseil Constitutionnel, ou par la Cour de Justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme par la suite. Cela, Gérald Darmanin et le camp présidentiel le savent très bien. D’ailleurs, ils espèrent une certaine censure de cette loi, droitisée par LR et le RN. Il faudra probablement attendre le mois de janvier pour avoir les conclusions du Conseil Constitutionnel.
C’est une nouvelle (in)action politique qui s’inscrit dans la mémoire comme une division de plus à l’Assemblée et dans la classe politique toute entière. Encore une fois, elle révèle au grand jour l’idéologie macroniste qui est celle de la soumission au Capital, au RN également.
Attendue par la droite, redoutée par la gauche, la loi immigration a su se frayer un chemin au Parlement, quitte à satisfaire l’extrême-droite pour éviter une défaite politique pour le camp présidentiel. Une loi sans perspectives pour les travailleurs sans-papiers, sans vision pour l’intégration et qui finira probablement censurée par le Conseil Constitutionnel ou l’Union Européenne. Cette manœuvre politique a prouvé que Macron n’était définitivement pas un barrage contre l’extrême-droite mais un marche-pied.
Antonin Hérault
Photo d’illustration : Manifestation contre la loi immigration du lundi 18 décembre, Place de la République, Paris. Poppy / Gavroche
Rejoindre la discussion
8 réponses à “Loi immigration : quand la classe politique se déchire”
« » » »Comment un parti qui prône la créolisation pourrait être, fasciste raciste ? « » » » (je cite) !
Phrase qui résume (mais bien involontairement) l’inculture politique, les égarements idéologiques et la cécité mentale de la société (surtout occidentale) moderne…
Primo : Georges Marchais en effet ne « stigmatisait » personne. Loin de moi de dire le contraire
Deuxième :
« à en voir mes publications sur internet vous ne combattez pas l’islamisme mais les communautés
musulmanes en général »…Ah
bon ? Ex à l’appui ?
Tertio : la FI est bien l’un des plus dangereux partis d’extrême droite racistes et antisémites d’Europe. Voire le plus dangereux : apologie de crimes contre l’humanité. Hamas et proche d’Houria Bouteldja. Votre réponse (« comment est-ce qu’un parti etc) constitue un aveu.
Ca ne constitue en rien un aveu et je ne comprends toujours pas votre volonté de parler de LFI alors que ce n’est pas le sujet. Il existe Twitter pour se plaindre et raconter n’importe quoi.
Précisément, mon compte Twitter est loin de raconter n’importe quoi (😵). Je suis parfaitement tranquille sur ce point… Il s’agit bien d’un aveu de votre part.
Vous pouvez supprimer mon commentaire, mais cela ne changera rien aux faits : la FI est un parti fasciste, c’est le plus dangereux parti d’extrême droite de la France moderne. Et tout ce qui s’en approche de près ou de loin l’est aussi.
Les commentaires doivent être approuvés avant d’être publiés.
Permettez-moi de répondre à votre premier commentaire avant de l’ajouter.
Tout faux.
« Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. » (Georges Marchais, 1981) était le discours de la gauche à l’époque où elle existait encore. Elle a disparu vers le milieu des années 80.
« Vive l’immigration massive » c’est au contraire le souhait des composants de la NUPES _ tous noyautés par l’islamisme et l’indigénisme qui sont des idéologies totalitaires, obscurantistes, anti-féministes, racistes, et antisémites. Les sympathisants du Hamas.
Et pour cause !…
A la NUPES et la FI il faut ajouter LREM (aucune différence majeure sur le fond).
Avant tout je me permets de déposer ici le « feedback » que vous avez laissé également :
L’extrême droite raciste, antisémite et génocidaire c’est la FI, l’indigénisme et la L’islamisme. Donc effectivement Macron est un marche-pied pour L’extrême droite et le nazisme mais vous ne les voyez pas où ils sont. Ce qui après le pogrom du 7 octobre est inexcusable.
—
Tout faux sur ce qui est dit à propos du corps du texte ? Tout faux sur les données ? Tout faux sur ma vision de cette loi ? Soyez sérieux dans ce que vous dites.
A propos de Georges Marchais et de l’immigration, je vous invite à visionner cette vidéo qui vous sera très utile pour comprendre que M. Marchais n’avait pas pour but de stigmatiser ou de traiter mal l’étranger mais qu’il optait pour une « stratégie de défense de la classe ouvrière française ». Bien que discutable, ce propos n’est en rien celui du RN.
De plus, « la gauche » évolue au fil du temps et ne suit pas nécessairement la même idéologie 40 ans plus tard. La gauche existe toujours, qu’elle vous convienne ou non.
Vous parlez de LFI – comme si je les avais défendus – alors que je n’ai en rien partagé leurs idées. Au contraire, j’ai adopté la posture socialiste, républicaine qui est celle de la meilleure intégration de ceux dans le besoin et d’une protection contre l’exploitation : une opposition donc à une immigration totale et incontrolée. Et bien que je ne cherche pas particulièrement à les défendre, il m’est important de souligner que votre propos est complètement incohérent. Comment est-ce qu’un parti qui prône la « créolisation » pourrait être un « parti fasciste », « raciste » etc ?
Vous introduisez la question du conflit israélo-palestinien alors qu’il n’a rien à faire ici. Encore une fois, l’article ne traite pas de LFI. Je vous rappelle qu’il s’agit d’expliquer le contenu de la loi immigration et les manoeuvres des partis politiques.
Dire que LREM n’a aucune différence majeure sur le fond avec la NUPES est complètement hors-sol.
Vous mélangez tout.
Et à en voir vos publications sur Internet, vous ne combattez pas simplement « l’islamisme » mais bien les communautés musulmanes en général. Je n’ai pas de leçon à recevoir de votre part.