Quand la politique sanitaire devient carcérale

Manifestation anti-pass à Paris, photo de Alain Jocard/AFP
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Dans son allocution du 25 novembre 2021, Olivier Véran, ministre de la santé et des solidarités, a annoncé l’« ouverture » de la troisième dose à tout le monde, l’obligation d’une troisième dose pour maintenir son pass sanitaire, la réduction du temps de validité des tests PCR de 72H à 24H ainsi que la réintroduction du port du masque dans tous les lieux clos. Sur fond de cinquième vague, notre neurologue (ne riez pas, c’est vrai !) national serre la vis. Outre ces nouvelles restrictions, ce discours nous a montré une association d’idées plus que surprenante. Alors qu’il évoquait en creux le cas de l’Autriche qui reconfinait lundi dernier, il déclare que la France a préféré « faire le choix de concilier liberté et responsabilité. ». Mais de quelle liberté parle-t-il ?


 

Si Isaiah Berlin nous donnait deux définitions de la liberté, l’une tournant autour du manque de contraintes, et l’autre articulée autour de la participation consentie à un projet commun, la « gestion » du covid nous a montré que nos gouvernants se fichent éperdument de la première, et utilisent la seconde dans un jeu malsain d’obéissance aveugle.

Une question de confiance

S’il y a bien une liberté inaliénable par excellence, c’est celle des individus de disposer de soi. Ce serait, cependant, pour notre sinistre, « irresponsable », quand bien même cette liberté est fondamentale dans la déontologie médicale comme dans la vie de la cité. En effet, la liberté de disposer de son propre corps, et de manière générale de disposer de soi-même, est loin d’être un caprice. Les libertés individuelles comme collectives sont criminalisées, comme si chaque acte découlant d’une volonté individuelle activait et justifiait une paranoïa sanitaire surjouée et mensongère.

Tout cela est d’autant plus grave si on considère que les libertés sont les garantes de la confiance entre les individus, que ce soit dans le rapport entre le patient et le soignant — rapport ici court-circuité — qu’entre le citoyen et les pouvoirs publics. Si la santé devient affaire d’obligation, c’est que la confiance a été rompue, soit parce qu’on ne fait pas confiance aux populations pour qu’elles prennent soin d’elles-mêmes, soit parce que les autorités ont abdiqué la concorde et le dialogue. Ces deux alternatives signalent dans les deux cas une rupture du contrat social, qui ne s’assure que par la volonté d’engager la discussion avec les nôtres. Qui plus est, cette absence de discussion sincère entre « rassuristes » et « enfermistes » empêche tout dépassement du clivage car le débat n’a pas lieu. Cette non-considération est avant tout une marque de mépris niant la validité du jugement de ceux qui seraient des « déviants », des « irresponsables », c’est-à-dire des personnes avec qui on ne voudrait pas faire société et qui sont de facto exclus.

 

Les libertés individuelles comme collectives sont criminalisées, comme si chaque acte découlant d’une volonté individuelle activait et justifiait une paranoïa sanitaire surjouée et/ou mensongère.

Et la médecine dans tout ça ?

La médecine repose habituellement sur une pondération des risques ou des bénéfices d’un acte médical opérée par le patient. L’État n’a pas à intervenir dans un processus dont les seuls acteurs devraient être le médecin et le patient. En effet, justifier que le rapport à son propre corps puisse être dicté par des autorités politiques qui, par ailleurs, ne sont pas soumises à la déontologie médicale puisqu’elles ont la violence d’État et la loi avec elles, pourrait à son tour justifier des catastrophes sans précédent. Par exemple, cela justifierait que l’autorité politique interdise ou oblige des actes médicaux sous prétexte d’un intérêt commun auquel elle ne croit pas elle-même.

En plus de cultiver la défiance — légitime — envers le gouvernement, un autre risque pointe le bout de son nez : la mise en danger de la parole des médecins. Qu’ils acquiescent par conviction ou par autocensure, cette communication et les mesures allant avec pourriront à coup sûr la réputation du sacerdoce médical, et la confiance que la population place en celui-ci.

Vous avez dit contrat social ?

L’opposition constante entre vaccinés et non-vaccinés est une division de plus dans notre société. Elle s’entretient au bénéfice de l’État dont la  pérennité n’est garantie que par la passivité et la désunion des populations. Cette rhétorique malsaine est servie par les incessantes références à d’éventuels reconfinements et autres couvre-feux qui seraient la faute d’une négligeable minorité « d’antivax » et autre complotistes. Ce langage ne sert finalement qu’à polariser sans jamais tenter de réunir ou de dialoguer.

Cette stratégie est néanmoins pratique puisqu’au lieu de pouvoir se rendre compte que la stratégie de vaccination généralisée ne sert à rien en forçant (comme le montrent des cas comme Singapour, Gibraltar [1] ou le Kerala, seul État indien à avoir adopté une stratégie uniquement vaccinale, et qui représente aujourd’hui la moitié des cas en Inde quand bien même il ne représente qu’un dixième de la population indienne[2]), on peut encore maintenir une partie de la population dans le « bouc-émissariat » sans révéler le pot aux roses. Les menaces de mesures de reconfinement et de couvre-feu ont d’ailleurs fait leurs preuves, moins pour freiner le virus que pour plier les esprits à la contrainte en jouant sur un « plus jamais ça » liberticide de ces quelques vingt-quatre derniers mois.  Pour plus de liberté, moins de liberté, c’est évident… Mais si on peut faire avec moins de liberté, c’est qu’elles n’étaient pas nécessaires, non ? Pourquoi les garder alors ? Pourquoi combattre pour elles ? Après tout, elles ne concernent que ceux qui n’ont pas encore accepté le nouveau contrat social.

 

Ce langage ne sert finalement qu’à polariser sans jamais tenter de réunir ou de dialoguer.

Un petit coup de coude

La théorie des nudges (coup de coude en anglais) est très importante pour comprendre la communication gouvernementale en notre époque. Elle « naît » de l’esprit de deux économistes libéraux, Cass Sunstein et Robert Thaler, et décrit des « incitatifs » (affiches ou spots publicitaires simplistes) particuliers. Leur but est est d’obtenir une réaction attendue d’un sujet sans jamais obtenir ni de réaction rationnelle du sujet qui le subit, ni de sensation de contrainte. Les nudges utilisent nos biais cognitifs pour fonctionner.

Cette thèse n’est pas sans nous rappeler les réflexes conditionnés chers à Pavlov et son chien. Cela nous ramène bien sûr aux travaux de psychologie sociale sur la propagande qui soulignaient déjà en leur temps la puissance des biais cognitifs dans les processus décisionnels de individus [4] . La théorie des nudges de nos deux libéraux n’a rien de nouveau à apporter, mais elle remet au goût du jour des théories plus anciennes, réadaptées au monde managérial et son langage hypocrite. Barbara Stiegler, dans De la démocratie en pandémie, a salutairement rappelé le rôle des cabinets de nudges [3] dans la création d’un langage aujourd’hui connu : « vagues », « confinement », « gestes barrières »… Bien entendu, la rhétorique de la « responsabilité » de notre ministre s’inscrit en plein dans cette logique. Et c’est tout à fait normal, car qui refuserait d’être « responsable» ?

 

Il peut paraître de prime abord surprenant que des théoriciens libéraux aient travaillés sur ce genre d’incitatifs, qui n’hésitent pas à exploiter des biais cognitifs. Au contraire, on pourrait s’attendre à ce qu’ils préfèrent faire confiance aux populations comme le faisaient des libéraux plus optimistes. En réalité, la « liberté » de beaucoup de « libéraux » aujourd’hui, c’est surtout celle d’obéir à leurs injonctions et rien d’autre. La liberté qui nous reste est de baisser la tête sans broncher devant nos maîtres, malgré leurs indubitablement scientifiques et sensées contradictions et autres injonctions paradoxales. Bref, malgré l’absurdité permanente qui nous gouverne et dont les principale assises sont, avouons-le, notre lâcheté et notre paresse. Si c’est à la seule obéissance, Français, que se résume la Liberté, alors je vous l’assure chers compatriotes, la nuit sera longue.

 

Nathan Petrovic

 

[1] https://www.20minutes.fr/monde/3173347-20211117-coronavirus-gibraltar-festivites-noel-annulees-malgre-taux-vaccination-eleve-gare-message

[2] https://www.bbc.com/news/world-asia-india-58054124

[3] voir aussi https://www.huffingtonpost.fr/entry/-nouveau-clip-la-vaccination-covid-biais-cognitifs-nudge-convaincre_fr_60c37741e4b03a395359a89f

[4] voir par exemple Le viol des foules par la propagande politique de Sergeï Tchakhotkine

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