Ce samedi 27 mai 2023 marque le 80ème anniversaire de la première réunion à Paris du Conseil National de la Résistance présidée par Jean Moulin, alors délégué par le Général de Gaulle. 80 ans plus tard, que reste-t-il de l’héritage de l’union de nos héros et que pouvons-nous en retirer pour mener nos combats ?
Un héritage en danger
C’est un 27 mai que les représentants des combattants français de la Libération furent rassemblés à l’initiative de Jean Moulin pour unifier les différents réseaux de résistance et, dans un élan d’optimisme guerrier, prévoir l’après-Occupation. L’enjeu, immense, est de synthétiser de manière équilibrée ce qui fait la France : démocratie, suffrage universel mais aussi politiques de protection sociale et ambitions économiques planifiées par l’Etat. En somme, le retour de ce qui a été confisqué par l’occupant, de ce qui fait le socle commun des Français d’hier : de quoi combattre la vision véritablement totalitaire, raciste et xénophobe qui composait jusqu’alors leur horizon. Le combat fut mené, et gagné. Aujourd’hui, que reste-t-il de des conquêtes du Conseil National de la Résistance ?
Sitôt mis en place, le programme du CNR fût chahuté et démantelé coup après coup par autant d’intérêts contraires à sa dynamique, et donc aux intérêts essentiels des Français. 30 ans à peine suffirent pour que l’Etat rende les clefs du coffre aux « grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » que les mesures d’urgence de la Libération entendaient combattre. 30 ans encore et les conséquences logiques de cet abandon de notre souveraineté économique entraînaient avec elles notre modèle social, dont les plaies béantes ne trouvaient ni bandage ni points de suture. L’idéologie néolibérale dominante nous a déchiré, entre l’ouverture au libre-échange déraisonné, son fétiche de la flexibilité, son amour pour la délocalisation (néo-colonialisme) et sa haine de l’État comme acteur de l’avenir du pays. La production, c’est ce qui fait la prospérité et la puissance nationales, et qui possède le potentiel d’y faire accéder le populaire. Ils nous l’ont volé.
80 ans, c’est donc sans doute le temps qu’il aura fallu pour voir s’effondrer les derniers remparts du bon sens français en matière d’exercice du pouvoir, les derniers remparts républicains. La réélection d’Emmanuel Macron, insolente de calculs médiatiques et de stratégies travaillées des décennies durant par la classe dirigeante pour dévoyer le processus électoral, montre que même la démocratie souhaitée en 1943, et obtenue par la force deux ans plus tard, est en danger. Une répression de la population contestataire par une violence toujours plus exacerbée, s’aggravant de 2016 à 2018 puis 2023, vient corroborer le portrait d’une oligarchie qui ne dit pas son nom, où la souveraineté populaire se meurt, bâillonnée. Souhaitée par Samuel Huntington pour la Commission trilatérale de 1975 (1), « l’apathie politique » restaurée aura eu raison de ce peuple qui « croyait trop en la démocratie ».
Si ce peuple désormais n’y croit plus trop, c’est que la liste des trahisons, et donc des défaites, ne s’arrête pas là. La résistance française – qui suivit celle avec un grand « R » – fût celle qui tâcha tout au long du XXe siècle de résister à l’uniformisation par le marché, proposée par le camp de l’Ouest. Les ultimes batailles pour la souveraineté nationale encadrèrent, comme un symbole, le passage au XXIe siècle avec pour enjeu l’engagement ou non dans la construction européenne et son aplanissement économique et social continental. 1992 pour Maastricht et 2004-2005 pour Rome (retouché en 2007-2008 à Lisbonne), soit les dates où les partisans majoritaires d’un « retour à la Nation » furent globalement défaits, en triste réponse à la victoire de leurs prédécesseurs en 1944-45. En 1992 par le mensonge et les promesses de prospérité, en 2005-2008 par le viol démocratique.
Résister à nouveau, le mythe du CNR
L’écrivain communiste Pier Paolo Pasolini reconnaissait à la société de consommation néolibérale et plus largement au capitalisme moderne d’avoir réussi « l’homologation, l’acculturation » recherchée par le fascisme. C’est « en détruisant les réalités particulières, l’originalité » (2) des sociétés, par la tutelle mercantile et dépolitisée des peuples, que se sont fissurés en France les acquis, les conquêtes du CNR. Or, ces fondations ne devraient pas pouvoir être menacées, quels que furent les aléas de l’époque. Il serait trop simple de conclure à la défaite et de composer avec les armes de l’ennemi vainqueur un futur utopique, plus agréable, sans se donner la peine de relever le bouclier laissé en place par ceux qui nous précèdent et désormais nous regardent.
Aujourd’hui, les oppositions à la destruction complète de ce qui fait la France sont diverses, de gauche à droite et parfois en dehors de cet équilibre : ayant compris la nécessité du socle national souverain, tant comme racine commune de la stabilité sociale que d’outil de développement économique face aux dérives libérales qui dépassent le pays pour le continent, puis le monde. Si le critère le plus large de cette destruction tient dans son mondialisme, alors toute résistance à cette dernière est souverainiste. En permanente reconstruction, le camp souverainiste français trouve équivalence dans ce que fut la résistance, dans sa forme d’avant 1943 d’abord : pluriel, dispersé ; mais aussi et surtout par le fond, il s’agit de reprendre le contrôle du pays, de rendre aux Français leur pouvoir, à la France sa grandeur.
Seul donc manque à ce camp populaire et patriote l’étincelle de l’union, pareille à celle de Jean Moulin, nécessaire bond en avant de circonstance pour atteindre des objectifs communs à tous, condition préalable de la faisabilité des divergences de chacun. Mais dépasser le rêve mondialiste, déjà affaibli, et l’utopisme de confort de l’opposition traditionnelle, nécessite une vision d’avenir commune, fusse-t-elle de court terme. Tout trouvé donc, le rôle de ce programme du CNR en danger, du souvenir diffus d’une réunion unitaire de patriotes, gaullistes, communistes, syndicalistes, nationalistes, socialistes et autres non-étiquetés. Tout souverainiste qui lutte aujourd’hui doit ressentir en lui le mythe de la Résistance, au sens sorelien du terme comme « moyen d’agir sur le présent » (3), susciter la volonté et donc la victoire à venir.
De la même manière que nos héros de 1943 n’avaient pas de mal à se pencher sur le futur d’une France libérée en pleine Occupation, n’ayons pas honte de penser ensemble la reprise de notre souveraineté. Si le mythe de la Résistance ne fait pas tout, il nous est néanmoins nécessaire pour définir la force dans les actes et la justesse dans les dires qui doivent être les nôtres. Rendre hommage au CNR, c’est se revendiquer ouvertement du monde juste et équilibré, patriote et populaire que nos adversaires veulent abattre, en témoigne la seule phrase marquante de la vie de Denis Kessler (ancien vice-président du MEDEF) : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »(4). S’ils avaient presque réussi à défaire le CNR, nous leur annonçons aujourd’hui que nous allons le refaire.
Nino Prin, président et fondateur de l’Union des Jeunes Souverainistes.
- Rapport de Samuel Huntington à la Commission trilatérale de 1975, The Crisis of Democracy
- Pier Paolo Pasolini – Paolo Brunatto « La forme de la ville – Sabaudia »
- Georges Sorel – « Réflexions sur la violence »
- « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! » Denis Kessler, Challenges, 4 Octobre 2007
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