Robespierre, l’homme qui nous divise tous

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L’année dernière, jour pour jour, fut le 230ᵉ anniversaire de la mort de Robespierre. Considéré comme l’une des principales figures de la Révolution française, adulé par certains, rejeté par d’autres, il continue toujours d’enflammer les débats quant à son rôle exact pendant les événements tumultueux de 1793-1794. Retour sur l’un des personnages les plus célèbres et controversés de l’histoire de France.


Un homme politique à contre-courant

À la suite de la convocation des États Généraux par Louis XVI, Maximilien de Robespierre est élu député du Tiers-État en 1789. À cette époque, le jeune avocat artésien de 31 ans, admirateur de Rousseau et de Montesquieu, et ayant prêté serment lors du 20 juin (jeu de paume), défend déjà certaines mesures progressistes devant la toute jeune Assemblée constituante. À l’instar du député Grégoire, il soutient l’abolition de l’esclavage, mais aussi le droit de vote pour les Juifs, les Noirs et les comédiens, le suffrage universel contre le suffrage censitaire, et — fait qui pourrait sembler étonnant pour certains — l’abolition de la peine de mort.

La Terreur, une période souvent mal comprise

Après avoir pointé du doigt le roi suite à l’affaire de Varennes, et dénoncé la guerre face à Brissot au club des Jacobins, au nom de la paix, Robespierre est élu député de la toute nouvelle Assemblée de la jeune République fraîchement proclamée, appelée Convention nationale. Robespierre vote pour la mort du roi, exécuté le 21 janvier 1793. Les Girondins, dénoncés par les Montagnards comme voulant une République fédérale ne pouvant que diviser la France alors qu’elle est en guerre, sont mis à pied au mois de juin de la même année. Robespierre joue ici un rôle assez ambigu, bien que du côté des Jacobins et des Montagnards ; l’historienne Annie Jourdan, par exemple, note que Robespierre a tenté de sauver certains Girondins de la guillotine. Elle montre notamment que Robespierre « jouait le rôle d’arbitre » et qu’il est intervenu au sein du Club pour protéger les 73 partisans que Hébert voulait voir juger immédiatement.

Robespierre est par la suite élu membre du Comité de Salut Public dès juillet 1793. Il participe à la mise en place d’un gouvernement d’exception. La fameuse « loi des suspects » promulguée le 17 septembre 1793 n’est pas son œuvre directe, mais celle de deux députés de la Plaine, Philippe-Antoine Merlin et Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, ce dernier étant président du comité de législation de la Convention nationale. Dès l’automne, Robespierre appelle à la répression en Vendée, entrée en insurrection contre le gouvernement révolutionnaire. Cependant, comme le note l’historien Hervé Leuwers dans sa biographie dédiée au personnage, Robespierre rappelle certains représentants en mission, dont Jean-Baptiste Carrier, le 8 février 1794, sommé de répondre de ses actes de répression (massacres, noyades et fusillades) devant le comité. Pour Robespierre, ces actes ne sont pas justifiables, y compris dans un contexte d’état d’urgence.

Robespierre « jouait le rôle d’arbitre »

Robespierre participe en effet à l’éviction des hébertistes, faction radicale soupçonnée de menacer la Révolution, ainsi que des indulgents (Danton et Desmoulins), accusés de modérantisme. Le rôle de Robespierre ici doit être replacé dans le contexte du Comité de Salut Public, organisation collégiale dont il n’est pas le chef, et dont les membres font tour à tour pression pour l’élimination de ces mêmes factions. Robespierre représente ainsi un courant d’entre-deux, se situant à mi-chemin entre les révolutionnaires les plus radicaux et les plus modérés parmi les Montagnards.

La « Grande Terreur » et Thermidor

Robespierre fait voter en mai le décret du 18 floréal an II, reconnaissant ainsi « l’être suprême et l’immortalité de l’âme ». C’est l’instauration de la fête de l’Être suprême. Robespierre, déiste mais anticlérical, s’oppose de manière virulente à l’athéisme militant prôné par certains révolutionnaires. Il dénonce dès 1793 la « déchristianisation » (fermeture d’églises, destruction de symboles chrétiens) mise en place par certains comités de surveillance locaux, et soutenue par une partie de la population. Il considère que la religion doit jouer un rôle important pour la société républicaine, non pas pour ses dogmes, mais parce qu’elle sert de cadre moral apte à guider le peuple dans la vertu et le civisme.

Il participe avec Georges Couthon à la rédaction de la loi dite de « Prairial », loi qui, à première vue, a pour but de maximiser le nombre d’exécutions via la suppression des garanties de défense des accusés. Seules deux voies sont ainsi possibles : l’acquittement ou la mort. L’historien Jean-Clément Martin, dans sa biographie intitulée Robespierre : la fabrication d’un monstre, pense que cette loi n’avait pas pour but d’augmenter le nombre d’exécutions, mais de mieux trier les accusés en les faisant examiner par diverses commissions, afin de réduire l’arbitraire. Il déclare que la loi a été « sabotée », en particulier par les ennemis de Robespierre. Il est démontré notamment que Marc-Guillaume-Alexis Vadier, membre du comité de sûreté générale, rival du Comité de Salut Public et de Robespierre, aurait profité de la loi afin de faire pression auprès de Fouquier-Tinville, accusateur public du Tribunal révolutionnaire, pour faire exécuter un grand nombre de ses rivaux, et faire porter le chapeau à Robespierre. Robespierre tente également de sauver Catherine Théot de la guillotine, sorte de mystique ayant été instrumentalisée par les ennemis de Robespierre afin de le ridiculiser lui et son culte de l’Être suprême, mais échoue.

« La nuit du 9 au 10 Thermidor », 1794. Arrestation de Robespierre le 27 juillet 1794. Paris, Gravure de de Jean Harriet. Musée Carnavalet

Lors des événements de Thermidor qui ont mené à sa chute (26-27-28 juillet 1794), Martin pense également que Robespierre a été un « bouc-émissaire » pour ses opposants. Robespierre, étant dans un entre-deux et ayant dénoncé ses rivaux, en particulier les représentants en mission, et ce lors de son dernier discours du 26 juillet à la Convention, a été pris pour cible et instrumentalisé afin que les principaux concernés, craignant pour leur tête pour une grande partie d’entre eux, puissent se dédouaner de leurs exactions et faire passer Robespierre pour un « épurateur ». Il est exécuté sans procès le matin du 28 juillet (10 thermidor) en compagnie des autres robespierristes (Saint-Just, Couthon, son frère Augustin, etc.). Certains historiens notent que la chute de Robespierre ne signifie pas pour autant la fin de la « Terreur » (la loi des suspects est suspendue définitivement en septembre 1795), et coïncide avec le triomphe du libéralisme économique et un basculement vers une République plus bourgeoise (fin de la loi du maximum général proposée par Robespierre afin de lutter contre le prix du grain et du pain, instauration du suffrage censitaire, etc.).

Robespierre a été fait passé pour un « épurateur »

Une figure clivante de l’histoire de France

Depuis sa mort en 1794, la figure de Robespierre n’a jamais cessé de cristalliser les passions. Très tôt, les Thermidoriens construisent une légende noire, en faisant un tyran sanguinaire, ou en le présentant comme le principal responsable de la « Terreur ». Cette image est renforcée sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, où l’on cherche à marginaliser les figures républicaines. Mais au fil du XIXᵉ siècle, des personnalités de gauche, comme Jean Jaurès ou Albert Laponneraye, entament un travail de réhabilitation. Karl Marx lui-même voit en Robespierre un héros de la lutte des classes. Cette opposition entre lecture conservatrice et lecture socialiste traverse tout le XXᵉ siècle.

L’historiographie évolue sensiblement après la Seconde Guerre mondiale. L’École des Annales, puis des historiens de gauche comme Albert Soboul, Georges Lefebvre ou encore Albert Mathiez, s’attachent à resituer Robespierre dans son contexte social et structurel. À l’inverse, François Furet propose dans les années 1980 une relecture plus libérale, où Robespierre incarne l’idéologue obsédé par la vertu, préfigurant les totalitarismes modernes. Cette lecture domine largement les commémorations du bicentenaire en 1989.

Depuis les années 2000, un courant plus nuancé tente de dépasser cette polarisation. Des historiens comme Hervé Leuwers et Jean-Clément Martin, cités précédemment, ou encore Cécile Obligi, insistent sur la complexité morale et politique du personnage, refusant à la fois l’héroïsation et la diabolisation. Ils soulignent notamment que la Terreur fut le fruit de décisions collectives et d’un contexte d’urgence, bien plus que l’œuvre d’un seul homme. Robespierre redevient ainsi un objet de débat historique, plus qu’un symbole figé. Martin déclare que la « Terreur » en tant que système n’a jamais été instituée, mais que ce terme relève davantage d’une construction historique et politique, dont Robespierre serait responsable.

La Terreur fut le fruit de décisions collectives et d’un contexte d’urgence, bien plus que l’œuvre d’un seul homme

Que penser réellement de Robespierre ?

Malgré les caricatures et les récupérations hostiles, Robespierre incarne une certaine idée exigeante de la République, fondée sur la souveraineté populaire, la vertu civique et la justice sociale. Pour Robespierre, la démocratie n’était pas qu’un mot, mais bel et bien une pratique ancrée dans la morale collective et la défense des plus humbles. Son combat pour le suffrage universel, par exemple, son refus du cens, sa défense des droits des exclus résonnent encore aujourd’hui chez nous, qui voulons une République réellement indivisible et sociale. Son hostilité à la guerre d’agression, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, entre aussi en résonance avec un certain souverainisme de gauche, hostile à l’impérialisme et soucieux de la cohésion nationale.
Certes, son nom reste lié à une période de violence, mais Robespierre ne peut être réduit à la Terreur. De même, sa volonté de moraliser la vie publique, son attachement à l’intérêt général, sa foi dans la vertu comme boussole politique rappellent que la République ne peut survivre sans exigence éthique. À l’heure de la fragmentation de la démocratie et des idéaux républicains, Robespierre peut encore inspirer : il est un rappel vivant que la République n’est pas un régime de consensus mou, mais un engagement radical en faveur du peuple souverain, de l’égalité et de la justice.


En somme, Robespierre reste une figure politique exigeante, dont l’idéal républicain mérite d’être relu avec sérieux, au-delà des caricatures et des préjugés sur le personnage. Il incarne ainsi une tension féconde entre morale et politique, toujours actuelle.

Yannis Dalissier

 

Que lire pour comprendre Robespierre ? Quelques ressources essentielles :
– Annie Jourdan, « Robespierre l’indécis », La Vie des Idées, 12 janvier 2017
– Hervé Leuwers, Robespierre, Paris, Fayard, 2014, 458p.
– Jean-Clément Martin, Robespierre : la fabrication d’un monstre, Paris, Perrin, 2016, 367p.
– Cécile Obligi, Robespierre, Paris, Belin, 2016, 172p.

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