Non, le RSA n’est pas une usine à chômage !

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Depuis la « Loi pour le plein-emploi » de décembre 2023, des départements expérimentent un RSA conditionné à 15 ou 20 heures d’activité. Par activité, l’expérimentation entend du travail dans le secteur associatif, une immersion dans une entreprise ou des démarches administratives comme l’obtention du permis de conduire. Le flou avait été longtemps entretenu sur la nature des activités proposées.

Pourquoi conditionner le Revenu de solidarité active ? Lieu commun assez répandu repris par le gouvernement, le RSA désinciterait la reprise d’un emploi du fait de son montant apparemment trop élevé et de l’absence de contrepartie de travail. Mais qu’en est-il réellement ?


Une marotte « libérale » depuis la création du Revenu Minimum d’Insertion

La désincitation à l’emploi, ou la « trappe à chômage », est un argument récurrent. Le Revenu minimum d’insertion (RMI), créé par M. Rocard sous François Mitterrand, subissait déjà ces allégations. Un rapport de la Cour des Comptes de 1995 préconisait par exemple de renforcer le lien entre le versement du RMI et l’engagement dans le « contrat d’insertion. » À l’origine, le RMI était versé simplement en « échange » de démarches en vue de l’insertion professionnelle et sociale du travailleur.

L’idée d’une trappe à chômage est reprise dans des études du Commissariat Général au Plan (2000), du Conseil d’Analyse Économique (1998) et le CERSC (1997). Elles affirment que le caractère différentiel du RMI interdirait au bénéficiaire de voir son revenu augmenter substantiellement lors d’une reprise d’emploi. Pour remédier à cela, elles recommandent la mise en place d’un dispositif d’intéressement (qui sera assoupli en 1998) et d’une prime pour l’emploi (2000), sans proposer de durcissement conséquent en contrepartie du RMI.

En 2000, l’étude de G. Laroque et B. Salanié sur la décomposition du non-emploi en France avance que les prestations sociales aux chômeurs et inactifs, en général et pas seulement le RMI, sont des facteurs de « chômage volontaire. » Ils affirment que sur les 4 millions de chômeurs ou inactifs de l’époque, la moitié serait désincitée au retour à l’emploi. H. Sterdyniak, économiste à l’OFCE et membre des Économistes atterrés, a critiqué le manque de rigueur méthodologique de cette étude.

Déjà à l’époque, ces analyses datées étaient critiquées. Par exemple, P. Viveret et P. Vanlerenberghe – hauts fonctionnaires ayant participé à l’évaluation du RMI de 1989 à 1992 – concluaient à une absence de désincitation à l’emploi pour les couples proches du SMIC.

Aussi, une étude de 2002 prouve que la désincitation économique du RMI est circonscrite à une quantité limitée d’allocataires et est fortement limitée par la multitude d’autres raisons poussant les allocataires à refuser un emploi. De plus, les allocataires sont dans leur écrasante majorité actifs dans leur recherche d’emploi. Et si le problème était surtout le manque d’emplois ?

Une autre étude de 2008 sur les raisons non monétaires au refus de l’emploi montre que la rémunération n’est pas la première des raisons pour ne pas reprendre un travail : les conditions et horaires de travail, la qualification, l’absence de moyen de transport adapté, la garde des enfants, le temps de trajet sont plus évoqués que la rémunération. L’étude signale que seulement 3 % des allocataires de l’étude signalent que le manque d’incitation financière est déterminant dans leur refus ! Aussi, cette étude révèle qu’une proportion non négligeable d’allocataires reprennent un emploi alors qu’ils ne gagnent pas plus, voire moins, à la reprise ! Cela s’explique par la valeur sociale du travail : ne pas travailler, en plus de limiter la sociabilité, est mal perçu, et peut provoquer un sentiment de honte.

Et si le problème était surtout le manque d’emplois ?

Ces débats ont alimenté la réforme de 2003 sur la décentralisation du RMI et la mise en place du RMA, qui instituait déjà une obligation d’activité de 15h pour les personnes souscrivant au dispositif après un an de RMI.

S’il n’était déjà pas évident de prouver l’existence d’un effet de trappe à chômage notable pour le RMI, c’est encore le cas pour son successeur. Une étude de l’INSEE publiée en 2014 conclut à un effet désincitatif très faible du RSA pour les jeunes sans enfant autour de 25 ans (à peine 3 % d’entre eux au maximum seraient découragés pour raison économique), et cela  concerne surtout les jeunes sans qualification. Elle confirme aussi les explications non monétaires du refus de l’emploi des études précitées. La DREES s’est aussi penchée sur la question, concluant qu’il n’y a pas d’effet de trappe à chômage significatif.

Seulement 3 % des allocataires signalent que le manque d’incitation financière est déterminant dans leur refus [de reprendre un emploi] !

L’idéologie du « workfare », voilà l’ennemi !

La logique de contrepartie de travail est surtout mise à mal par ce simple constat : comment trouver un emploi aux 1,8 million d’allocataires du RSA alors même que le nombre d’emplois vacants dans le secteur privé hors intérim s’élève à peine à 400 000 ? La problématique est la même pour les chômeurs indemnisés par l’assurance chômage. À moins que l’État ne se transforme en employeur en dernier ressort (en imaginant que cela suffirait et soit souhaitable), il n’est pas aisé d’y voir clair dans l’injonction à l’exercice d’une activité, bien que le gouvernement ait donné quelques pistes que nous avons évoquées.

Alors, pourquoi cette réforme ? Deux concepts peuvent être mobilisés pour mieux cerner ses racines idéologiques et comprendre son existence : les concepts de workfare (contraction de « work for your welfare ») et de welfare to work. Le premier, le workfare, oblige les allocataires aptes au travail à exercer un travail pour toucher l’allocation, avec l’impossibilité de se soustraire à cette contrainte. C’est ce qui est pratiqué aux États-Unis pour certains minimas sociaux, dans une logique de compensation par l’individu de son coût – la perception de son aide sociale – pour la société. Le second, le welfare to work, qui fondait le contrat d’insertion du RMI et le contrat d’engagement réciproque du RSA, consiste à verser l’allocation avec une obligation de faire les démarches nécessaires pour retrouver un emploi dans le cadre d’une relation contractuelle avec le service public du travail social. La différence majeure est que, contrairement au workfare, l’allocataire peut refuser de prendre l’emploi en bout de course et n’est pas obligé d’exercer une activité pour toucher son allocation.

Le workfare constitue une approche beaucoup plus paternaliste de l’individu, lui niant tout contrôle sur son futur emploi – et donc sur une part importante de sa vie. Le welfare to work en revanche respecte davantage la dignité de l’allocataire en lui permettant de décider de la finalité de ses démarches d’insertion, même si des outils de contrôle peuvent être mis en place pour réduire sa liberté de choix (comme limiter le nombre de refus d’emplois). Le workfare est ainsi l’inspiration de notre gouvernement et de tous ceux souhaitant lier travail et perception d’un minima social, loin de toute considération pragmatique sur les déterminants de l’accès à l’emploi. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette vision de l’aide sociale basée sur le workfare est souvent défendue par des personnes prétendant se revendiquer du libéralisme. Défendre ainsi le paternalisme de la société envers les chômeurs et inactifs pauvres par le biais de la coercition de l’État semble pourtant très éloigné des fondements de l’individualisme porté à cette idéologie.

Le workfare constitue une approche beaucoup plus paternaliste de l’individu, lui niant tout contrôle sur son futur emploi.

Une bonne fois pour toutes : le RSA ne favorise pas le maintien au chômage. On ne peut pas vivre une vie décente avec aussi peu : ATD Quart-monde nous expose que le RSA représente à peine 27 % du revenu médian en 2019, contre 35 % pour le RMI en 1990. La moitié des allocataires du RSA vivent avec moins de 860€ par mois. Pour rappel, le RSA-socle s’élève à 607€ par mois.


Cette réforme du RSA ne fait que mettre en application une vision paternaliste de l’aide sociale qui ne se base sur rien de bien sérieux. Les fondements des réformes récentes de l’assurance chômage, qui vont toutes vers une dégradation des droits se basant sur la même justification, paraissent bien fragiles et peu étayés empiriquement.

 

Baptiste L.

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