ZFE : à Rouen, la colère des laissés-pour-compte

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Les Zones à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m ou ZFE) ont été mises en place par le gouvernement en 2021. Une dizaine de grandes métropoles françaises doivent bannir les véhicules thermiques les plus anciens afin de limiter les rejets de CO2. Ce 1er septembre 2022, les règles ont été durcies à Rouen (Seine-Maritime), étendant l’interdiction aux véhicules ayant une vignette Crit’Air 4 et Crit’Air 5. En réaction, une manifestation a eu lieu le 3 septembre 2022.


Des citoyens sur le carreau

Devant l’Hôtel de Ville de Rouen, les premiers manifestants sont là dès 14 heures, et le gilet jaune est de rigueur. Floqués d’un logo représentant le rond-point des Vaches – célèbre point de rassemblement des gilets jaunes du coin – ils ont répondu présents à l’appel de la manifestation contre les ZFE. Selon Sylvie, manifestante de 58 ans, « les gens qui ont des voitures anciennes en ont besoin pour la vie quotidienne […]. Les transports en commun sont insuffisants, imaginez transporter des courses pour une famille dans les transports ! Et il y a des gens qui habitent en dehors de Rouen mais y travaillent, et ont des voitures Crit’Air 5. »

Drapeaux de manifestants près de l’Hôtel de Ville de Rouen, 3 septembre 2022. Crédits photo : Tanguy Lacroix / Gavroche
Drapeaux de manifestants près de l’Hôtel de Ville de Rouen, 3 septembre 2022. Crédits photo : Tanguy Lacroix / Gavroche

Un peu avant 15 heures, les manifestants partent en direction du Théâtre des Arts. Sur la route, ils entonnent à plusieurs reprises Le chant des partisans. « Je ne suis pas concernée par les ZFE mais je vais l’être prochainement, s’inquiète Marie*. Ce qu’ils ont mis en place, c’est dégueulasse car ce sont les plus pauvres qui vont morfler. Je ne conçois pas qu’on fasse des ségrégations : si on supprime la voiture, qu’on la supprime pour tout le monde. »

« J’ai une [voiture de] catégorie 3 et une catégorie 1, pour le moment je ne suis pas concerné, affirme Jean*, militant CGT. Mais sous deux ans je suis grillé, alors que ma première voiture, c’est une voiture qui, quand elle passe au contrôle, y’a jamais rien. Mais qui va me racheter une voiture qui n’aura bientôt plus le droit de rouler en ville ? » À ce sujet, Yves, un soixantenaire, ajoute : « Quand j’ai acheté ma voiture, rien ne disait dans le contrat de vente que je n’aurai plus le droit de l’utiliser un jour… » Pour ces automobilistes, la voiture représente un investissement coûteux, et être obligé d’en racheter une nouvelle – alors que l’ancienne est encore utilisable – est vécu comme une violence économique.

Des communes réfractaires

Au Théâtre des Arts sont présents la CGT, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), le Parti Communiste Français (PCF) et Gauche Révolutionnaire. Des militants de la CGT ont posé une enceinte pour que différentes personnes fassent des discours. Un postier de la CGT prend la parole : « L’environnement mérite mieux que les ZFE ! s’exclame-t-il. Au lieu d’investir dans des aides, on aurait pu investir dans des transports en commun. Ces aides ne profitent qu’aux classes supérieures qui ont les moyens de changer de voiture. »

Joachim Moyse, maire PCF de Saint-Etienne-du-Rouvray – commune dans la banlieue de Rouen – prend lui aussi la parole : « Notre ville a décidé de ne pas rejoindre la ZFE ! » La foule applaudit. « À l’heure actuelle, il faut lier ça à la question du pouvoir d’achat, et à Saint-Étienne-du-Rouvray, les gens ne savaient pas qu’il y aurait ça. » Contacté par téléphone, Pascal Le Cousin, second adjoint du maire de Saint-Étienne-du-Rouvray, abonde dans ce sens : « La question c’est : est-ce que les voitures électriques sont vraiment la solution au remplacement des voitures thermiques ? Je pense que non. » Il pointe aussi du doigt un manque de rigueur dans les critères d’exclusion : « Ce qui me gêne le plus, c’est qu’aujourd’hui, vous avez des voitures qui ne peuvent plus rouler, qui pourtant ont des critères au contrôle technique qui sont bons en termes de pollution. Et vous avez des véhicules de Crit’Air 1 style 4×4 qui polluent beaucoup plus que ces voitures-là. Peut-être faudrait-il faire un travail sur la pollution réelle des véhicules quelque soit leur année. »

Aux abords du cercle des auditeurs, Fabien, militant CGT, distribue des tracts du syndicat décrivant les ZFE comme « une fausse solution » et un « coup antisocial ». « On parle actuellement de 11% des véhicules qui ne peuvent pas circuler dans la métropole. À Saint-Étienne-du-Rouvray, on est à 15% alors qu’à Bois-Guillaume ça doit être bien moins. Et à côté on fait rien contre les jets privés ! » Fabien ne croit pas non plus à la pertinence des alternatives présentées par les pouvoirs publics : « Les transports en commun ne maillent pas tout le territoire ! »

Des voitures électriques peu accessibles malgré les aides

Habitante de Saint-Etienne-du-Rouvray, Nathalie ne décolère pas : « La moins chère c’est la Dacia je-sais-pas-quoi qui coûte pas loin de 20 000€. Qui va s’acheter une bagnole à 20 000€ ? Moi je suis demandeur d’emploi, je suis au plus bas, je touche l’ASS 500 balles par mois, mon fils est étudiant, je suis maman solo… C’est compliqué ! Je me suis débrouillée pour mettre ma voiture au rebu, à regret, et en acheter une autre parce que je ne pouvais pas rester sans voiture. »

Selon elle, les aides à l’achat d’un véhicule électrique ne sont pas suffisantes : « On a eu un mal fou avec mon fils à faire les dossiers sur Internet pour demander les aides. Ça a été un cauchemar : le site du gouvernement n’était plus opérationnel parce qu’ils avaient changé les règles de subvention. On savait pas ce qu’on allait avoir, j’ai été obligée d’avancer les sous donc c’est un problème dans ma situation. Je sais pas si je vais avoir les aides pour l’instant… » Concernant les bornes de recharge de sa commune, « il y en a deux pauvres malheureuses qui se battent en duel près de la gare », offre inadaptée si l’objectif est d’encourager l’achat de voitures électriques, dont la recharge doit être régulière.

« On a eu un mal fou avec mon fils à faire les dossiers sur Internet pour demander les aides. »

« Ce sont des mesures de gens qui sont au pouvoir, et qui vivent sur notre dos. Et eux, ils vivent aux frais de la princesse, ils ont des voitures avec chauffeur, dont les moteurs tournent à l’arrêt pour la clim, sinon ils vont avoir trop chaud en montant dedans » argue-t-elle, lassée.

Une mesure vraiment écologique ?

« Oui, y’a une pression sur le climat, mais en même temps les vieilles voitures c’est peanuts par rapport au choix de faire tout camion pour les marchandises plutôt que d’utiliser le fret, affirme Mathias, militant du NPA. Les prolos dans des bagnoles pourries pourront pas s’en racheter dans un contexte d’inflation à 6%. C’est toujours les pauvres qui doivent se serrer la ceinture. Ceux qui font des bénéfices records, on leur limite rien. » Il considère aussi que passer à la voiture électrique ne ferait que déplacer le problème : « Certes, on va avoir moins d’émissions de carbone, mais on va avoir besoin de terres rares, et les batteries de lithium, on ne sait pas encore comment les recycler. »

« C’est toujours les pauvres qui doivent se serrer la ceinture. Ceux qui font des bénéfices records, on leur limite rien. »

La manifestation arrive à l’Hôtel de Ville de Rouen vers 16h30, entourée d’une voiture de Police municipale et de quelques véhicules de Police nationale. Yves remarque que contrairement à la Police municipale, les véhicules de la Police nationale ne portent pas de vignette Crit’Air pourtant obligatoire dans Rouen. En criant dans son mégaphone, il ironise : « On demande à la Police municipale équipée de vignette de mettre à la fourrière les véhicules de la Police nationale ne portant pas de vignette, et étant donc en infraction ! » Yves se souvient aussi que les véhicules de collection ont droit à une exception et ne sont pas concernés par les ZFE : « Je pense qu’il y a des riches collectionneurs qui font pression aussi. »

 

Tanguy Lacroix

 

* Les prénoms de certaines personnes citées ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.

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