Ou pourquoi l’UE n’aura jamais notre bombe.

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Selon l’article 5 de notre constitution, le président de la République française « est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités » et il a les codes nucléaires… En effet, sans feu Jupiter n’a plus rien d’Olympien, il est donc normal que le 7 février dernier Emmanuel Macron ait fait, comme le général De Gaulle avant lui, un grand discours annonçant ses orientations concernant la « force de frappe » française à l’École de Guerre. La France fait partie des 9 puissances nucléaires de la planète et a le troisième arsenal atomique du monde, nous fêtons d’ailleurs cette année les 60 des premiers essais français. « La dissuasion fait partie de notre histoire, de notre stratégie de défense, et elle le restera », déclarait en janvier 2018 le président, toute la question est de savoir ce qu’il propose vraiment dans ce récent discours : était-ce du vide technocratique mal inspiré devant des généraux ? Était-ce un nouvel excès d’autoritarisme d’un président colérique ne sachant se faire respecter de ses armées ? Une trahison des intérêts de la France pour faire plaisir à l’Allemagne au nom de « la grande idée européenne » ? À ma grande surprise, rien de tout cela, c’était un discours confirmant l’importance de la force de dissuasion nucléaire dans la défense nationale, classique, rien de bien surprenant jusqu’à ce que sous des airs de classique notre Président fasse resurgir à nouveau l’idée européenne.

Qu’est-ce que la dissuasion nucléaire ?

« La dissuasion est un mode de prévention de l’agression sans emploi de la force, comme la diplomatie ou la sécurité collective. Il ne s’agit pas d’inciter un acteur à faire tel ou tel geste, par le raisonnement (persuasion) ou par la contrainte (coercition), mais de l’inciter à ne pas agir. Il ne s’agit pas non plus de neutraliser concrètement la capacité de nuisance de l’adversaire, à froid (action militaire préventive) ou à chaud (action militaire préemptive), mais d’influencer son processus de décision. », définition de la dissuasion nucléaire par Bruno Tertrais dans L’arme nucléaire (2008). La dissuasion nucléaire a pour but d’assurer la souveraineté de l’État face au chantage de puissances étrangères, de dissuader la guerre et de protéger nos alliés, la dissuasion dépasse nos frontières hexagonales.

Les demandes pour une arme nucléaire « européenne ».

Alors qu’ils étaient occupés à crier « no pasarán » dans les rues de leurs villes pour se donner des frissons de résistants au fascisme suite à une coalition rassemblant libéraux, conservateurs et extrême-droite (AFD), la plupart des allemands sont passés à côté d’un échange franco-allemand, pourtant passionnant, sur la bombe nucléaire.

Dans les années 1950, un développement tripartite (France, Allemagne, Italie) de la bombe nucléaire avait commencé, mais De Gaulle l’a vite enterré au nom de l’indépendance nationale, et depuis la seconde guerre mondiale la société allemande est résolument pacifiste et anti-nucléaire, cela prévaut encore aujourd’hui, mais peut-être cela est-il en train de changer Outre-Rhin… En effet, l’été dernier, Die Welt s’interrogeait : L’Allemagne devrait-elle avoir la bombe ? Ces derniers jours, Johann Wadephul qui est vice-président du groupe CDU/CSU (majoritaire) au Bundestag a fait une demande surprenante, le partage de la bombe nucléaire française entre les deux nations, estimant que l’Allemagne avait besoin de la bombe. La République fédérale est traditionnellement très atlantiste, mais avec Donald Trump les relations sont plus compliquées et plus incertaines, mais puisque le président français fustige l’OTAN en « état de mort cérébrale » selon lui, que les États-Unis et la Russie qui sont (de très loin) les deux premières puissances nucléaires du Monde (devant la France qui est troisième) se retirent des traités de désarmement signés dans les années 1980 et 1990, l’idée que l’Allemagne pourrait avoir besoin de la bombe atomique pour se protéger fait son chemin de l’autre côté du Rhin. Wolfgang Ischinger, ancien diplomate et actuellement président de la conférence de Munich sur la sécurité : « l’européisation du potentiel nucléaire français serait effectivement une très bonne idée à moyen terme ». Pour M. Ischinger, la dissuasion nucléaire française devrait « profiter » à l’Union européenne, en échange d’une contribution financière à son développement et à sa mise en œuvre de la part des États membres. « Si le coûteux potentiel nucléaire français devait être développé, on ne peut pas attendre de la France qu’elle paye cela seule sur son propre budget. Les autres partenaires au sein de l’UE, qui bénéficieraient de cette protection, devraient contribuer en conséquence », avait en effet déclaré M. Ischinger, en février 2019. La France garderait toutefois le contrôle du bouton nucléaire, quant aux coûts, il est vrai que la loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit 37 Milliards d’euros pour moderniser la force de frappe française alors qu’en 2018 56% des français y étaient opposés (1). Emmanuel Macron leur a répondu le 7 février dernier à l’école de guerre en appelant à un dialogue sur des « intérêts vitaux communs ». Rien n’est encore avancé, de plus que Donald Trump ne sera pas président à vie, l’attitude américaine pourrait être tout à fait différente dans dix ans et la plupart des élites berlinoises restent profondément atlantistes et rechignent toujours autant à payer pour les autres et un approfondissement conséquent en matière de défense au niveau européen aurait assurément un coût élevé pour la première puissance économique du continent, surtout en période de récession.

Une force nucléaire européenne est elle-possible ?

Certaines précisions doivent ici être faites : l’opinion publique allemande est très défavorable à ce que son pays se dote de la bombe nucléaire et l’Allemagne ne peut pas se doter de la bombe, ce serait illégal, au regard du Traité de Non-Prolifération Nucléaire qu’elle a signée en 1968, cela mettrait fin au régime de non-prolifération et personne ne pourrait plus empêcher la Pologne de construire sa propre bombe. Il s’agirait donc de l’extension du parapluie nucléaire français à une échelle plus large, mais ne soyons pas hypocrites, la force de frappe française a toujours eu un effet dissuasif profitant à ses voisins et De Gaulle considérait que l’invasion du Benelux ou de la RFA menacerait les intérêts vitaux français, mais dans le cadre de l’UE cela irait certainement à une échelle plus large, la question se poserait alors de mourir pour Helsinki… Aussi, une « européanisation » de la bombe atomique française serait impossible, ce serait contraire avec la constitution de l’Autriche qui interdit ce pays d’être une puissance nucléaire et aux traités signés par d’autres états, de plus, la crédibilité de la dissuasion française repose notamment sur le fait que seul le président dispose du feu nucléaire, il paraît évident qu’un comité d’obscurs technocrates réunis dans un bâtiment à l’architecture soviétique à Bruxelles n’aurait aucune crédibilité.

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Ce n’est pas la première fois qu’il est question de la bombe française et d’approfondissement européen, « seuls deux pays de la communauté ont l’arme nucléaire, est-il possible de concevoir une doctrine européenne ? Cette question sera très vite une des questions majeures de la construction d’une défense européenne commune » déclarait François Mitterrand en 1992, la question se pose depuis longtemps, mais aucune réponse n’a concrètement été apportée. En 1995, Alain Juppé avait déclaré : « notre génération doit-elle craindre d’envisager une dissuasion, non partagée, mais au minimum une dissuasion concertée avec nos principaux partenaires », c’est la dissuasion concertée (Jacques Melick, secrétaire d’État à la Défense en 1992 : « la dissuasion concertée consisterait pour une puissance nucléaire à garder son indépendance de décision nucléaire, tout en consultant ses partenaires au sujet des dispositions à prendre pour l’application du feu nucléaire ». Depuis, rien n’a avancé au niveau européen, en réalité la relation franco-britannique est bien plus approfondie dans ce domaine, avec une déclaration « d’intérêts vitaux communs » en 1995 et les accords de Lancaster House de 2010 qui approfondissent cette coopération bilatérale avec des programmes de simulation communs et des projets de recherche allant dans la même direction, mais le Brexit nous plonge dans l’incertitude quant à la poursuite d’une relation aussi privilégiée.

À l’heure actuelle il est prématuré de parler « d’européanisation » de la bombe française ou de fin de notre force de frappe, cela est très difficile à envisager, les discussions sur une armée européenne n’avancent pas non plus et elles n’ont pas le don de réjouir outre-Atlantique. Il faudra aussi composer avec l’OTAN et donc les États-Unis qui ne verraient forcément pas d’un bon œil cette émancipation des européens, bien que ces derniers soient encore très désunis sur un sujet dont ils n’ont même pas encore discuté.

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Liens :

(1): https://www.la-croix.com/France/Securite/Francais-contre-nucleaire-militaire-2018-07-04-1200952564

Les É-U et la Russie relancent la course aux armements : https://www.lepoint.fr/monde/washington-sort-officiellement-du-traite-de-desarmement-et-charge-moscou-02-08-2019-2328071_24.php

Les puissances nucléaires dans le monde : http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-1051_fr.html

Discours du président de la République : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/02/07/discours-du-president-emmanuel-macron-sur-la-strategie-de-defense-et-de-dissuasion-devant-les-stagiaires-de-la-27eme-promotion-de-lecole-de-guerre

L’histoire du programme nucléaire militaire français : https://journals.openedition.org/rha/7187?lang=en

Les demandes allemandes sur la bombe française : http://www.opex360.com/2018/08/06/lallemagne-ne-pouvait-plus-compter-seul-parapluie-nucleaire-francais/

Analyse du discours présidentiel : http://www.opex360.com/2020/02/07/dissuasion-les-interets-vitaux-de-la-france-ont-desormais-une-dimension-europeenne-affirme-m-macron/

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