La 11e campagne présidentielle de la Ve République bat des records de médiocrité. Entre l’absence de débats, les difficultés des candidats à percer le mur du son, et un résultat qui semble joué d’avance, la ferveur démocratique peine à se lever. Un paradoxe dans une ère ultra-connectée où les communications n’ont jamais été aussi déployées.
L’annonce est passée inaperçue et pourtant, elle est lourde de sens. Pour la première fois de sa longue histoire TF1 ne consacrera pas sa soirée du 10 avril au premier tour de la présidentielle. Seulement deux heures et demi d’antenne (18h30 – 21h15) seront consacrées à la reine des élections avant de laisser place… au film Les Visiteurs. Pas plus de précisions de la Une qui se contente, comme ses rivales, de donner des interviews aux candidats ou de proposer un vrai-faux débat, lors de l’émission « La France face à la guerre ». Huit candidats s’étaient succédés pour expliquer sa vision du monde sans contradiction. Huit et non pas douze. Nathalie Arthaud, Jean Lassalle, Philippe Poutou et Nicolas Dupont-Aignan n’existent pas. Le plus célèbre berger de France a d’ailleurs menacé de retirer sa candidature. Pour cette campagne unique en son genre où aucun débat à 12 n’aura eu lieu, le mérite revient à France 2 et C8. Fini les affrontements de deux heures entre deux candidats à l’Élysée, place aux micro-débats d’une demi-heure où il faut compter les matchs entre prétendants… « C’est une campagne de merde », « je suis un candidat de merde ». Jean Lassalle est un homme franc. Sur BFMTV puis sur CNews, le candidat de Résistons ! a peut-être livré l’analyse la plus précise sur la campagne présidentielle de 2022. La première raison se tient en deux mots : Emmanuel Macron.
Pas de débat, pas de chocolat !
Jusqu’au bout, Emmanuel Macron aura refusé d’être démocrate. Le chef de l’État devait être l’invité de l’émission politique Élysée 2022 ce jeudi 7 avril, comme tous les autres candidats, mais Jupiter a (une nouvelle fois) décliné l’offre de débat, ou au moins, de bilan à présenter. D’abord concentré sur la crise sanitaire puis sur la guerre en Ukraine, le chef de l’État a laissé les Français dans un faux suspense jusqu’au 3 mars dernier, date de sa déclaration de candidature. Porté dans les sondages et armé de 500 parrainages dès le mois de février, le président-candidat a fait campagne en cavalier seul. Refusant avec véhémence d’entrer dans l’arène des débats avant le 10 avril, Emmanuel Macron a manqué une occasion de mettre en lumière le fameux « nouveau monde » qu’il doit incarner. Car jamais un président sortant n’avait participé à un débat du premier tour. Le créateur d’En Marche ! a préféré les conférences prévues, calées, et choisies méthodiquement pour que le public présent corresponde exactement aux critères de Jupiter. Jean Lassalle, encore, avait tenté, en vain, de se rendre à Dijon pour débattre avec Emmanuel Macron. Refoulé à l’entrée. À l’unisson, tous les candidats ont évidemment fustigé le comportement soviétique du président… avant que l’une d’entre elles ne décide à son tour de tourner le dos au débat.
Jusqu’au bout, Emmanuel Macron aura refusé d’être démocrate.
Je me suis donc rendu à Poissy. Après des palabres qui ont commencé à 17h45 pour se terminer à 19h15 la réponse est tombée : impossible de participer au débat. Vive la démocratie! Il commence très fort sa campagne. Un débat public pas si public que ça#jeanlassalle2022 pic.twitter.com/M1ETbfeQax
— Jean Lassalle (@jeanlassalle) March 7, 2022
Marine Le Pen a refusé de se présenter à un débat face à Valérie Pécresse en mars dernier. Motif ? « Compte tenu de notre niveau électoral, nous ne débattrons ni avec Valérie Pécresse ni avec Jean-Luc Mélenchon ni avec Éric Zemmour » aurait fait valoir son entourage, selon Le Parisien. Elle ne souhaiterait débattre qu’avec Emmanuel Macron. « Ou, à défaut avec le Premier ministre, Jean Castex, représentant de l’exécutif qui serait alors comptable du bilan d’Emmanuel Macron » aurait précisé le camp de Marine Le Pen. Un comble pour la représentante d’un parti qui avait vertement critiqué le refus de Jacques Chirac de débattre avec Jean-Marie Le Pen en 2022. Alors, est-ce une « élection truquée » comme le prétend Nicolas Dupont-Aignan ? Une chose est sûre, les sondages journaliers semblent donner le tournis à l’opinion, à tel point qu’un nouveau record d’abstention au premier tour soit en marche. Selon plusieurs estimations, un tiers des électeurs n’iront pas dans l’isoloir le 10 avril. La faute également, aux deux partis historiques qui semblent plus que jamais en voie d’extinction.
Droite et gauche inaudibles
Rien n’est évidemment joué avant ce dimanche 20 heures et une seconde. Pourtant, au Parti socialiste, les dés sont déjà joués. Le parti créé par François Mitterrand regarde la montre en attendant le gong du premier tour et devrait réaliser son pire score historique avec la candidature d’Anne Hidalgo. François Hollande a même éclipsé la maire de Paris lors de son discours à Limoges, en assumant clairement vouloir incarner le futur du parti. Faire du neuf avec du vieux ? Un pari pas toujours gagnant pour un parti qui a abandonné son essence -les classes populaires et ouvrières- depuis cette fameuse note de Terra Nova en 2011 (1) , indiquant au PS de séduire davantage « les diplômés », « les jeunes », « les minorités des quartiers populaires » et « les femmes » : tous unifiés par « des valeurs culturelles, progressistes ». Aujourd’hui, la gauche se conjugue au mélenchonisme, voire au rousselisme. Le candidat communiste devrait même terminer devant la candidate socialiste pour la première fois dans l’histoire de la Ve République. À n’en pas douter, une campagne sans un PS fort ne peut être qu’une mauvaise cuvée… tout comme avec une droite « molle ».
Il y eut bien quelques éclairs dans la campagne de Valérie Pécresse. Sa victoire à la primaire d’abord, son débat face à Éric Zemmour, ensuite, et son dernier meeting à Paris, enfin. Trois moments forts en six mois de campagne où la candidate LR n’a jamais donné l’élan trouvé par ses prédécesseurs. Pire, la présidente de la région Île-de-France est resté dans les années 1990-2000. Son programme transpire la bonne vieille recette de l’UMP : moins de dépenses publiques, moins de fonctionnaires, baisse de la dette, plus de policiers. Cette recette est-elle encore comestible en 2022 ? Plus l’échéance approche et plus Valérie Pécresse se rapproche de la barre des 10 % plutôt que celle des 20 %. Ajoutez à cela, ses couacs et son discours raté au Zénith de Paris, la droite modérée est presque inaudible face à Emmanuel Macron, Éric Zemmour ou Marine Le Pen. La faiblesse criante des candidature LR et PS est inédite depuis 1965, où les deux partis ont raflé à eux deux 14 places au second tour sur 20 possibles. Pourtant, Valérie Pécresse et Anne Hidalgo ont pu bénéficier des restes de leur parti en accumulant chacune 2 636 et 1 440 parrainages. Des centaines de soutiens qui auraient pu être favorables aux « petits candidats »…
Pas de place dans la campagne pour les petits candidats… et les idées nouvelles
Qu’il semble loin le temps où Marcel Barbu, le candidat des « chiens battus », se présentait à l’élection présidentielle 1965. Cette candidature fantasque avait été rendue possible grâce au seuil de 100 parrainages… anonymes. Un seuil trop bas pour empêcher les candidatures fantaisistes. Presque 60 ans plus tard, la guerre a fait rage pendant des mois pour plus d’une cinquantaine de candidats pour obtenir 500 sésames… rendus publics. Face aux pressions exercées par les partis, départements ou régions et aux difficultés logistiques rencontrées par les petits candidats, nombre de nouvelles têtes politiques ont été laissées sur le carreau. Mais c’est surtout le manque de visibilité que pointent les Hélène Thouy (Parti animaliste), Anasse Kazib (Révolution permanente), Georges Kuzmanovic (République souveraine). Une donnée également critiquée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et du numérique (Arcom, ex-CSA) sur l’inégalité des temps de parole. Ainsi quatre antennes (RTL, BFMTV, Europe 1, RMC) ont été mis en garde par l’Arcom pour n’avoir pas respecté les règles d’équité entre les candidats, déclarés ou présumés.
Nous l'avons dénoncé à de nombreuses reprises : le temps de parole des candidats a été bafoué lors de la première période de la campagne présidentielle, ce qui a empêché toute voix nouvelle d'émerger. Cela mine gravement la légitimité de l'élection.https://t.co/Ig0mXoskfN
— République souveraine (@RSouveraine) April 4, 2022
La campagne 2022 aurait pu être électrique mais elle a finalement disjoncté. Paradoxalement, cette crise démocratique pourrait bien marquer l’histoire de la Ve République. Cette campagne restera dans les annales comme celle où quasiment tous les candidats auront exigé des débats mais qui, en vain, se terminera devant Jacqouille la Fripouille, le 10 avril à 21 heures. Dèmos kratos, n’est-ce pas ?
Clément LABONNE
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