Accord Trump-Leyen : l’Europe est malade de l’Union européenne

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Ce dimanche 27 juillet 2025, Donald Trump s’est fendu d’avoir scellé avec l’Union Européenne le « plus important » accord commercial jamais réalisé. Du côté européen, tout le monde a a contrario noté la gêne d’Ursula von der Leyen lors de son entrevue avec le président orange. Les dignitaires européens auraient-ils dû lire The Art of the Deal [publié par Donald Trump en 1987] ? Ou le problème est plus profond, tenant à la structure même de l’architecture européenne ?


L’accord Trump-Leyen, la troisième bombe atomique

Soumission ? Défaite diplomatique ? Cela en a tout l’air. Alors que Donald Trump semblait de bonne humeur lors de l’annonce de la conclusion de l’accord, la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, avait l’air vraiment mal à l’aise. Et pour cause, les droits de douanes envers les produits européens ne seront « que » de 15 %, plutôt que de 30 %. Si seulement c’était tout ! Les Américains n’ont offert aucune contrepartie, les droits de douanes réciproques sur des produits stratégiques vont être levés (aéronautique, produits chimiques et agricoles, matières premières, ressources naturelles). Et le pire : l’UE s’est engagée à acheter d’ici trois ans 750 milliards de dollars de produits énergétiques (gaz, pétrole) et du matériel militaire américain. Résilience énergétique et autonomie stratégique et militaire, nous voilà ! 600 autres milliards, qualifiés de « cadeau », doivent être investis par les Européens aux Etats-Unis, et Donald Trump a bien précisé qu’il veut en faire ce qu’il entend, sans donner voix au chapitre aux Européens.

A la vue de cet accord, déséquilibré au possible, on ne peut que penser aux « traités inégaux » imposés à la Chine au cours du XIXème siècle par les Européens (la France et le Royaume-Uni, mais aussi la Russie). Ces « traités inégaux » imposés à la Chine principalement par les Européens (Royaume-Uni, France, Russie, …) ne relevaient pas de négociations d’égal à égal, mais de rapports de force militaires et économiques. Le Traité de Nankin (1842), qui mit fin à la Première guerre de l’opium, força la Chine à céder Hong Kong, à ouvrir plusieurs ports au commerce britannique, à payer de lourdes indemnités ; le Traité de Bogue (1843) imposa un tarif douanier uniforme à 5 % pour faciliter l’export britannique et l’extraterritorialité des ressortissants étrangers. Ce « siècle d’humiliation » de la Chine lui a été traumatique, et participe à structurer encore aujourd’hui son approche des relations internationales : protectionnisme et maîtrise technologique, agressivité commerciale, constitution d’un pôle – les BRICs – capable de rivaliser avec le « système » actuel des relations internationales, héritage de la domination occidentale.

La Signature du Traité de Nankin, Capitaine John Platt, 1846

En miroir avec la Chine du XIXème siècle, l’Europe, à travers l’UE, est ainsi bien reléguée au second rang de la scène mondiale, voire au troisième, par son « allié » américain. En effet, aucune réponse européenne n’est aujourd’hui « possible » : les mesures de rétorsion ont été annulées, et Trump conserve un levier avec la menace de tout de même monter les droits de douane à cette fois 35 % si les 600 milliards d’investissement n’étaient pas effectués…

Les Américains n’ont offert aucune contrepartie.

Alors que l’UE voudrait jouer dans la cour des grands, les Etats-Unis, avec Trump, lui rappellent son impuissance. Les dignitaires européens cherchaient un accord commercial avec les Etats-Unis depuis les années 1990 dans une logique d’approfondissement du libre-échange, à travers des résolutions au Parlement européen (11 entre 2006 et 2013) et des « rounds » de négociations réguliers, cela n’aboutit pas. En effet, au-delà du programme habituel, plutôt contesté par la gauche, les propositions américaines ne contentaient pas les Français et les Allemands sur le « TAFTA » (traité de libre-échange transatlantique), qui le jugeaient trop favorable aux Américains. Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en 2016, puis son retour en 2024, le masque tombe (pour ceux qui ne voulaient pas encore voir au travers) à l’occasion d’une politique protectionniste (les Etats-Unis n’ont, eux, jamais arrêté de l’être) visant à rééquilibrer la balance commerciale américaine, déficitaire pour les biens de 156 milliards de dollars en janvier 2025 d’après la Direction Générale du Trésor. En rehaussant les droits de douane, le président orange entend augmenter les recettes de l’État (pour équilibrer les baisses d’impôts), et améliorer la compétitivité-coût des entreprises américaines afin d’inciter la production sur le territoire national. Ainsi, il a menacé l’UE par des droits de douanes de 30 %, contre 5 % en moyenne avant sa réélection. Cette hausse devant survenir dès le 1er août 2025, la conclusion d’un accord moins pire par les dignitaires européens leur était essentiel pour préserver les capacités d’export européennes (en fait, allemandes…), dans un contexte de concurrence internationale tendue.

Kak, pour L’Opinion, 22 janvier 2025

Quand l’impérialisme occidental visait une extension de ses débouchés et l’accès à une myriade de ressources, l’impérialisme américain aujourd’hui entend abuser de sa position encore centrale, particulièrement pour les exports européens, pour réaffirmer sa place de première puissance mondiale, tant qu’il le peut encore… Benjamin Bürbaumer, chercheur au Centre Emile Durkheim, analyse ainsi la situation : « D’une arme défensive du faible, le protectionnisme est devenu une arme offensive du fort.  »

Von der Leyen doit-elle démissionner ?

Répondons tout de suite : oui, mais ce n’est pas, en fait, le sujet. Les petites vierges européistes effarouchées n’hésitent pas à blâmer, non sans raison, la Présidente de la Commission Européenne, de plus en plus contestée notamment par ses revirements sur son « Green Deal européen », ses prises de liberté quant à ses fonctions, et ses alliances de circonstance avec les droites radicales au Parlement européen. Ils se trompent cependant sur une chose simple : Von der Leyen n’est, sur ce dossier, que l’émissaire de l’UE. Un rapport de force diplomatique et économique est une question d’intérêts et de capacités. Quels intérêts porte notre Allemande en cheffe ? Quelles sont les capacités de l’UE pour peser sur les relations commerciales avec les Etats-Unis ? Voilà les seules questions pertinentes.

Déjà, Von der Leyen représente, formellement les intérêts de l’Union européenne. Le problème, et c’est une critique que les « souverainistes » formulent depuis bien trop longtemps, c’est que cela ne veut rien dire. L’UE n’est pas vraiment une communauté d’intérêts, mais d’abord une zone de libéralisation des échanges. Aussi, les économies européennes sont bien trop différentes, en termes de répartition de la valeur ajoutée entre les différents pans des économies nationales et en termes de développement. L’intérêt européen est donc un agrégat peu pertinent, et chaque politique extérieure de l’UE (interne aussi, évidemment), crée des perdants et des gagnants en son sein.

Quels intérêts donc ? Saviez-vous que les automobiles allemandes subissaient des droits de douanes, avant l’accord, de 27,5 % ? Cela représentait un coût d’1,3 milliards d’euros pour Volkswagen. Un taux à 15 %, ça permet à l’Allemagne de limiter la casse… Pendant ce temps-là, la France en est réduite quémander des exemptions pour ses exports de champagne, de vins et spiritueux, pour son agriculture, et voit ses emplois menacésEvidemment, elle n’obtient pas satisfaction. La question des intérêts poursuivis par les négociateurs européens est vite répondue, comme dirait l’autre.

Un taux à 15 %, ça permet à l’Allemagne de limiter la casse…

L’UE subit, et les Nations subissent l’UE.

Afin de préserver les intérêts allemands, et d’obtenir un accord sous-optimal face à la menace de droits de douane à 30 %, l’Union européenne s’est couchée d’un pis-aller. Il faut bien comprendre d’où provient l’impuissance européenne, censée être le plus gros marché mondial, et le 2e PIB mondial… Comme quoi, les chiffres n’offrent qu’un vague aperçu de la réalité, des rapports de force. Nous avons écrit plus haut que l’UE était un agrégat d’économies diverses mises en marché. Cela provient des structures économiques nationales datant d’avant la construction européenne et l’adhésion de nouveaux membres ensuite, mais aussi des évolutions dues à la construction européenne et ses normes : libre-échange et monnaie unique face aux niveaux de développement, à la répartition des valeurs ajoutées, aux infrastructures, aux systèmes sociaux, etc.

L’UE est ainsi éclatée en intérêts divergents, de même qu’elle l’est par les structures mêmes de l’UE : le Conseil européen [réunissant les chefs d’Etat], censé impulser la politique de l’Union, nécessite l’unanimité, de même que le Conseil de l’Union européen [réunissant les ministres des Etats par thématique] nécessite selon les sujets soit une majorité d’Etats, soit une majorité dite qualifiée [20 Etats représentant au moins 65 % de la population européenne], soit une unanimité, pour prendre des directions et décisions. Sur l’accord Trump-Leyen, les Etats européens étaient divisés entre une ligne « dure », qui voulait engager la guerre commerciale, et une ligne d’« apaisement » avec les pays de l’Est dépendant de l’OTAN notamment. Les intérêts européens (le pis-aller) et l’absence de consensus ont ainsi conduit à cet accord : pas d’unanimité, et incertitude sur la position du Conseil de l’UE.

Les Etats membres de l’UE divisés sur l’accord avec les Etats-Unis. Le Grand Continent, 2025

Face à ce constat, deux positions adversaires composent : les « européistes » veulent renforcer l’intégration européenne, tel Mario Draghi [ex-président de la BCE], par l’abandon du vote à l’unanimité au Conseil européen et au Conseil de l’UE notamment, pour dégager des directions plus facilement, et donc plus ambitieuses, soit l’argumentaire fédéraliste classique ; les « souverainistes » affirment l’impossibilité d’une direction commune et en appelle à des coopérations basées sur les intérêts dans un autre cadre.

Unies, les nations européennes étaient censées être plus fortes. Cet argument, répété ad nauseam, se voit encore une fois ridiculisé. Le Royaume-Uni, petit pays par rapport à la taille du marché européen, s’est vu « offrir » de meilleurs (moins pires) droits de douane par les Etats-Unis. Ainsi, en plus de n’être pas vraiment unis, les pays européens ne sont pas plus forts… Et quand les européistes se rendent compte des limites de l’UE et de ses difficultés à faire face aux pressions américaines et chinoises, en plus de son incapacité à atteindre ses objectifs en Ukraine, ils n’ont à proposer qu’une fuite en avant antinationale. La religion européiste n’en est pas à son dernier mot !

Il est urgent de redéfinir les relations qui régissent les nations européennes. L’Union n’a pas apporté les résultats escomptés : faible rattrapage des pays de l’Est (Pologne exceptée), guerre commerciale interne (dévaluation sociale allemande début 2000 et italienne en ce moment) et inégalités de balances commerciales, apathie économie en France, croissance moyenne faible par rapport aux Etats-Unis et au reste du monde, projet politique en panne, influence géopolitique ridicule, … Le nihilisme et le refus de responsabilité des bourgeoisies nationales au pouvoir ont sorti ces nations de l’histoire, et les peuples de leur souveraineté. La fuite en avant européiste ne sauraient améliorer les choses, et ne feraient que renforcer la défiance démocratique, les apathies nationales, sans s’adapter véritablement aux enjeux de tous les pays, devenus alors de simples territoires.

Unies, les nations européennes étaient censées être plus fortes. Cet argument, répété ad nauseam, se voit encore une fois ridiculisé.

Aujourd’hui, comme sur le Mercosur, qui pourrait s’appliquer en grande partie du fait de la compétence exclusive de l’UE sur la majorité de ses tenants et aboutissants, la France n’a aucun moyen véritable de peser dans la balance. Au-delà de créer une alliance avec suffisamment d’Etats membres pour empêcher la ratification de l’accord, chose incertaine, elle ne maîtrise pas les événements, et, on l’a vu, ce ne sont pas ses intérêts qui ont primé dans les discussions. Belle performance diplomatique. Notre seule perspective : une proposition de résolution (vote symbolique) déposée par le député Emmanuel Maurel (NFP – Gauche Républicaine et Socialiste), siégeant avec les communistes ; au-delà, des cries d’orfraie de part et d’autre du champ politique, sans conclusion sur les causes réelles de ce désastre.


Défaite commerciale et relégation de l’UE comme acteur géopolitique faible, et comme géant économique aux pieds d’argile. Triste position pour le vieux continent et ses nations. On ne peut qu’espérer que l’illusion unitaire européenne prenne fin dans les temps prochains, pour que l’Europe se ressaisisse, et bâtisse des fondations plus saines : à l’heure du retour du politique, l’Europe ne peut se contenter du dogme économiciste.

A noter que ce feuilleton américano-européen n’est pas encore terminé : l’accord doit encore être approuvé par le Conseil de l’UE (à majorité qualifiée), et s’il l’était, certains objectifs semblent de toute façon impossible à tenir (humiliation supplémentaire, ou de quoi se rassurer?).

T. Noree

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