La diaspora arménienne se mobilise contre l’Azerbaïdjan

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Le 19 septembre, l’Azerbaïdjan a attaqué les rebelles arméniens du Haut-Karabagh, aussi appelée Artsakh. La république indépendante de facto, dépassée et sans soutien international, a dû accepter un cessez-le-feu, se voyant obligée de rendre ses armes et de se dissoudre pour le 1er janvier 2024. Cette défaite éclair a provoqué un exode de 100 000 réfugiés vers l’Arménie, qui doit alors gérer des dizaines de milliers de sans-abris. Ces évènements font suite à une première tentative en automne 2020 ayant vu l’interposition de forces russes de « maintien de la paix », puis d’un blocus de la zone séparatiste (décembre 2022 à septembre 2023), ayant pour but de pousser à l’attrition la population opposée au pouvoir autoritaire azéri.

Connaitre l’histoire

À Tours, l’Union des Arméniens du Centre, a proposé un cycle d’évènements pour le début du mois d’octobre. Parmi eux, une conférence avec Raymond Haroutioun Kévorkian, historien et arménologue de Paris VIII, portant sur le génocide des Arméniens et l’Arménie d’aujourd’hui. Une salle petite, mais remplie pour la conférence d’une heure, suivie ensuite d’un moment de débats et de questions.

Raymond H. Kevorkian a d’abord rappelé à l’auditoire que l’opération dite « antiterroriste » par l’Azerbaïdjan risque de mener à une destruction du patrimoine culturel et mémoriel sur place, « On fait souvent le lien chez les Arméniens entre 1915 [ndlr = date du génocide des arméniens]  et aujourd’hui, avec le nettoyage ethnique en cours. »

Raymond H. Kevorkian à Tours. Crédits photo : Philippe Ouzounian

L’intervenant précise que l’injustice qui continue aujourd’hui n’est pas nouvelle, et était déjà présente quand les responsables du génocide, du mouvement Jeunes Turcs, se sont enfuis à Berlin sans avoir été jugés. Dans ces massacres, Près d’1,5 million d’Arméniens ottomans, c’est-à-dire les deux tiers de ce peuple, ont disparu, en particulier ceux vivant dans l’est de l’Anatolie.

Le panturquisme, risque existentiel pour le peuple arménien

Cette idéologie, défendue par la Turquie et l’Azerbaïdjan, se définit par l’union de tous les turcophones en une seule entité, concept entendu ici comme « deux états, une nation ». Ce qui a pour conséquence de serrer l’écrou autour de la nation arménienne, qui est menacée dans son existence même et son intégrité territoriale. Arménie qui a déjà perdu de nombreux territoires auparavant comme celui du Nakitchevan, celui de l’Artsakh, les régions actuellement turques de l’Ararat et de Kars et le sud de la Géorgie. L’idéologie panturquiste s’est matérialisée par exemple lors du conseil turcique de 2019, lorsque le président turc Erdogan a affirmé que l’Arménie (la région du Syunik en particulier) coupait la connexion entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, « mais pas pour longtemps ».

Pays turcs. Source : https://coinchapter.com/armenia-pays-for-pan-turkism-ambitions-as-azerbaijan-strikes-civilians-a-heartfelt-letter-to-the-world/
Nations considérées colmme turques par les panturquistes, on voit l’Arménie enclavée dans le Caucase du sud.

L’Azerbaïdjan, bien qu’ayant des différences culturelles avec la Turquie, (les Turcs étant historiquement sunnites, les Azéris chiites) reste une création artificielle. Le fait que son état-major soit intégralement aligné sur les généraux turcs, envoyés à Bakou – capitale de l’Azerbaïdjan – et formés donc avec des méthodes de l’OTAN – la Turquie en faisant partie – en est bien une preuve. Le président azéri Ilham Aliev, à l’instar des organisations nationalistes turques, a émis la volonté de « terminer le travail », vœu partagé par la Turquie. Cela a entraîné et préparé l’Azerbaïdjan dans son attaque et sa préparation pour une prochaine invasion du territoire arménien, déjà rogné sur certaines de ses frontières pourtant reconnues internationalement.

Agir au présent contre l’injustice

Dans la même semaine, une manifestation régionale pour les indépendantistes d’Artsakh et l’Arménie a lieu à Blois dans le Loir-et-Cher, au même moment que les Rendez-vous de l’Histoire. Un moment opportun pour alerter le grand public sur le nettoyage ethnique produit en Artsakh. Une cinquantaine de personnes étaient présentes, principalement des citoyens d’origine arménienne, de toutes les générations. On aperçoit un portrait de Missak Manoukian et l’Affiche rouge, un symbole de la Résistance française.

« Je suis ici pour tous les héros qui se reposent et les arméniens déracinés qui se sont battus pendant des siècles, explique Lucisne, adolescente. J’ai conscience que la prochaine étape sera l’Arménie elle-même. Ce qui se passe en ce moment est un retour du génocide de 1915. Le droit international n’est pas respecté. Je pense à mes frères mobilisés dans l’armée arménienne. »

Les messages portés par la foule, munis de nombreux panneaux et drapeaux, portent sur une dénonciation du double discours de l’Union Européenne, qui à la fois dénonce les actes de l’Azerbaïdjan, mais estime ce dernier comme étant un partenaire fiable. Ce traité prévoit l’ouverture de canaux de gaz entre l’Union Européenne et l’Azerbaïdjan, état qui jongle entre cordialité occidentale et influence turco-russe. La Commission Européenne et plus particulièrement Ursula Von der Leyen, semblent pourtant moins enclins à dénoncer le régime azéri, comme ils l’ont ainsi fait pour le régime poutinien.

Toutes les générations se côtoient, la manifestation est assez familiale. Certains Arméniens sont arrivés en France après la chute de l’URSS. Mado*, elle, est née sur le sol français, en 1952 : « Mon père est né français, je suis née à Marseille et me voici à Blois. ». Elle reste optimiste : « Je pense qu’on peut tous vivre ensemble, sans se faire la guerre ! »


L’État arménien n’a peut-être pas joué les bonnes cartes au fil des années. La non-reconnaissance de la République d’Artsakh, ou le manque de modernisation de l’armée nationale, face à une armée turcophone munie de drones dernier cri vendus par Israël, est une erreur stratégique. La supériorité économique azérie et les ambiguïtés russes et occidentales, ont mené à un isolement de ce pays enclavé. Le combat pour la justice continue à se perpétuer, au moins en France, avec une espérance quant à la fin de l’ère Erdogan.

Elie Guetchrian

* Le nom a été modifié pour des raisons d’anonymat.

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