La branche pharmaceutique de Sanofi vendue aux Américains. Est-ce vraiment si grave ?
Le laboratoire français Sanofi a confirmé, ce lundi 21 octobre, céder le contrôle d’Opella, sa branche pharmaceutique qui produit notamment le Doliprane, au fonds américain CD&R. Un deal qui suscite la crainte de voir la souveraineté industrielle et sanitaire du pays de nouveau affaiblie. Qu’en est-il vraiment ?
Commençons par restituer les faits. Opella, ce sont environ 700 salariés en France, et plus de 5 milliards de chiffre d’affaires en 2023, en grande partie grâce au Doliprane qui est sa deuxième marque en termes de revenus.
Alors, pourquoi Sanofi souhaite-t-il se séparer de cette filiale ? Le principal motif invoqué par la direction du groupe est que la production de médicaments grand public n’est pas le cœur du métier de Sanofi, qui est surtout spécialisé dans la recherche et les brevets.
Dans un entretien que l’on retrouve dans les colonnes des Echos, le patron du groupe, Frédéric Oudéa, a expliqué que la direction souhaitait investir davantage dans le secteur de la recherche, notamment dans l’ARN messager, ce qui expliquerait ce besoin d’argent, via la vente de cette filiale, valorisée à 15 milliards d’euros.
Va-t-on vers une nouvelle affaire Alstom ?
Beaucoup voient à travers cette vente plusieurs similitudes avec le cas Alstom, qui avait fait couler beaucoup d’encre. En réalité, ces dossiers sont assez différents. En premier lieu parce que Sanofi conservera près de la moitié du capital d’Opella, ce qui devrait lui permettre de garder son ancrage en France et de conserver un droit de veto sur les grandes décisions stratégiques. L’État, de son côté, entrera également au capital d’Opella à hauteur de 1% à 2% via Bpifrance afin d’avoir également un droit de regard. Il paraît toutefois évident qu’avec une part aussi faible, il sera en incapacité de bloquer une décision de CD&R.
Cependant, contrairement à ce que l’on avait pu observer lors de précédents bras de fer autour de différents dossiers industriels et stratégiques, comme Alstom, ou plus récemment Exxelia, l’Etat semble cette fois-ci davantage impliqué dans la défense des intérêts nationaux. Plusieurs ministres de premier plan, à l’image d’Antoine Armand et Marc Ferracci, se sont élevés pour exiger le maintien sur le territoire du siège d’Orpella, allant jusqu’à menacer de bloquer la vente. Un levier que le gouvernement est en effet en capacité d’activer, connu sous le nom de “décret Montebourg”. Il permet de mettre un veto dans les domaines stratégiques, parmi lesquels la santé.
Il est toutefois important de noter que le principe actif du Doliprane n’est pas produit en France, mais en Asie. Les plus de 700 salariés des sites de production de Doliprane de Lisieux et Compiègne ne produisent “que” le conditionnement de la gélule. Le Doliprane, c’est d’abord un emballage. Autrement dit, notre souveraineté sanitaire, nous ne l’avons déjà pas. Et c’est cette thématique de fond qui devrait davantage nous préoccuper.
Les craintes sont-elles justifiées ?
S’il paraît donc excessif de voir à travers cette vente le symbole du dépeçage de notre industrie, il serait tout autant naïf d’acter qu’il n’y aura aucune conséquence. Combien de fois nous a-t-on promis que des engagements avaient été pris et qu’aucun emploi ne serait supprimé, lors de deal ou de rachat, qui ont finalement tous conduit à des suppressions de postes ?
D’autant que le rachat, bien que partiel, est souvent la première étape avant une prise de contrôle totale. C’est ce qu’ont en tête les centaines de salariés, qui multiplient les mouvements de protestation depuis le début de la semaine dernière. D’autant que CD&R a déjà racheté But et Conforama, en promettant que l’emploi serait maintenu et que rien ne bougerait. Pourtant, on compte déjà plusieurs milliers de licenciements…
Peut-on être optimiste pour demain ?
En réalité, ce dossier nous permet de nous pencher sur une question plus générale : quel type d’industrie voulons- nous ? À l’heure actuelle, la France ne produit toujours pas ses médicaments. Un constat qui, pour le moment, n’a pas évolué depuis la crise Covid malgré la promesse faite par Emmanuel Macron de garantir à la France son indépendance sur le plan sanitaire. Si l’on se réfère à l’exemple symbolique des masques, 95% de ceux produits en France étaient fabriqués en Chine au début de la crise. En 2024, ce taux s’élève à 97%. Autrement dit, si une nouvelle crise similaire survenait aujourd’hui, la situation serait la même qu’en 2020.
Certains signaux semblent toutefois aller dans la bonne direction. Le groupe pharmaceutique Sequens, par exemple, travaille sur un projet d’usine à Roussillon en Isère, qui produira le principe actif du paracétamol, même si celle-ci ne sera opérationnelle qu’en 2026. Ne nous leurrons cependant pas : ce projet est une nouvelle fois financé par un fonds d’investissements américain, SK Capital. L’investissement étranger traduit une attractivité économique conjoncturelle, mais ne garantit pas la pérennité des installations et de la production : rien n’empêche une boîte d’aller voir ailleurs si cela s’avère plus rentable un jour. Un autre projet de fabrication de la matière première qui sert à faire du paracétamol est en cours à Toulouse : Ipsophène. Lui, en revanche, est en partie financé par la région Occitanie, qui bénéficiera donc d’un droit de regard. Ces exemples concrets nous permettent de garder une dose mesurée d’optimisme quant à la prise de conscience de nos gouvernants.
En outre, ce deal entre Sanofi et CD&R n’est pas forcément la catastrophe industrielle annoncée, même s’il soulève un certain nombre d’incertitudes qu’il faudra surveiller de près. Le véritable sujet de fond est de savoir si, demain, nous serons en capacité de créer, d’innover et d’être indépendant en matière de production médicale.
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