Le cas d’Exxelia : symbole de l’aliénation de notre souveraineté nationale

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L’entreprise française Exxelia, qui produit des composants électroniques utilisés dans des domaines stratégiques comme la défense, l’aéronautique, le spatial ou le médical, est en passe de passer sous le giron américain. En effet, l’entreprise aérospatiale et électronique américaine Heico prévoit de racheter la pépite française pour la somme de 453 millions d’euros. Un rachat qui, s’il a bien lieu, entraînera d’importantes conséquences sur le plan économique et sur la souveraineté industrielle et militaire de notre pays. Surtout, il s’inscrira dans la continuité d’un dépeçage de nos fleurons industriels, qui prend forme depuis plusieurs décennies avec la complicité de nos gouvernements successifs.


La perte de la souveraineté militaire de la France

« La défense ! C’est la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même » déclarait fièrement le Général de Gaulle au milieu du XXe siècle. S’il est toujours très opportun de faire parler les morts, il y a fort à parier que le Général se retournerait dans sa tombe en déplorant la faiblesse de l’État à protéger son industrie de la défense.

Si de nombreux secteurs industriels sont concernés par ce dépeçage engagé depuis plusieurs décennies, celui de la défense revêt une importance capitale. Le destin d’Exxelia s’inscrit dans la continuité de celui d’Alstom. En 2014, la branche énergie du groupe français avait été rachetée par le géant américain, General Electric. La première étape d’une véritable perte de souveraineté pour notre pays, puisque Alstom était un moteur de l’indépendance nationale en matière de défense. Le groupe est spécialisé dans les infrastructures d’énergie et les équipements de transport, il fabriquait notamment des turbines pour les réacteurs des navires nucléaires français.

Or, les conséquences de cette perte de souveraineté sont majeures. En acceptant de céder ses fleurons industriels, la France perd son autonomie stratégique et se place à la merci de puissances étrangères, en l’occurrence des États-Unis dans les cas d’Exxelia et d’Alstom. Ainsi, la France s’expose à ce que les Américains fixent les conditions d’accès qu’ils souhaitent sur les matières premières de l’industrie de la défense. Par ailleurs, si les États-Unis sont aujourd’hui, et de longue date, des alliés de la France, l’avenir du monde est instable, et ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Il est important de s’interroger sur leur hégémonie et le moyen de rééquilibrer le rapport de force. En cas de discorde, même d’ordre commercial, entre les deux Nations, la France ne pourrait plus compter sur ce qui serait alors son ancien allié pour se procurer du matériel de défense et ne serait plus capable de le produire elle-même.

Des conséquences économiques majeures causées par la désindustrialisation

Les cas d’Alstom et bientôt d’Exxelia risquent d’engendrer des conséquences majeures pour notre pays à l’avenir, et ce ne sont pas les seuls. Prenons quelques exemples : le groupe industriel privé français, spécialiste de l’aluminium, Pechiney, a été « avalé » par le groupe canadien Alcan en 2004 pour la somme de 4 milliards d’euros. Quelques années plus tard, en 2006, c’est au tour d’Arcelor, géant de la sidérurgie, d’être absorbé par l’indien Mittal pour la somme de 18,6 milliards d’euros. Cette même année, le groupe français d’équipements télécom Alcatel annonce qu’il fusionne avec l’américain Lucent Technologie. L’union se passe mal, de nombreux postes sont supprimés, à tel point que dix ans plus tard, le groupe tombe entre les mains du Finlandais Nokia. Il y a aussi le cas de Technip, un cador de l’ingénierie pétrolière, passé en 2017 sous la coupe du texan FMC Technologies, pourtant deux fois plus petit que lui. L’opération a été officiellement bouclée au terme d’une « fusion entre égaux ». En réalité, elle a largement tourné à l’avantage des Américains, puisque huit de ses douze membres du comité exécutif de l’alliance sont des anciens de FMC. La fusion s’est soldée, dans les faits, par une absorption du champion français.

La première conséquence directe liée à la vente de grands groupes français concerne l’emploi. Pour s’intéresser au cas précis d’Alstom, le groupe Général Electric avait formulé la promesse de créer 1 000 emplois. Pourtant, en 2020, le syndicat CFE-CGC affirmait dans un rapport que le groupe avait supprimé plusieurs milliers de postes depuis ce rachat. Selon les calculs du syndicat, General Electric faisait travailler 11 000 personnes en 2014 en France et Alstom Energie 9 000, soit à eux deux, 20 000 personnes. Après le rachat de ce dernier, le total a rapidement été ramené à 16 000. Selon les éléments avancés par le syndicat, le nombre d’emplois a ensuite été réduit à 13 000 par les différents plans sociaux qu’a connu le groupe en France. Depuis deux ans, il semblerait que l’effectif a été réduit encore davantage.

Il ne s’agit pas d’un cas isolé, puisque les fusions se soldent pratiquement à chaque fois par des disparitions de postes. Les résultats sont les mêmes pour ArcelorMittal : aujourd’hui, le groupe emploie 18 000 personnes en France, il y a dix ans encore, il y avait 25 000 salariés. Concernant le cas de Nokia, là encore, ce sont plusieurs centaines de postes qui ont été supprimés en France depuis la fusion. Les cas similaires sont multiples et illustrent bien l’impact de ces fusions impliquant des grands groupes français. Et de ces disparitions d’emplois résulte nécessairement une nette augmentation du chômage. En effet, une industrie forte est porteuse de gains de productivité, et fournit un large spectre d’emplois dans des secteurs précis, occupés par des personnes formées à exercer dans ces domaines. Une industrie qui meurt, c’est un écosystème d’emplois qui s’effondre. Lorsque ces postes, industriels ou non, disparaissent, ces personnes se retrouvent avec peu d’options de reclassement.

En permettant l’acquisition d’entreprises françaises, dont les exemples de géants cités sont la meilleure illustration, la France voit grimper son déficit commercial dans le secteur manufacturier. Un déficit commercial qui engendre un déficit d’emplois important et par conséquent un gros impact sur le plan économique. La part de l’industrie dans le PIB de la France ne cesse d’ailleurs de s’effondrer, puisqu’elle s’élève aujourd’hui à 12,4%, soit une diminution de 50% en cinquante ans. Chez la majorité de nos voisins européens, elle est bien plus élevée, elle se chiffre par exemple à plus de 20% en Allemagne, en Espagne et en Italie.

Le gouvernement français directement responsable

Bien que les différents exemples cités concernent des entreprises privées, le gouvernement avait pourtant la capacité d’agir dans chacun de ces cas. Pour revenir au cas d’Alstom, il faut savoir que nos dirigeants avaient la possibilité de mettre leur veto pour empêcher ce deal. En effet, l’Etat peut bloquer le rachat d’une entreprise s’il estime que celle-ci revêt un intérêt stratégique pour le pays, et qu’il considère qu’un rachat pourrait le mettre à mal. Bien que cette solution ait été préconisée par le ministre de l’Économie de l’époque, Arnaud Montebourg, le tandem Hollande-Macron a sciemment décidé de ne pas faire ce choix. Le rôle de l’actuel président de la République dans cette affaire n’est d’ailleurs pas anodin, puisque c’est lui-même qui, à l’époque secrétaire général de l’Elysée, a été le principal artisan des négociations qui se sont faites dans le dos d’Arnaud Montebourg pour sceller la vente du géant français. Face aux propositions de véto ou de nationalisation partielle proposées par l’ancien ministre de l’Economie, Emmanuel Macron ne trouvait d’ailleurs rien de mieux à dire que cela s’apparentait « au Venezuela sans le soleil ». Ainsi, la vente a fini par se faire avec l’aval de François Hollande et Emmanuel Macron.

Et le destin de cette multinationale, pourtant essentielle à la souveraineté militaire de la France, c’est celui que risque de connaître Exxelia d’ici la fin du premier trimestre 2023 si le gouvernement n’agit pas. Les ministres des Armées et de l’Économie, Sébastien Lecornu et Bruno Le Maire, sont actuellement en train d’étudier le dossier. Ils devront trancher entre attractivité et souveraineté de la France. Ministres au sein d’un gouvernement qui place la loi du marché au-dessus de l’intérêt supérieur de la nation, nul doute quant à la nature de la décision qui sera prise.


Chacun de ces rachats ou de ces fusions engendre des conséquences majeures à la fois sur l’emploi et sur la souveraineté. Sur l’emploi, parce que derrière chaque fusion, ce sont des centaines, voire des milliers d’emplois qui sont supprimés. Et chaque suppression d’emplois correspond à une personne laissée sur le carreau, dont les possibilités de reclassement sont souvent très réduites. Au-delà de la disparition des différentes firmes industrielles, se pose la question la perte d’indépendance de la Nation, et par conséquent de souveraineté. Il en est en même dans de nombreux autres secteurs essentiels comme la santé, le numérique ou encore l’énergie. Une perte d’indépendance dont les gouvernements qui se succèdent et les décideurs de l’ombre portent une lourde responsabilité tant ils ont été incapables de placer le patriotisme économique et l’intérêt national au-dessus de la loi du marché. 

Thomas Rannou

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