Mise en examen d’Alexis Kohler, l’ombre d’Emmanuel Macron

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Fidèle d’Emmanuel Macron et Secrétaire général de l’Élysée depuis 2017, Alexis Kohler a été mis en examen ce vendredi 23 septembre pour « prise illégal d’intérêts ». Qu’en est-il, avec cette affaire, de la République exemplaire et de la défense des intérêts de la France ?


Travaillant avec Emmanuel Macron depuis 2014 par sa prise de poste de directeur de cabinet de celui qui était alors ministre de l’Économie, il incarne avec lui le virage social-libéral du quinquennat de François Hollande. Il prend son poste de Secrétaire général après avoir rejoint la campagne d’En Marche, où il eut pour fait d’armes de relire les discours d’Emmanuel Macron, qui se sont avérés efficaces. Selon toute vraisemblance, indéboulonnable, il a une influence considérable sur tous les dossiers passant par l’Élysée. Le haut-fonctionnaire de carrière a déjà vu passer 3 ministres, et verra sans doute la troisième, Elisabeth Borne, quitter son poste. En effet, Emmanuel Macron a confirmé que son secrétaire général resterait bien en poste à l’Élysée malgré cette mise en examen. Alexis Kohler est un bras droit trop précieux pour servir de sacrifice sur l’autel de la prétendue « République exemplaire »…

Liens familiaux, pantouflage, et révélations de Mediapart

Diplômé de l’ENA en 2000, Alexis Kohler intègre en 2008 l’Agence des Participations de l’État (APE). À ce titre, il est censé représenter les intérêts de l’État dans les entreprises où celui-ci détient des parts. Alexis Kohler est alors de façon permanente dans une potentielle situation de conflit d’intérêts. En effet, sa mère est la cousine germaine de l’entrepreneuse Rafaela Aponte, cofondatrice de la MSC, deuxième compagnie de transport maritime au monde. On aurait pu penser que cela empêcherait l’accusé de dormir, ou a minima que cela l’inciterait à se tenir à l’écart des dossiers impliquant MSC. Au contraire, il accepte de représenter l’État aux Chantiers de Saint-Nazaire, dont MSC est le principal client. Il accepte également de représenter l’État au Grand Port maritime du Havre, ce qui le place évidemment dans des situations de conflits d’intérêts potentiels avec une compagnie maritime multinationale. Il aurait au total participé à au moins 6 votes concernant MSC dans ces deux entreprises, ce qui lui vaut aujourd’hui cette mise en examen.

L’audacieux Alexis Kohler ne s’est pas arrêté là. Il a à deux reprises demandé à quitter la fonction publique afin de pouvoir devenir directeur financier chez MSC Croisières, en 2014 et 2016. La première est refusée, la Commission de déontologie de la fonction publique (CDFP) remarquant qu’il a voté dans une affaire touchant MSC, mais sa deuxième fut exaucée, suffisamment de temps ayant passé depuis. Il ne resta pas longtemps chez MSC, puisqu’il rejoint rapidement la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, avant de redevenir son bras droit à l’Élysée dès son élection.

À la suite des révélations de Médiapart sur les liens familiaux de M. Kohler en 2018, l’association Anticor dépose plusieurs plaintes à son encontre. La suite est un rocambolesque feuilleton : un premier rapport policier accablant pour le secrétaire de l’Élysée a d’abord été rédigé, mais il est suivi quelque temps plus tard d’un second rapport contredisant complètement ses conclusions… Que s’est-il passé entre ces deux rapports ? Une simple lettre du Président Emmanuel Macron au Parquet National Financier en charge de l’enquête. Affaire classée. De quoi douter de l’effectivité de la séparation des pouvoirs…

Ces tentatives d’étouffer une affaire aussi dérangeante politiquement semblent cependant avoir échoué. Des juges d’instruction s’étaient penchés sur l’affaire dès 2020, aboutissant à la mise en examen d’Alexis Kohler ce 23 septembre. La Macronie n’aura pas échappé aux dommages publics de l’affaire. Très ironiquement, ce retour médiatique de l’affaire Kohler arrive au moment où le Ministre de la Justice Dupond-Moretti est lui aussi renvoyé en procès, pour « prise illégale d’intérêts » également. On sait depuis l’affaire Benalla que LREM a des problèmes avec la notion d’intégrité. On sait maintenant que ce second quinquennat Macron ne sera pas celui de la responsabilité non plus.

 

L’abandon industriel de la France par le duo Macron – Kohler

Alexis Kohler ne s’est pas contenté dans ces années passées dans la fonction publique de s’emmêler dans des conflits d’intérêts, il a également joué un rôle vital, désastreux, dans les plus grands échecs industriels français de ces dernières années. Il s’est toujours trouvé au cœur de l’exécutif, et au plus proche d’Emmanuel Macron. À chaque fois avec l’objectif de démanteler les champions nationaux et les services publics, en les vendant aux plus offrants, les rationnant ou en les ouvrant à cette concurrence si chère à l’ordolibéralisme allemand. Par exemple, lorsque l’Élysée propose le Plan Hercule de scission d’EDF, heureusement abandonné, pour peut-être pire… Ou encore lors de la mise en bourse de FDJ en 2019, qui laisse entre les mains d’investisseurs privés la gouvernance d’une entreprise dont le chiffre d’affaires dépend d’une addiction qui frappe surtout les personnes aux revenus faibles. On peut également citer le projet de privatisation des Aéroports de Paris (ADP), une entreprise publique qui ne rencontrait pourtant aucune difficulté financière et qui gère de plus une frontière française, ce qui pose des questions de souveraineté. L’épidémie de Covid-19 a heureusement enterré ce projet. N’oublions pas non plus le contrat signé en 2015 entre l’État et les concessionnaires autoroutiers à la suite de négociations menées par un duo de choc : Elisabeth Borne et Alexis Kohler, qui sont alors directeurs de cabinet aux ministères de l’Écologie et de l’Économie. Ce contrat absolument laxiste envers les concessionnaires a coûté 4 milliards d’euros aux contribuables français.

On doit également remercier le tandem Macron-Kohler pour la cession d’Alstom Power, la branche énergie du groupe français Alstom, experte dans les secteurs nucléaire et hydroélectrique à General Electric pour 12 milliards d’euros. Cette vente a permis aux États-Unis de s’emparer de brevets et technologies possédés par Alstom. Tout ça pour qu’in fine, l’exécutif tente de se racheter une vertu, pour mieux préparer l’élection présidentielle de 2022, en renationalisant la fabrication des turbines Arabelle pour un montant d’1 milliard d’euros.

Un autre scandale industriel poursuit Alexis Kohler : celui du rachat de Suez par Veolia. En 2020, Veolia, multinationale française et leader mondial du secteur de l’eau et du traitement des déchets, annonce vouloir racheter son concurrent, la multinationale française Suez, deuxième entreprise mondiale dans les mêmes secteurs. Problème : jamais la Commission Européenne n’acceptera la formation d’un tel mastodonte, contraire à toutes ses règles sur la libre concurrence ! Après d’intenses négociations, Veolia est autorisé à racheter son concurrent, à condition de céder ensuite 40% des activités de Suez à un consortium en grande partie américain. Pour les actionnaires de Veolia, l’opération, qui a eu lieu en début d’année 2022, est sûrement très intéressante. Du point de vue de la souveraineté française en revanche, c’est un véritable hara-kiri industriel. Et Alexis Kohler y a fortement contribué. En tant que secrétaire général de l’Élysée, il n’a pas hésité à appuyer de tout son poids dans les négociations afin que Veolia conclue le rachat de son concurrent, quitte à s’opposer à Bruno Le Maire lui-même sur le sujet – et à l’emporter. Il a ainsi directement contacté des membres de la CFDT-Suez en leur demandant de ne pas s’opposer au vote sur le rachat. La justice s’est saisie de cette affaire, dans laquelle Alexis Kohler est maintenant témoin assisté pour « trafic d’influence ». Il est bon de rappeler que ce statut est un joli euphémisme du droit français, extrêmement proche en pratique de la mise en examen.


Tandis que les affaires judiciaires reviennent toquer à la porte d’Alexis Kohler, Emmanuel Macron a montré qu’il ne comptait pas lâcher son fidèle bras droit, en assurant que ce dernier avait encore « toute sa confiance ». En plus de montrer une terrible incompétence en matière industrielle, l’exécutif continue d’afficher tout son dédain face à la justice, une constante depuis l’affaire Benalla.

Victor

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