Chaos à l’université : la conjuration des médiocres contre les élitistes autoritaires

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La crise sanitaire a remis en question le fonctionnement de l’université. Le problème d’équité que pose la validation des examens des étudiants est le nouveau champ de bataille qui oppose les syndicats universitaires et la présidence.


Cette fin d’année scolaire 2019/2020 n’a pas été de tout repos pour les élèves, étudiants, professeurs et administratifs. Les projets de réforme du Secondaire et du Supérieur ont engendré de vigoureux mouvements de protestations dans toute la France. L’angoisse s’est muée en grève et de nombreux organes scolaires ont été débrayés ou paralysés. La crise du Coronavirus a finalement forcé les établissements à fermer leurs portes début Mars pour éviter les risques de propagation du virus et amorcer le confinement.

La question qui s’est alors posée (et qui se pose toujours) était la suivante : comment évaluer de manière juste les étudiants en tenant compte de l’inégalité des différentes situations dans lesquelles ils pouvaient se trouver ? La réponse semble évidente mais sonne un peu défaitiste : c’est impossible ! L’exposition à la maladie, les défauts de connexion internet, la rupture de contrat pour les jobs étudiants… Les cas particuliers sont bien trop nombreux et trop importants en ce moment pour pouvoir trouver des solutions efficaces qui ne pénalisent personne. Le miracle et l’originalité française font que, dès lors qu’aucune solution à un problème ne saurait contenter tout le monde, chacun va défendre son point de vue, ses intérêts et museler son adversaire pour se donner raison. C’est ainsi que débuta un long bras de fer entre les syndicats étudiants et les administrations scolaires partout en France.

Le diplôme, donné ou jalousement gardé ?

Le compromis semble une idée bien éculée, rajoutons donc une crise à la crise ! Ce que veulent les étudiants ? Obtenir leurs diplômes ou leur année. Lorsqu’on sait que le taux d’échec lors de la première année d’études supérieures est de 60 %1, quoi de plus normal qu’une bande d’opportunistes brandisse son plus beau drapeau de lutte sociale et parte en croisade contre une administration diabolisée. Ils sont soutenus par une partie non négligeable des étudiants qui voient alors une belle opportunité de valider leur année sans trop de difficulté. Dans le camp adverse justement, nous retrouvons la présidence des universités qui elle, cherche à conserver la sacro-sainte valeur du diplôme. Y parvenir est extrêmement simple, ce principe est quasiment économique : moins les étudiants décrochent leur année ou leur diplôme, plus ce dernier vaudra cher. Comme le disait le philosophe Michel Foucault dans ses entretiens : « Le diplôme est fait précisément pour ceux qui ne l’ont pas 2».

Le compromis semble une idée bien éculée, rajoutons donc une crise à la crise.

La valeur du diplôme résultant donc de la différence entre le nombre de personnes qui le possède et celles qui ne le possèdent pas. Voilà pourquoi aujourd’hui, le Baccalauréat n’a plus de valeur extrinsèque. Il n’est plus que le sésame permettant d’accéder à l’université. Certes, les épreuves du Baccalauréat sont difficiles mais elles sont notées trop peu sévèrement. Cela explique pourquoi l’euphorie de la réussite scolaire des élèves de Terminale est de courte durée. Eux qui ont fourni une quantité de travail considérable voient leur diplôme dévalué. On a d’ailleurs pu entendre les principaux polémistes du paysage français annoncer que cette année, le Baccalauréat serait doublement dévalué. En effet, l’absence des épreuves nationales et la moyenne basée sur le contrôle continu devraient permettre au plus grand nombre d’obtenir le concours déjà considéré comme ‘’facile’’. Pourtant, sans les épreuves nationales et leur notation harmonisée, la moyenne de l’élève est laissée à l’honnêteté et à la conscience professionnelle des professeurs et non plus à l’hypocrisie des IPR (Inspecteurs Pédagogiques Régionaux) chargés de faire respecter les quotas imposés par le ministère. En effet, les copies du baccalauréat standard sont notées par les professeurs mais pour être valides, elles doivent passer par une ou plusieurs commissions d’harmonisation dirigées par les IPR. Ces derniers remontent systématiquement les mauvaises notes obtenues par un bachelier pour pouvoir s’approcher des 80 % de réussite exigés par le Ministère de l’Éducation Nationale. Certes, une note dépendant uniquement de l’appréciation du professeur pose des problèmes de transparence, d’équité entre les élèves et cela met davantage en valeur la réputation de leur lycée plutôt que leurs niveaux scolaires. Mais il faut dire que sans harmonisation, les résultats des élèves correspondraient davantage à leur travail réel. Nous pourrions carrément assister à une réévaluation du diplôme du Baccalauréat. Ce ne sont bien sûr que des supputations et il y a fort à parier que le ministère mette en place des filets de sécurité pour aider les élèves en difficulté.

Nous pourrions carrément assister à une réévaluation du diplôme du Baccalauréat.

Un dilemme que le gouvernement a vite délégué !

Mais la sélection tant redoutée doit pourtant se faire tôt ou tard, le taux d’échec élevé de la première année à l’université est donc normal. La L1 a pour but le tri entre les étudiants doués et les médiocres et doit permettre à ces derniers de se réorienter le plus tôt possible. Revenons donc au problème qui nous occupe : la validation des compétences des étudiants. La réalité est qu’aucun syndicaliste ni aucun énarque n’avait la moindre idée du plan à adopter en temps de crise. L’impréparation et le manque de communication a fait en sorte que chaque acteur de l’université soit livré à lui-même, dans l’incertitude la plus totale. La présidence veut faire passer des partiels coûte que coûte, comme si la situation sanitaire ne changeait que le lieu et le mode de l’épreuve. C’est aberrant. Les syndicats exigent le 10 améliorable, c’est-à-dire l’harmonisation et la validation de TOUTES les matières à 10/20 ainsi qu’un filet de sécurité et des devoirs à la maison pour les étudiants qui souhaitent améliorer leur 10. L’objectif étant que 100 % des étudiants puissent obtenir leur année quel que soit leur niveau. C’est aberrant également comme le montre mon estimé collègue Christophe Duperrier dans sa tribune3. Il faut encore mentionner le fait que même si les universités pouvaient se permettre de faire passer la totalité des étudiants à l’année supérieure, il est certain qu’une sélection encore plus brutale serait mise en place l’année suivante. Repousser la sélection semble salutaire mais c’est profondément inutile pour tous les étudiants. Finalement, chaque université, chaque département et chaque professeur improvise et redouble d’imagination pour tenter vainement de contenter tout le monde alors que la continuité pédagogique est assurée tant bien que mal. Les derniers adorateurs des partiels de fin de semestre pourront difficilement sanctionner la triche qui est, d’ores et déjà, l’arme favorite de l’étudiant peu scrupuleux pour qui la fin justifie les moyens. La grande majorité des étudiants est en colère ; mais non pas contre la présidence ou contre les syndicats. Ils sont simplement frustrés de ne pas voir les deux camps trouver des compromis et d’être livrés à l’incertitude angoissante de leur avenir.

L’exemple le plus notoire de cette vendetta est sans doute le cas de la première université de France, Paris 1 Panthéon-Sorbonne. En effet, les conseils réunissant les différents acteurs de l’université ont été extrêmement houleux. Le 10 améliorable finit par être adopté par vote. Ce dernier est immédiatement déclaré nul par la présidence car illégal d’après l’interprétation de certaines lois spécifiques. Les départements choisissent, pour la plupart, néanmoins d’appliquer la motion votée à l’exception de l’École de Droit de la Sorbonne qui trouve en François Guy Trébulle le héraut dont elle a besoin pour sauvegarder l’hégémonie de Paris 1 en Droit sur le reste des universités françaises. L’alliance entre la présidence et l’EDS permettra le recours au chancelier des universités qui, on le sait, manifestera son soutien le plus indéfectible au président de Paris 1 Georges Haddad. Une décision du Tribunal Administratif donnera finalement raison aux syndicats mais nous savons que la présidence ne restera pas sur cette défaite. Le combat semble sans fin.

La présidence a la légitimité de son statut, les professeurs ont le pouvoir entre leurs mains et les étudiants ont la peur au ventre. La seule chose qui reste certaine c’est qu’absolument rien n’est certain. À l’heure actuelle, le ministère gère la crise universitaire exactement comme le gouvernement gère la crise sanitaire : de manière gauche et veule. La liberté dangereuse laissée aux présidences des universités n’est pas un gage de confiance mais une manière de se dédouaner du problème. Ce chaos n’est profitable à personne mais ce sont les étudiants qui en pâtiront le plus. Les oubliés de ce grand combat pour l’égalité, la méritocratie et la justice, ce sont eux.

Thomas Primerano
étudiant en philosophie à la Sorbonne, membre de l’Association de la Cause Freudienne de Strasbourg, membre de la Société d’Etudes Robespierristes, auteur de Hobbes contre les ténèbres, publié chez BOD.

2https://www.youtube.com/watch?v=VjsHyppHiZM (6ème minute et 16ème seconde)

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