Électricité : des choix vitaux

skyline photography of nuclear plant cooling tower blowing smokes under white and orange sky at daytime
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Ces dernières années, l’énergie nucléaire a retrouvé ses lauriers dans le débat public comme solution possible à la décarbonation de l’électricité. Le Plan France 2030 consacre la volonté du président de la République de relancer la filière, dans l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 (Stratégie Nationale Bas-Carbone). Dans cette optique, l’entreprise RTE a produit un rapport explorant les pistes de six scénarios de mix électriques totalement décarbonés pour 2050 afin d’éclairer les décideurs et le débat public. Retour sur ces scénarios, sur lesquels se basent les décideurs publics et les parlementaires.

D’abord, RTE se base sur l’hypothèse formulée par la SNBC d’une réduction de 40% de la consommation d’énergie finale annuelle (énergie consommée pour répondre à nos activités quotidiennes), la faisant passer d’environ 1600TWh à 930TWh en 2050.

Réseau de Transport d’Électricité, Futurs Énergétiques 2050, chapitre 1 p11.

Ensuite, réduire notre consommation d’énergie ne servirait pas à grand-chose si nous continuons à utiliser les dérivés du pétrole pour nos voitures et pour nous chauffer. C’est pourquoi RTE considère que l’électrification de nos activités comme solution de décarbonation fera qu’elle représentera 55% de l’énergie finale consommée en 2050 (645TWh pour le scénario de référence), contre 25% aujourd’hui (environ 450TWh).

De ce fait, que disent les scénarios de RTE ?


Les scénarios de sortie complète du nucléaire (groupe M)

Réseau de Transport d’Électricité, Futurs Énergétiques 2050, chapitre 5 p190.

Le premier scénario, appelé « M0 », est clairement l’un des plus ambitieux du groupe M. La France opterait ici pour une sortie du nucléaire rapide pour atteindre les 100% d’énergie renouvelable en 2050. La stratégie de déploiement des ENR intermittentes s’appuierait ici sur le développement rapide des panneaux photovoltaïques et aux parcs éoliens terrestres et maritimes. C’est une stratégie de déploiement qualifiée de « diffuse », qui consiste en une couverture territoriale large, contrairement à un modèle « concentré », qui lui développerait des parcs photovoltaïques captant une forte quantité d’énergie solaire en un point précis.

Les scénarios M1 et M23 sont moins radicaux. Ils conservent 13% de nucléaire pour en sortir vers 2060 et tablent sur un déploiement moins rapide des ENRi. La variation entre les deux se joue sur la part allouée au photovoltaïque et aux deux formes d’éolien, priorisant le solaire pour M1 et l’éolien pour M23. De plus, M23 introduit une logique d’optimisation économique et de l’espace en préférant le déploiement des parcs éoliens et photovoltaïques sur des zones géographiques à meilleur rendement (venteux et ensoleillés) au lieu de les diffuser partout.

Ces trois scénarios se voient amender d’un « bouquet de flexibilité » censé remédier à l’inconstance de la production électrique des éoliennes et des panneaux solaires. C’est un enjeu clé de ces projections pouvant provoquer d’importants clivages au sein de la population et de la classe politique. RTE propose d’utiliser des batteries. Le thermique « vert » est aussi mobilisé. Enfin, les batteries des voitures électriques seront aussi mobilisées, en ajoutant la variation de la demande (grâce aux compteurs Linky par exemple, qui feront varier en temps réel le volume d’électricité arrivant dans les foyers en fonction de notre consommation à l’instant T).

La stratégie de déploiement des ENR intermittentes s’appuierait sur le développement rapide des panneaux photovoltaïques et aux parcs éoliens terrestres et maritimes.

Les scénarios de maintien du nucléaire

Réseau de Transport d’Électricité, Futurs Énergétiques 2050, chapitre 5, p190.

RTE livre trois scénarios de maintien d’une part plus ou moins élevée de nucléaire dans notre mix électrique pour 2050 en complément des ENRi. Le N1 est le moins fourni en nucléaire : un quart de notre électricité serait produite par la réunion des réacteurs actuels prolongés (14%) et par du « nouveau nucléaire » (12%) en plus des ENR intermittentes. Ce nouveau nucléaire inclut ici la deuxième mouture des réacteurs pressurisés européens, appelés EPR2. Pour déployer cette part de nucléaire, huit EPR2 devront être construits d’ici 2050 en mettant en service une paire de réacteurs tous les cinq ans dès 2035. N2 est plus ambitieux en tablant sur 36% d’électricité d’origine nucléaire, avec l’usage de la même technologie des EPR2 et de la prolongation d’un plus grand nombre de réacteurs actuels. Quatorze EPR2 devraient être construits d’ici 2050, imposant un rythme de construction plus soutenu que N1 à raison d’une paire tous les trois ans dès 2035.

N03 est, avec M0, celui qui alimente nombre de débats politiques entre militants. La moitié de la production électrique proviendrait du nucléaire.  Pour cela, le défi technique est aussi ambitieux que M0. Il faudrait prolonger la durée de vie de tous les réacteurs actuels au-delà de 60 ans, alimentant 23% de la production électrique. À cela s’ajouteraient 14 EPR2 et l’introduction d’une nouvelle technologie de réacteurs : les Small Modular Reactors. Ces petits réacteurs produisant environ 300MW seraient déployés en petit nombre. Ils ont la particularité d’être plus « froids » que les réacteurs classiques en raison de leur taille, offrant une sécurité supplémentaire en cas de défaillance technique. Contrairement aux EPR, ils n’ont pas besoin de pompes hydrauliques pour être refroidis, pouvant en théorie éviter l’aléa dangereux du non-déclenchement des pompes, comme lors de l’accident nucléaire de Fukushima. Ils comportent aussi d’autres avantages selon l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique.

[Les EPR2] n’ont pas besoin de pompes hydrauliques pour être refroidis.

Des questionnements et inquiétudes légitimes pour chaque scénario

L’éolienne ne tournant pas sans vent (mais aussi quand il y en a trop !), et le panneau photovoltaïque ne captant rien la nuit et par temps couvert, les critiques du déploiement des ENRi portent souvent sur ce problème de l’inconstance de la production électrique, que l’on appelle l’intermittence. Les moyens dits de flexibilité sont donc des infrastructures produisant de l’électricité constamment à côté pour remplir les moments de creux de production des ENRi. Cela peut concerner toutes les échelles de temps : au jour le jour et dans la semaine, ainsi que des variations entre les saisons et les années. RTE propose plusieurs solutions.

Première solution : le stockage. Ce terme générique recouvre plusieurs moyens techniques permettant d’emmagasiner de l’électricité pour la réinjecter plus tard dans le réseau. Cela concerne les batteries, via de grandes infrastructures regroupant des batteries au lithium-ion à haute capacité, comme on peut en trouver en Australie. Les batteries de voitures sont également envisagées comme solution, réinjectant une partie de l’électricité contenue lors de la recharge dans le réseau, ce qu’on appelle le « vehicle-to-grid ». De plus, certains barrages hydroélectriques peuvent être mobilisés comme solution de stockage grâce aux stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Ils peuvent moduler leur production électrique très rapidement grâce à un système d’échange de l’eau par pompage entre les deux bassins, offrant un potentiel de production électrique de 3GW selon l’entreprise. Enfin, est envisagé le thermique « vert », à savoir l’hydrogène. Il serait stocké dans des piles pouvant restituer de l’électricité en cas de besoin.

Deuxième solution : le foisonnement. Présent dans tous les scénarios, il consiste à déployer des éoliennes et des panneaux photovoltaïques massivement sur une large zone géographique pour lisser la production. En effet, si le vent ne souffle pas en Espagne à un instant T, le surplus d’électricité produit en Suède à cause de forts vents au même moment pourra servir à pallier le manque d’électricité en Espagne. RTE précise que c’est une solution rentable économiquement, même pour les scénarios incluant du nucléaire. Nous importerions ainsi jusqu’à 5% du temps notre électricité pour assurer la fiabilité du réseau, contre 1% aujourd’hui.

Autre questionnement légitime : le coût économique. Plusieurs échelles sont à prendre en compte. Tout d’abord, le coût de l’électricité à la sortie de l’infrastructure productrice. RTE détaille ce coût filière par filière, faisant ressortir un coût moindre pour les éoliennes et le solaire (entre 30 et 40€/MWh) contre 70€ pour le nouveau nucléaire, à l’exception du solaire sur toit qui plafonne à 160€.

Réseau de Transport d’Électricité, Futurs énergétiques 2050, chapitre 11 figure 11.11, p478.

Cependant, ce coût moindre pour les ENRi comparé au nucléaire ne présage en rien le coût total de chaque scénario, et par conséquent le prix final sur la facture pour le citoyen. Pour cela, il faut regarder le coût complet du système annualisé. Cela inclut le coût de production électrique en sortie des infrastructures comme nous l’avons vu, mais aussi de la distribution et du transport de l’électricité ainsi que le coût des moyens de flexibilités et des exports. Le recyclage des déchets et le démantèlement des infrastructures sont aussi compris dans le calcul. En bout de course, les scénarios N apparaissent comme étant les moins chers en comparaison aux scénarios M. Les premiers ne dépassent pas environ 70 milliards d’euros par an (N1) quand les seconds coûtent au minimum 75 milliards par an comme nous le montre ce graphique.

Les scénarios N [avec énergie nucléaire] apparaissent comme étant les moins chers en comparaison aux scénarios M [sans énergie nucléaire].

Réseau de Transport d’Électricité, Futurs énergétiques 2050, chapitre 11 figure 11.32, p509.

Dernière interrogation : Les déchets nucléaires. Certains sont valorisables, comme le MOX (association du plutonium rejeté par la combustion et l’uranium appauvri issue de l’enrichissement) qui est utilisé dans 24 réacteurs aujourd’hui. L’uranium de retraitement (URT), autre déchet rejeté par la combustion, peut servir de substitut à l’uranium naturel enrichi dans certaines centrales pour produire de l’électricité quand celui-ci est enrichi, devenant de l’uranium de retraitement enrichi (URE)

Réseau de Transport d’Électricité, Futurs énergétiques 2050, chapitre 12 figure 12.59, p610.

Les déchets nucléaires produits par les centrales sont classés en cinq catégories. Les déchets à haute radioactivité (HA), ceux de moyenne activité à vie longue (MA-VL), de faible activité à vie longue (FA-VL), de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) et de très faible activité (TFA). Ce sont les HA et les MA-VL qui constituent le principal danger, car impossible à valoriser tout étant à des niveaux de radioactivité bien trop dangereux. RTE estime que 85% des coûts de stockage des déchets sont dirigés vers ces 3% de déchets, dont la prise en charge est assurée par l’Agence nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA). La méthode pour stocker les MA-VL repose sur un enfouissement en profondeur et le recouvrement d’une chape de béton. Les HA, quant à eux, sont pour l’instant vitrifiés et stockés en surface, bien que l’ANDRA prévoit de les stocker sous terre comme les MA-VL d’ici 2035 avec le projet « Cigéo » (centre industriel de stockage géologique). Cela permettrait d’assurer un taux de radioactivité rejeté à proximité du site d’enfouissement ne dépassant pas 0,01 millisievert par an. Ce taux est bien inférieur au maximum de 1mSv autorisé par la loi et au taux de radioactivité naturelle, s’élevant en moyenne à 3mSv par an selon l’IRSM.


Compte tenu de toutes ces données, RTE conseille en ce sens d’orienter nos efforts vers le scénario N2, comprenant 36% de nucléaire et 64% d’ENRi. Ce serait un bon équilibre entre la nécessité de rapidité vers la neutralité carbone et la facilité technique du déploiement de ces technologies. Cette orientation pourra susciter un rejet de la part de ceux opposés au maintien du nucléaire dans notre mix. Il convient donc de préciser que RTE exprime des réserves quant à la réussite de l’objectif de neutralité carbone en cas de restriction trop rapide de l’usage de certaines technologies bas carbone comme le nucléaire dans le mix électrique. Ce scénario pourra a contrario paraître insuffisant pour les partisans d’une part plus élevée de nucléaire (au-delà de 50%) et rejetant l’usage trop élevé des ENRi. Il convient là aussi de bien comprendre que N03 est le maximum techniquement faisable.

Prétendre vouloir aller au-delà de 50% en renonçant à un investissement massif dans les ENRi est intenable techniquement à cause des contraintes techniques et industrielles, surtout si la France s’engage dans une réindustrialisation profonde, engendrant fatalement une hausse de la demande électrique. Il est donc absolument impératif de développer massivement toutes les technologies à notre disposition, ENRi comme nucléaire.

Baptiste L

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