L’hôpital, un service public en soin palliatif

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Le 24 août 2023, la Fédération Hospitalière de France a publié un article enjoignant le gouvernement à augmenter les moyens pour l’hôpital public. En effet, pour faire face à l’inflation et aux besoins en matière d’investissement et de recrutement, la FHF estime que pour 2024, l’ONDAM (l’Objectif National de Dépense d’Assurance Maladie) augmente de 5% par rapport à celui de 2023. En effet, financièrement parlant, on ne peut pas dire que les hôpitaux publics se portent bien : ils accusent déficit sur déficit depuis une quinzaine d’années. À cet apparent manque de moyens financier s’ajoute ce que la pandémie de COVID-19 nous a tous montré : l’épuisement du personnel soignant. Il convient donc d’analyser les origines de ce malaise.


L’obsession de la maîtrise des dépenses

Un peu d’histoire s’impose. De la fin de la Seconde Guerre mondiale à 1983, l’hôpital public vit un âge d’or que l’on peut appeler l’âge de l’hospitalo-centrisme. Créations de lits, investissements massifs dans de l’équipement dernier cri, augmentation continue de la consommation de soin (CSBM) relative à l’hôpital… Cette politique volontariste fait tripler la part des dépenses en soin hospitalier dans le PIB sur la période, passant de 1,16 % en 1950 à 3,43 % en 1983. La dépense hospitalière augmente en moyenne de 16 % chaque année de 1950 à 1980, portant la part de la CSBM relative à l’hôpital à 55 % du total de la consommation de biens médicaux nationale, ce qui n’est pas du goût de tout le monde.

Dans l’optique de réduire les coûts pour l’Assurance maladie, les gouvernements d’alors ont donc décidé d’infléchir le mouvement à partir des années 1970. Pour mener à bien cette nouvelle politique, deux leviers peuvent être mobilisés : le mode de rémunération de l’hôpital et l’objectif annuel de dépense autorisé. Diverses solutions sont expérimentées : limitation de la possibilité d’endettement, renforcement des contrôles, maximums de taux de croissances des dépenses… Mais le tournant arrive sous François Mitterrand en 1983.

De 1983 à 2004, les recettes des hôpitaux sont définies a priori par un système de dotation globale. Les hôpitaux recevaient une enveloppe censée couvrir leurs dépenses, négociées avec l’Assurance maladie. Cette enveloppe était versée tous les mois en espérant une responsabilisation des directeurs d’hôpitaux. Mais il s’est avéré que ce système était complètement dysfonctionnel car il n’y avait aucune souplesse financière accordée aux hôpitaux pour leurs dépenses. Cela pénalisait fortement les petits hôpitaux qui n’avaient que peu de marges pour investir. Parfois, cela entraînait des situations ubuesques où certains établissements cessaient de fonctionner avant la fin de l’année, car ils avaient épuisé leur enveloppe trop vite !

Pour remédier à cette méthode défaillante, une nouvelle modalité de rémunération des hôpitaux est expérimentée dès 2004 : la Tarification à l’Activité. Dans ce système, le ministère de la Santé fixe un prix pour chaque acte médical (par exemple 250€ la pose d’un pacemaker) qui rémunère l’hôpital. Généralisée en 2008, elle ne concerne que les actes de soins en MCO (médecine, chirurgie et obstétrique et odontologie) et l’hospitalisation à domicile.

Système plus flexible que la dotation globale, elle porte néanmoins des effets pervers en son sein : elle encourage la sélection des patients et favorise la baisse de qualité des soins par la sélection des actes les plus rentables. Cela modifie la répartition des malades entre le secteur public et privé que nous verrons plus loin. Les hôpitaux sont encouragés à ne pas garder longtemps les patients pour enchaîner les actes médicaux pour accroître les recettes. Enfin, cela incite les hôpitaux à se restructurer en évinçant les spécialités trop coûteuses et en fermant les petits hôpitaux. Les tares de la T2A s’amplifient depuis 2010, les prix des actes baissent (environ 5% de 2012 à 2019), ce qui assèche mécaniquement les recettes des hôpitaux.


Source : Sénat, Rapport du sénat Hôpital : Sortir des urgences

Cette baisse renforce l’ampleur des tares de la T2A et contraint les hôpitaux à multiplier les actes de soins et à se focaliser sur les plus rentables. Pour couronner le tout, pour percevoir les recettes de l’acte, il faut le coder informatiquement. Tâche ardue pour les médecins, qui ne le font pas toujours par manque de temps et de volonté après une journée de travail longue et éprouvante. Situation que l’on retrouve moins dans les cliniques privées, qui ont des équipes dédiées pour cette tâche en plus du caractère standardisé assez répétitif des actes médicaux prodigués.

Deuxième levier de contrôle : fixer une limite de dépenses. Ce volet est géré par l’ONDAM, dispositif créé par Alain Juppé en 1996. C’est un outil de maîtrise des dépenses de l’Assurance Maladie qui fixe chaque année une trajectoire conseillée de progression des dépenses pour l’hôpital et la médecine de ville. De sa création jusqu’en 2010, le plafond de dépense fixé n’est jamais respecté. Mais depuis 2010, l’ONDAM-hôpital l’est scrupuleusement, ce qui donne une hausse moyenne des dépenses de 2% par an, là où il en faudrait le double pour couvrir la hausse tendancielle des dépenses de l’hôpital comme le montre le tableau ci-dessous.

Source : France Culture, Hôpital, Ondam et PLFSS sont dans un bateau…

Il est important de bien comprendre ce différentiel entre le tendanciel et ce plafond de dépenses autorisé. L’austérité ne signifie pas toujours une baisse nette ni une stagnation des dépenses. Une hausse insuffisante par rapport aux besoins réels est aussi une forme de maîtrise budgétaire. Cette double contrainte instaurée à partir du début des années 2010 peut expliquer la baisse brutale de l’investissement dans les hôpitaux explicitée par ce tableau.

Source : Le Monde : L’hôpital au point de rupture : une crise qui vient de loin

Le manque de lits en hospitalisation complète et de personnel soignant

Autre facteur de dégradation de l’hôpital : le manque de personnel soignant et la fermeture de trop nombreux de lits d’hospitalisation complète. Sujets qui ont tant fait parler d’eux durant la pandémie de Covid-19, les causes sont là aussi multiples. Concernant la fermeture des lits, un coupable désigné est souvent ce que l’on nomme le « virage ambulatoire ». Dépeint régulièrement sous un jour négatif, c’est pourtant en soi un progrès : grâce aux progrès des techniques et des processus de soin, les patients n’ont plus besoin de rester plusieurs jours à l’hôpital. Là où une opération de l’appendice pour traiter l’appendicite imposait une convalescence de plusieurs jours il y a quelques décennies, le patient peut aujourd’hui rentrer chez lui dans le jour même de l’opération. Gain de confort, mais aussi un gain financier : l’ambulatoire permet de multiplier les actes médicaux, ce qui rentre parfaitement dans la logique économique de la T2A. Le problème, c’est que ce gain d’efficacité et de confort a aussi servi de prétexte pour fermer bien plus de lits qu’il n’en fallait.

L’hôpital public est constitué de plusieurs types de lits : les lits de MCO (Médecine, Chirurgie et Obstétrique), de séjour long, de SSR (Soins de Suite de Réadaptation), de psychiatrie et d’ambulatoire. Les trois premiers entrent dans l’appellation commune de lits d’hospitalisation complète. Or, de 2003 à 2019, l’hôpital a perdu 80000 lits, la majorité concernant les lits de MCO (34000 fermés) et de séjour long (49000 fermés). Les seuls lits complets qui se maintiennent dans le public sont les lits pour les soins de suite et de réadaptation. De plus, l’ambulatoire profite surtout au privé : en moyenne 64% des actes de soins en ambulatoire sont réalisés par les cliniques privées. Ce sont elles qui profitent des avantages de l’ambulatoire concernant les recettes financières, contrairement au public qui se charge surtout des soins longs et coûteux.

Enfin, le manque de personnel et leur souffrance. La FHF a réalisé une enquête auprès de 350 établissements de santé, et presque tous déclaraient manquer d’infirmiers et d’aides-soignants. Sans compter les vacances de postes de spécialistes : 40% en oncologie et anesthésie/réa et 30% en chirurgie et médecine d’urgence. Avec une hausse de 18 % de la production de soins sur la période comparée à la hausse de 3,4 % de l’effectif du personnel, le différentiel est trop important, et ce malgré la hausse de la productivité.

L’hôpital public est donc pris en étau : le manque chronique de personnel introduit une charge de travail supplémentaire que la productivité accrue ne comble pas complètement, la T2A pousse à une frénésie d’actes médicaux et comprime les recettes, les directeurs d’hôpitaux suivent un ONDAM qui empêche les établissements de couvrir leurs besoins structurels et l’engorgement des urgences à cause du manque de médecins généralistes. Mais ce n’est pas terminé.

La réorganisation de l’hôpital sous le signe du New Public Management

Depuis les années 1990, la gouvernance des hôpitaux a fait l’objet de nombreuses réformes, dans le cadre du New Public Management. Cette doctrine de gestion de l’administration publique promeut divers leviers de réformes de l’administration de l’État : la séparation entre les fonctions de stratégie, de pilotage et de contrôle et les fonctions opérationnelles, la création d’unités administratives autonomes, le recours systématique aux mécanismes de marché, et la transformation de la structure hiérarchique de l’administration autour des principes de décentralisation et la mise en place d’une gestion par les résultats. Dans le domaine de la santé, cela se traduit par des réformes comme la création des ARH en 1996 puis des ARS en 2009. Les hôpitaux sont placés sous la tutelle de leur ARH puis ARS, elles-mêmes rattachées au ministère de la Santé. Les ARS ont comme mission d’assurer la bonne organisation des soins dans leur région, contrôler les établissements et allouer les ressources financières et humaines. Bien que l’esprit du NPM soit décentralisateur, la réalité donne plutôt à voir une forme de déconcentration de la gouvernance plus qu’une décentralisation : les ordres descendent du ministère aux directeurs d’hôpitaux en passant par les ARS, et les directeurs des ARS sont nommés par le ministère de la Santé. La gestion est ainsi autoritaire et centralisée en fin de compte.

Concernant la direction de l’hôpital en lui-même, elle a subi de nombreuses réformes depuis les années 1990. Un hôpital est dirigé par quatre instances : le directeur, le directoire, le conseil de surveillance et la commission médicale d’établissement. Le premier gère les dépenses et les recettes, a autorité sur le personnel et a la responsabilité légale de l’établissement. Le directoire approuve le projet médical de l’établissement et conseille le directeur dans sa gestion interne. Le conseil de surveillance contrôle les finances et l’orientation prise par l’hôpital au cours de l’année et organise les pôles de santés. La Commission médicale d’établissement, sorte de Parlement des soignants, participe aux propositions d’administration de l’hôpital mais les médecins n’ont en revanche qu’un avis consultatif, ce qui est très mal vécu par ces derniers. Les directeurs ont un rôle prépondérant et concentrent beaucoup de pouvoir. De plus, depuis la réforme HPST de 2009, les directeurs d’hôpitaux ne sont plus forcément issus de l’École des hautes études en santé publique, mais peuvent être recrutés sur CV, et donc n’avoir aucune attache dans le monde de la santé. Ces fonctionnaires aux ordres du ministère gèrent leur hôpital comme une entreprise, avec une obsession du chiffre, de l’optimisation des process de soin et un respect scrupuleux de l’ONDAM. Ceci en rajoute sur le sentiment de souffrance du personnel médical, qui se sent exclu de la gouvernance de leur hôpital et réduit.


Compression budgétaire, manque de personnel et bureaucratisation, ce triptyque explique pourquoi le personnel soignant et la FHF alerte régulièrement sur le délabrement de notre hôpital public, dont nous avons pu en voir les conséquences durant la pandémie de COVID-19.

Baptiste L

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