« Il n’y a pas de politique migratoire en France » – Entretien avec Benjamin Beauchu

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Benjamin Beauchu est animateur de la commission citoyenneté chez République souveraine ainsi que responsable des questions migratoires. Son travail auprès des exilés l’a naturellement porté vers ce thème qui, dans un monde de plus en plus instable, devient central. Loin des préjugés et des non-dits sur ce thème on ne peut plus actuel, Gavroche vous propose une nouvelle lecture du phénomène migratoire.


Gavroche : Quelles sont les différentes formes d’immigration qui traversent aujourd’hui la France ? D’où viennent-elles ?

B. Beauchu : En termes de titres de séjour, la première cause de l’immigration à destination de la France en 20 ans n’est autre que l’immigration familiale, vient ensuite la volonté d’étudier, puis celle de travailler, c’est-à-dire l’immigration économique. Enfin, les titres de séjour humanitaires sont la quatrième source d’immigration, ils correspondent à ce qu’on appelle couramment les « réfugiés ».

La première cause de l’immigration à destination de la France en 20 ans n’est autre que l’immigration familiale.

Ce qui est notable, c’est l’évolution du nombre de demandeurs d’asile. On constate en effet une augmentation des demandes, à tel point que la France est passée devant l’Allemagne en la matière. A l’inverse, le reste des pays d’Europe ne cessent de voir leurs demandes d’asile décroître. Il est clair que cette importance numérique s’explique par le fait que la France est souvent le choix de secours sur lequel les immigrés ont tendance à se rabattre après que leurs demandes aient été refusées ailleurs. Une telle chose est possible car le règlement de Dublin ne fonctionne absolument pas. Selon celui-ci, l’immigré doit faire une demande de titre de séjour dans le premier pays-membre de l’Union européenne qui l’a accueilli : généralement la Grèce ou l’Italie.

Une deuxième tendance est intéressante : l’explosion des mineurs non-accompagnés (MNA). De quelques milliers, ils sont passés à 40 000 recensés sur le territoire français en un temps très court. Ceci a été rendu possible par le travail de filières massives et criminelles qui organisent ce trafic d’êtres humains.  Même si l’on sait, selon des études, que pour 4 immigrés qui entrent 1 ressort, on peut difficilement faire croire que l’immigration est peu élevée en France. Ceux qui tiennent ce discours se basent sur le solde migratoire, relativement faible du fait de la forte émigration française, notamment des diplômés.

On peut difficilement faire croire que l’immigration est peu élevée en France.

 

Gavroche : Les traités de libre-échange, et plus généralement la constitution d’un marché mondial, ont-ils pour corollaire l’institutionnalisation et la systématisation des dynamiques migratoires internationales ? Des pôles les moins attractifs pour les capitaux vers les pôles les plus dynamiques ?

B. Beauchu : L’exemple de la crise grecque est parlant. Son effondrement en 2010 entraîne le départ de 500 000 jeunes grecs diplômés. Ils vont le plus souvent là où se trouvent des capitaux, donc en Allemagne. De telles dynamiques sont encore plus visibles dans le cadre de l’Union européenne, dans laquelle une véritable liberté de circulation des personnes et des capitaux existe. Une telle liberté des flux se traduit tragiquement par la fuite des forces vives grecques, c’est-à-dire, les jeunes diplômés essentiels au futur du pays.

On peut appliquer ce même raisonnement au niveau mondial. En 2019, 4 000 médecins algériens ont fait une demande pour aller pratiquer en France. Plus impressionnant encore, un tiers des médecins formés au Cameroun, au Sénégal, et au Congo s’expatrient en France. A cause de ces mouvements humains, l’Afrique subit une véritable pénurie de médecins, car ceux-ci préfèrent pratiquer dans l’OCDE. Dernier exemple fournit par Paul Collier dans son livre Exodus, 85% des diplômés d’Haïti émigrent. En conséquence, le pays ne peut se développer et se condamne à la pauvreté. En définitive, il apparaît clairement que le capital attire les plus diplômés.

À cause de ces mouvements humains, l’Afrique subit une véritable pénurie de médecins, car ceux-ci préfèrent pratiquer dans l’OCDE.

Que ce soit l’emprise néolibérale sur les pays d’Afrique, ou encore les politiques de libre-échange au sein de l’Union européenne, à chaque fois d’importantes libertés de circulation freinent le développement des pays dans lesquels les capitaux sont les moins concentrés. Pour permettre un développement des pays d’Afrique, il faudrait mettre en place du protectionnisme, ça n’est pas pensable autrement.

En revanche, si on veut ralentir les flux d’immigration, prendre des mesures nationales ne saurait suffire, il faut aussi agir au niveau international en dénonçant les traités, en mettant fin au franc CFA, en annulant les dettes des pays d’Afrique. La Françafrique doit être abattue.

 

Gavroche : Pour Pierre Gattaz, ancien président du Medef, l’accueil des migrants par la France est « une opportunité pour notre pays ». Le patronat tire-t-il profit des forts flux migratoires ?

B. Beauchu : C’est un discours que j’ai retrouvé fréquemment dans l’histoire du patronat depuis le début du XX° siècle. Il est classique dans ce milieu et Pompidou l’illustre très bien en 1963 : « l’immigration est un moyen de créer une détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale. » L’immigration est pensée comme un moyen de résister au mouvement ouvrier. Mais c’est une vieille stratégie. Déjà à Marseille au début du XX° siècle les patrons embauchaient des travailleurs italiens. Cela fonctionnait bien jusqu’à ce que les Italiens deviennent de plus en plus revendicatifs. La réaction du patronat a été très nette : il est parti chercher des kabyles (1907-1910).

Mais le discours de Pierre Gattaz, aujourd’hui, ne tient pas : il y a un million de jeunes issus de l’immigration en France qui ne sont ni scolarisés, ni en emploi, ni en formation en France. Quel intérêt donc d’aller chercher d’autres jeunes à l’étranger. Cela s’inscrit en réalité dans une stratégie claire : employer une main d’œuvre peu chère, notamment dans l’hôtellerie qui est un secteur peinant à recruter et dans lequel les conditions de travail sont très dures.

L’immigration a plusieurs avantages pour le patronat. Elle permet d’abord de ne pas avoir à former la main d’œuvre. Mais aussi de ne pas avoir à améliorer les conditions de travail étant donné que les populations issues de l’immigration n’ont bien souvent pas les mêmes standards que nous. Sans oublier la compression des salaires du fait d’individus moins demandeurs et exigeants sur leurs payes. Enfin, ne partageant pas la culture française de la revendication, ils sont généralement plus corvéables à merci.

Le contre-exemple du Japon est frappant. Ce pays fait très peu appel à l’immigration, ce sont les Japonais qui font les boulots les plus difficiles. En conséquence, ils demandent de meilleures conditions de travail et des salaires plus corrects. Le patronat ne peut à ce moment précis, sans immigration, se soustraire à leurs exigences. La logique du Medef n’est pas saine.

 

Gavroche : Comment expliquer cet attrait pour la figure du migrant pour une grande partie de la gauche libérale, qui, traditionnellement s’oppose pourtant au capital ?

B. Beauchu : Je ferais remonter ce problème aux années 80 marquées par l’abandon de la classe ouvrière par la gauche incarnée par Mitterrand ayant choisi l’Europe en 1983 plutôt que la France. Ainsi, il a préféré rester dans le Serpent Monétaire Européen (SME) plutôt que d’assurer la pérennité du programme commun et de la nation française. C’est ici qu’a lieu le début des problèmes. C’est l’acte de conversion de la gauche au néolibéralisme. Et qui dit libéralisation de la finance, dit mise en concurrence des ouvriers français avec des travailleurs du monde entier. La conséquence est limpide : les ouvriers se détournent du parti socialiste pour se jeter soit dans l’abstention soit dans les bras du Front National – la nature a horreur du vide. Depuis ce tournant, la classe ouvrière française est abandonnée.

Est restée de cette bifurcation dans l’imaginaire collectif la figure de l’ouvrier français, un peu facho alors même que c’est lui qui a été abandonné. Cette figure repoussoir a permis ce retournement vers la figure du migrant de certains à gauche. Mais aujourd’hui, même les communes à forte proportion d’immigrés peuvent aujourd’hui voter à droite, regardez en Seine-Saint-Denis, notamment Aulnay-sous-Bois. Penser que les populations immigrées ou descendantes d’immigrées sont acquises à la gauche tient de la réification, lorsqu’elles bénéficient d’une promotion sociale, elles peuvent voter à droite comme n’importe quel autre français. La plupart des députés issus de l’immigration récente le sont sous l’étiquette LREM, ils ont voté les lois antisociales, ils ont choisi  de défendre leur classe sociale. Manifestement nous ne sommes pas encore une simple colonie américaine!

Est restée de cette bifurcation dans l’imaginaire collectif la figure de l’ouvrier français, un peu facho alors même que c’est lui qui a été abandonné.

 

Gavroche : Quel rapport a entretenu la France au cours de son histoire à l’immigration ? Notamment au XX° siècle ? Est-il juste de dire que la France a toujours été une terre d’immigration ?

B. Beauchu : Depuis le milieu du XIX siècle la France connaît des vagues d’immigration, à commencer par les immigrés belges, puis les Espagnols et Italiens fuyant l’instauration de régimes autoritaires et fascistes, sans oublier les royalistes russes par peur du bolchévisme. En définitive, l’immigration fonctionne par à-coups en fonction de la conjoncture internationale. Ainsi, La France a souvent été une destination privilégiée pour les réfugiés, une terre d’accueil. C’est un héritage avec lequel on ne doit pas rompre. En tout cas c’est ce qu’on pense à République Souveraine.

 

Gavroche : N’y a-t-il pas un amalgame fait entre les figures du « réfugié » et du « migrant » ?

B. Beauchu : La difficulté qu’on a aujourd’hui c’est que le terme « migrants » recoupe des réalités très différentes : pour les gens qui fuient des pays en guerre, je préfère parler d’exilés plutôt que de migrants étant donné que le mot « migrant » évacue la dimension traumatique du périple. Mais il existe aussi et surtout une immigration familiale, qui reste le premier poste d’immigration. Ainsi, il ne faut pas voir une immigration mais bien des immigrations. Les Mineurs Non-Accompagnés (MNA) sont encore une autre réalité. La plupart du temps ces migrants sont victimes d’un réseau de passeurs qui leur vend la France comme un eldorado. Enfin, d’autres migrent pour les soins offerts par la France via l’AME (aide médicale d’Etat), soins qu’ils ne pourraient retrouver dans leur pays, ou qu’ils ne pourraient payer. De multiples réalités sont donc regroupées.

Ainsi, mettre toutes ces réalités dans le même panier efface des réalités complètement différentes. Le « migrant » est par trop générique.

 

Gavroche : La France a-t-elle encore ce qu’on pourrait appeler une « politique migratoire » ? Qu’en est-il des marges de manœuvres françaises vis-à-vis du droit international (CEDH, UE, ONU…) ?

B. Beauchu : Il n’y a pas de politique migratoire en France, ni de ligne directrice, conformément à l’État factice théorisé par Frédéric Farah. Ainsi il surgit un véritable paradoxe : quand on écoute Sarkozy, Hollande, Collomb, tous tiennent des discours durs vis-à-vis de l’immigration, alors que dans les chiffres on voit bien que depuis les années 2000 ça n’a fait qu’augmenter. Il n’y a que la pandémie qui a eu une conséquence sur les flux migratoires, même les lois qui se veulent « restrictives » n’ont pas de conséquences sur ceux-ci. C’est une impuissance voulue, ils se sont rendus impuissants. L’immigration ne nous correspond pas d’un point de vue économique et national malgré les discours souvent tenus. Et le problème réside dans l’absence de volonté politique qui laisse place à des discours démagogiques à outrance. Le « Fake State » est d’autant plus visible lorsqu’on observe les contraintes imposées par la Cour de Justice de l’Union Européenne qui a forcé la France à dépénaliser le séjour irrégulier en France depuis 2012. En conséquence, le fait d’être en séjour irrégulier en France n’est plus un délit. Le clandestin n’est plus dans une situation pénalement répréhensible. C’est une affaire de volonté, la France suit les recommandations de la CEDH avec du zèle alors qu’elle pourrait facilement y désobéir :  il ne faut pas oublier que dans la CEDH il y a la Russie. Pour éviter cette impuissance et ne plus avoir les mains liées, on propose, à République Souveraine, le retour de la primauté du droit national.

Il n’y a pas de politique migratoire en France, ni de ligne directrice, conformément à l’État factice théorisé par Frédéric Farah.

 

Gavroche : L’échelon européen est-il pertinent pour la gestion des flux migratoires ? Que penser de Frontex ?

B. Beauchu : Frontex ne fonctionne pas, à l’image de toutes les organisations créées par l’Union européenne. En 2018, Frontex a reconduit 14 000 clandestins dans toute l’Union européenne, c’est un chiffre très faible.  L’un des problèmes majeurs réside dans le manque de financement, ainsi que l’absence de réelle volonté des 27 pays à financer Frontex. Son budget devait passer à 1,7 milliard en 2027, ils n’auront plus finalement qu’un milliard de budget en 2027 à cause de la pandémie. Frontex est par trop soumis aux aléas de la situation économique des 27.

 

Gavroche : L’insécurité culturelle, concept créé par Christophe Guilly, peut-elle s’expliquer par l’immigration ? Si oui, est-ce vraiment suffisant pour décrire le phénomène ?

B. Beauchu : S’il y a une émergence du vote Front National, on peut supposer qu’il existe une forme d’insécurité culturelle palpable étant donné que c’est le fonds de commerce du parti. En revanche, s’il n’y avait pas eu de crise économique depuis les années 80, il n’est pas certain que l’insécurité culturelle aurait été si perceptible. Ralph Schor explique ainsi que les montées xénophobes en France se font pendant les périodes de crise économique. Contrairement à ce que l’extrême droite veut faire croire, c’est-à-dire, qu’il y aurait une bonne immigration européenne et une mauvaise immigration africaine, il y avait déjà de violentes poussées xénophobes à l’encontre des immigrés belges et italiens dans les années 30. Aujourd’hui on peut faire le lien entre la crise économique des années 30 et la montée de la xénophobie. Il n’y pas de racisme systémique, il est plus à propos de parler de xénophobie conjoncturelle. Ainsi, les immigrés se faisaient traiter de métèques dans les années 30, on disait qu’ils prenaient le travail des Français. Jean-Marie le Pen disait pareil des immigrés africains dans les années 80.

A cela s’ajoutent les difficultés économiques que rencontrent les immigrés et qui compliquent leur intégration à la société française. Les 30 années de crise économique ne sont pas indolores, et alors que le taux de chômage tourne autour de 8 à 10% en moyenne pour la population française, il atteint 20% pour la population immigrée hors Union européenne. Heureusement que le secteur public remplit bien son rôle intégrateur, en recrutant via des concours et donnant une certaine stabilité, un certain rôle social, aux populations immigrés qui l’intègrent. En revanche, le secteur privé depuis les années 80 a été détruit par le les partis de gouvernement (PS, LR…), par la financiarisation de l’économie, par l’adoption de l’euro, par l’abandon de toute stratégie industrielle de long-terme, par la décentralisation qui entraîne une différenciation territoriale pénalisant les collectivités les plus pauvres… Les immigrés ont alors perdu leur fief, pourtant essentiel à leur intégration : l’industrie. En effet, 70% des immigrés du Maghreb en 1990 sont membres de la classe ouvrière, et lorsque Lionel Jospin annonce en 1999 qu’« il ne faut pas tout attendre de l’État » au sujet de la fermeture d’une usine Michelin, cela sonne le glas d’un des principaux outils d’intégration. Il faut bien avoir conscience que l’abandon de l’industrie a été pensé en France : consciemment leurs emplois ont été détruits alors que parallèlement la gauche brandissait un discours antiraciste. Ainsi, de 6,9 millions de salariés dans l’industrie en 1984 on passe à 3,4 millions en 2017. Mon père était fondeur dans la sidérurgie et il peut témoigner de cette réalité.

Les 30 années de crise économique ne sont pas indolores, et alors que le taux de chômage tourne autour de 8 à 10% en moyenne pour la population française, il atteint 20% pour la population immigrée hors Union européenne.

Ainsi, notre politique migratoire actuelle est incohérente : on accueille massivement des immigrés peu diplômés (40% des immigrés d’âge actif pas ou peu diplômés et seuls 20% ont fait des études supérieures), alors qu’en France le taux de chômage pour ceux qui sortent de l’école sans diplômes est déjà de 40%…

 

Gavroche : La France est-elle vraiment sortie de son « hiver démographique » pour reprendre l’historien Pierre Vermeren au sujet de la France après la Révolution et l’Empire ? Une croissance démographique en berne est-elle vraiment problématique ?

B. Beauchu : La France est l’un des pays développés à la natalité la plus importante. Tandis qu’en Italie en 2014 c’est 1,30 enfant par foyer, en Espagne 1,26, et en Allemagne 1,57, la France avoisine les deux enfants par foyer. Et cela est possible car on a encore une vraie politique familiale. Cette croissance démographique permet de se passer d’une forte immigration, à l’inverse de l’Allemagne.

En outre, une croissance démographique faible est problématique notamment pour la soutenabilité financière de la sécurité sociale qui fonctionne avant tout grâce aux cotisations des travailleurs. Ainsi, l’État social repose sur une croissance démographique positive, autrement l’État social pourrait ne plus pouvoir assurer sa fonction.

 

Gavroche : Si l’on en croit de nombreux sondages, ainsi que l’analyse de Jérôme Fourquet, les populations issues de l’immigration sont porteuses de valeurs et de normes parfois aux antipodes du reste des Français. Quelles sont les causes de cette rupture ?

B. Beauchu : On peut constater notamment au niveau de l’acceptation des homosexuels que les immigrés issus de la sphère arabo musulmane sont plus fermés en moyenne que le reste de la population. Même décalage au niveau de la pratique religieuse de plus en plus orthodoxe chez les enfants d’immigrés. Une telle situation peut très bien être imputée au vide métaphysique qui caractérise la France depuis les années 80. Ce vide s’est installé en premier lieu par le dépassement de la nation conçue caricaturalement comme le berceau de la collaboration, voire de la colonisation… Puis est arrivée la disparition des idéologies. Celles-ci sont mal perçues aujourd’hui, le catholicisme s’est effondré avec le communisme, le vide a pu prendre toute son ampleur. Logiquement, l’échappatoire de ces populations très pauvres issues de l’immigration se trouve être la religion. Une réaction normale qui vise à se protéger de l’atomicité des sociétés contemporaines. Le problème réside dans le fait que cette protection se trouve être en décalage avec les valeurs de la société.

Mais à mon sens, il ne faut pas les pointer du doigt, il faudrait plutôt trouver la manière de faire converger l’ensemble de la société. Et cela ne sera possible qu’en débloquant la situation économique du pays, ce qui permettra de désenclaver les quartiers les plus pauvres. Toute ascension sociale n’est rendue possible pour ces populations que via le secteur public, le secteur privé, quant à lui, a été détruit par des politiques néolibérales expliquant le manque d’accès à la promotion sociale de ces populations.

La solution n’est pas de pointer du doigt. Plus on va les désigner, plus on va cristalliser la pratique religieuse, et plus elle risque d’être orthodoxe. C’est ainsi que les laïcs, au début du XX° siècle, en portant une charge très dure contre la France chrétienne, ont renforcé l’Église. Il faudrait plutôt privilégier la lutte des classes qui permet de réunir, de rassembler les classes populaires et de « désarchipeliser » la France.

 

Gavroche : Le mot « intégration » en se substituant au concept « d’assimilation » n’est il pas la preuve même d’une France de plus en plus communautarisée ? Pourquoi la gauche renie-t-elle aujourd’hui ce dernier concept ?

B. Beauchu : La fin des années 60 est marquée par l’effondrement de la matrice gaullo-communiste. En parallèle, une véritable montée en puissance du Parti Socialiste est constatable, mais ce parti n’est plus universaliste comme le PCF ou les gaullistes l’étaient. En effet, on retrouve au sein du PS l’importance du droit à la différence qui s’exprime en premier lieu dans la promotion des particularismes régionaux, puis qui va s’étendre ensuite aux immigrés. Il sera ainsi légitime de penser qu’ils ont le droit de conserver leur culture d’origine, même si cela doit créer une rupture avec l’universalisme français. La victoire du différentialisme est sanctionnée par l’arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981. Alors, l’assimilation est vue comme un projet violent et va réunir gauche et droite. Valérie Giscard-d’Estaing déclare ainsi : « la question de l’intégration ne se pose pas, car ils doivent pouvoir conserver leur culture et leur valeurs propres. » L’incapacité de la gauche, comme de la droite, de penser les immigrés comme de futurs français interdit toute idée d’assimilation. C’est une victoire de la matrice anglo-saxonne multiculturelle. La conséquence de la victoire du différentialisme est double : la nation française devient une abomination (et nourrit alors le projet européen) et les immigrés sont, de manière « bienveillante », mis à distance.

On retrouve au sein du PS l’importance du droit à la différence qui s’exprime en premier lieu dans la promotion des particularismes régionaux, puis qui va s’étendre ensuite aux immigrés. Il sera ainsi légitime de penser qu’ils ont le droit de conserver leur culture d’origine, même si cela doit créer une rupture avec l’universalisme français.

 

Gavroche : L’aide internationale vers les pays d’Afrique est-elle vraiment une solution pour endiguer les vagues migratoires ?

B. Beauchu : Concernant l’aide internationale, elle est d’une hypocrisie sans nom, elle ne sert qu’à se donner bonne conscience. On ne peut d’une main offrir une aide au développement et de l’autre déréguler des économies extrêmement fragiles avec les accords de libre-échange, déversant des produits peu chers, très subventionnés par les pays riches que les producteurs locaux ne peuvent concurrencer. On ne peut continuer à exploiter les richesses minières sans que la population n’en voit la couleur. L’aide au développement doit aller de pair avec la possibilité pour ces pays de devenir souverain et décider quoi produire, par qui et comment sur leur territoire.

 

Gavroche : Aussi, peut-on imputer aux interventions militaires occidentales la crise migratoire que vit l’Europe ?

B. Beauchu : Oui, L’intervention de Sarkozy en Lybie est une catastrophe. On a forcément une responsabilité. Si l’Irak n’avait pas été détruit par l’intervention américaine, on n’aurait sans doute pas eu le droit à Daesh. Beaucoup de cadres irakiens ont été des cadres de Daesh. Il en va de même en Lybie où l’intervention de l’OTAN en 2011 a amplifié les flux d’immigration vers l’Europe. L’Afghanistan, quant à lui, a profondément été déstabilisé par l’URSS et les Etats-Unis. Il est donc évident que nous avons nos responsabilités. Et ce sans parler du soutien aux dictateurs, domaine dans lequel la France se distingue. Macron l’a prouvé il y a peu au Tchad. Les différents chefs d’Etat français ont soutenu des dictatures qui persécutaient leurs populations qui vont ensuite demander l’asile en France.

 

 

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