La colère des Kurdes, miroir de nos démissions

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Le 23 décembre dernier, un attentat a atteint la communauté kurde française en son cœur. Entre précarité sécuritaire en France et incapacité à obtenir un Etat-nation indépendant, nos démissions et nos lâchetés ne sont pas tout à fait étrangères à la douleur de ce peuple persécuté.


Les Kurdes français touchés en leur cœur

Le saviez-vous ? Il existe un seul centre culturel kurde au monde. Il se trouve à Paris et se fait appeler Institut Ahmet Kaya, du nom d’un chanteur et militant des droits de l’homme. On le trouve dans le 10ème arrondissement de Paris. Or, c’est précisément le lieu qu’a choisi William M., citoyen français de 69 ans, pour y commettre un attentat pour des motifs racistes. L’épisode est d’autant plus dramatique qu’il rappelle des événements similaires datant de 2013. Cette année-là, au même endroit, trois activistes kurdes d’influence avaient déjà été exécutés. L’enquête avait conclu à un attentat commandité par le MIT, les services secrets turcs.

Si les motifs différent aujourd’hui, la communauté kurde vivant en France a de quoi voir son sentiment d’insécurité décupler. De fait, les nombreuses marches et les rassemblements organisés à Paris et ailleurs ont exhibé au grand jour les inquiétudes de ses ressortissants. Il faut dire qu’il y a de quoi être en colère : entre précarité économique et marginalité politique, la communauté kurde subit régulièrement les frasques des rivalités ethniques au rythme du contexte géopolitique. Il n’y a qu’à voir l’activisme des Loups gris – milice paramilitaire turque ultra-nationaliste, émanation d’un parti d’extrême-droite turc – sur le territoire métropolitain pour le mesurer. Privés de « chez eux », les Kurdes tentent tant bien que mal de se faire entendre ailleurs.

Un peuple parmi les plus persécutés

Le peuple kurde est apatride. Il ne possède aucun État-nation qui lui soit propre. Ce statut précaire, allié à une forte singularité culturelle, lui vaut nombre de persécutions à travers le monde. En Turquie en premier lieu, où cette minorité est perçue comme une entorse à l’homogénéité turco-sunnite. Ces dernières années, la dérive autoritaire de Recep Tayyip Erdogan a accéléré cette tendance. Non content de se subir une politique de répression en Anatolie, les Kurdes ont assisté impuissants à la destruction de leur tentative d’autonomisation régionale au Rojava, dans le nord de la Syrie, en 2019.

La situation n’est guère différente, même si moins médiatique, dans les pays environnants. En Iran, le peuple kurde subit une répression silencieuse au même titre que les autres minorités. Téhéran y trouve d’autant plus de raisons que les mœurs kurdes libérales constituent une menace pour l’ordre en vigueur. En Irak, malgré l’autonomie – qui n’est pas l’indépendance – d’un Kurdistan régional, ses ressortissants doivent faire face à un État central hostile et conservent le souvenir douloureux des massacres des années 1980.

La realpolitik occidentale : après nous le déluge ?

Si l’Occident n’est pas responsable de la répression anti-kurde dans les pays précédemment cités, celle-ci est tout de même le reflet de nos abandons et de nos lâchetés. A plusieurs reprises les États-Unis, la France ou la Grande-Bretagne ont apporté leur soutien (officiel ou officieux) à la création d’un Kurdistan indépendant. Or, à chaque fois, la raison du plus fort s’est montrée la meilleure : les puissances occidentales ont toujours abandonné leurs promesses pour ménager un ordre régional déjà installé. Ce fut d’abord le cas dans les années 1920, lorsque la France et la Grande-Bretagne, alors puissances mandataires au Moyen-Orient, ont signé le Traité de Lausanne avec la Turquie d’Atatürk. Le projet d’État-nation kurde, initialement prévu dans le remodelage de l’Orient post-Empire ottoman, est jeté aux oubliettes de l’histoire.

Bis repetita en 2019. Ayant joué le rôle ingrat des troupes au sol pour les puissances occidentales lors de la guerre contre Daesh en Syrie et en Irak, et ce au prix de nombreuses pertes, le peuple kurde devait obtenir en contrepartie une reconnaissance de son autonomie dans le Rojava. Or, il n’en fut rien. Pire, le départ des troupes américaines de la région sous l’impulsion de Donald Trump laissa la possibilité pour le gouvernement d’Ankara de mener une opération de « sécurisation » à ses frontières. Les libertés conquises par les Kurdes au nord de la Syrie furent détruites en quelques semaines par la puissance de feu turque. Malgré les réactions indignées en France et ailleurs, rien ne fut fait pour préserver les acquis kurdes. Ici est le prix de la realpolitik occidentale. Sur les pavés parisiens, les larmes de la communauté kurde doivent résonner avec un écho particulier.

 

François

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