Afghanistan : à la croisée des chemins

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La prise de Kaboul par les talibans le 15 août dernier achève l’entreprise de reconquête de l’Afghanistan. Cet acte symbolique nous livre une photographie des dynamiques stratégiques en cours. D’un côté, le départ des forces américaines présentes sur place matérialise le replacement géopolitique des Etats-Unis. De l’autre, l’épopée afghane confirme les difficultés de l’Occident à mener à son terme à une guerre non-conventionnelle.


Guerre sans fin

Arrivés en 2001 en Afghanistan à la suite des attentats du 11 septembre, les Américains auront mené une guerre de 20 ans. Les chiffres de leur intervention donnent le tournis : 2261 milliards de dollars dépensés, quasiment 100 000 soldats mobilisés au plus fort de leur engagement pour 2400 morts et 20 700 blessés de guerre. Le bilan est encore pire du côté afghan, puisque malgré le flou des chiffres, on estime que le nombre de mort se compterait en centaine(s) de milliers, et ce pour quasiment 400 000 civils déplacés par le conflit.

Ce même conflit a oscillé entre phases de succès et guerre lasse pour les Américains. Les résultats les plus substantiels ont été obtenus à la fin de l’année 2001, lorsque les talibans ont essuyé une véritable déroute en un laps de temps très court. La chute du régime islamique initial a pourtant signé le début des problèmes. D’un côté, les États-Unis ont eu bien des difficulté à proposer un régime alternatif stable capable de s’inscrire dans le temps. D’un autre, la guerre conventionnelle s’est transformée en une guérilla entre 2004 et 2006, ponctuée par l’utilisation régulière d’attentats-suicides, bien moins favorable aux forces américaines.

L’annonce du retrait définitif des États-Unis d’Afghanistan par Joe Biden en avril 2021, dans la continuité de la politique inaugurée par Obama et poursuivie par Trump, a laissé le champ libre aux talibans pour la reconquête du pays. Kaboul est tombée le 15 août. Après la fuite du président Ashraf Ghani, l’annonce d’un nouveau gouvernement est attendue par les puissances occidentales. L’Émirat islamique d’Afghanistan est de retour. Comme les Britanniques et les Soviétiques avant eux, les Américains se seront cassés les dents sur ce pays d’Asie centrale à la résilience unique.

Victoire ou défaite ?

Peut-on parler de défaite pour les Etats-Unis ? La réponse est plus complexe qu’on pourrait le croire. Comme le relevait déjà Carl Von Clausewitz au 19ème siècle, la victoire est une notion caméléon. Indubitablement, les talibans de 2021 ne sont pas ceux de 2001. Ils sont plus aguerris au combat et sont capables de manier la diplomatie. Ils se savent désormais au centre des attentions mondiales et ont fait preuve de leur capacité de négociation. L’Afghanistan ne redeviendra pas le berceau du terrorisme international qu’il était, sous peine de voir les puissances occidentales revenir. Le futur gouvernement taliban devra faire preuve de pragmatisme pour durer dans le temps.

Il n’est donc pas correct de parler de « défaite » à la lueur du dénouement final en Afghanistan. L’intervention américaine n’a pas été inutile, quand bien même elle laisse le goût d’un sentiment amer. Ce qui est vrai, c’est que les conflictualités modernes mettent à mal le vocable de la guerre hérité de 1945. On ne fait pas la « guerre au terrorisme », pour la simple et bonne raison qu’on ne fait pas la guerre à un mode opératoire. On ne peut pas parler de « défaite » ou de « victoire » lorsqu’on ne signe pas formellement un armistice ou un acte de capitulation entre deux partis. Cette état de fait crée un trouble. Si aucune victoire ne peut plus être proclamée, « le danger sera celui d’un affrontement permanent, diffus, dénué de limites temporelles » comme le souligne Olivier Zajec dans son Traité de stratégie de l’École de guerre.

En attendant, les mêmes schémas se répètent. L’Afghanistan, l’Irak ou le Sahel sont sujets à des problématiques similaires. Les offensives massives et fulgurantes menées par les puissances occidentales, au moyen notamment de l’aviation, lors de l’ouverture des théâtres d’opération, ne sont plus décisives. Elles engendrent des guerres sans fin, provoquant l’enlisement de la posture offensive, et rendent plus difficiles la conquête des opinions publiques. La supériorité opérationnelle occidentale garantit un certain nombre de résultats tactiques sans parvenir à transformer « l’essai », c’est-à-dire à obtenir des résultats probants sur le plan stratégique.

A l’aube du 21ème siècle

Le retour des talibans au pouvoir laisse planer des interrogations sur la sécurité régionale. La Chine et la Russie ont déjà exprimé leur volonté d’entretenir un dialogue avec les nouveaux maîtres de Kaboul. Toutes deux veulent empêcher une résurgence du terrorisme à leurs frontières ; l’une afin de poursuivre ses projets économiques vers l’ouest (les Nouvelles routes de la soie), l’autre afin de pacifier sa zone d’influence en Asie centrale. Des doutes planent encore sur les intentions de la Turquie. Plus de 500 de militaires turcs sont présents sur place et ont notamment en charge la sécurité de l’aéroport international de Kaboul au titre de leur appartenance à l’OTAN. Ce placement tactique s’inscrit dans une politique plus large d’expansion turque vers l’est, dont il faudra suivre attentivement les évolutions.

Le camp occidental est le grand absent de cet échiquier stratégique. Le retrait américain d’Afghanistan n’est pas seulement le fait d’un enlisement du conflit, mais traduit en creux le replacement géopolitique des États-Unis. La priorité n’est plus la guerre contre le terrorisme mais l’endiguement de la Chine et de la Russie. La « dérive des continents » s’accentue. Washington a les yeux désormais rivés sur le Pacifique.

Ce changement de cap, dont Obama a esquissé les contours, nous indique le véritable enjeu. La médiatisation du dossier afghan ne doit pas nous faire croire que les guerres asymétriques sont l’avenir du 21ème siècle. Bien au contraire. Le conflit du Haut-Karabakh l’an passé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie est malheureusement beaucoup plus proche de ce qui nous menace ; à savoir un conflit interétatique, symétrique, de haute-intensité. Pour le meilleur et pour le pire.

Elouan Picault

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