L’impôt universel, le cauchemar des évadés fiscaux

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Rétablir l’ISF ? Surtout pas, les riches risquent de s’enfuir. Vraiment ? Et si l’impôt universel sur les grandes fortunes, en plus d’être une solution contre l’exil fiscal, permettait une meilleure justice sociale ?


Dimanche 3 septembre, le président des Restos du cœur, Patrice Drouet, prenait la parole lors du JT de 13h sur TF1 pour alerter sur les difficultés croissantes que rencontre l’association. Il est allé jusqu’à évoquer une possible fermeture des Restos dans les 3 ans à venir si la situation continuait à empirer.

Ce cri d’alarme suscita une réponse rapide de la part de Bernard Arnault, propriétaire du numéro un mondial du luxe LVMH, qui s’empressa dès le lendemain de verser 10 millions d’euros à l’association. Si un tel geste ne peut qu’être salué, celui-ci interroge néanmoins quant à la répartition des richesses dans l’Hexagone, mettant en lumière des disparités troublantes entre l’opulence de quelques-uns et la précarité de tant d’autres.

Inégalités croissantes en France : l’alerte des Restos du Cœur

En cette fin d’année 2023, la situation des plus démunis en France est alarmante : l’inflation croissante rend l’accès à la nourriture et au logement de plus en plus difficile. D’après les statistiques les plus récentes de l’INSEE, plus de 9.1 millions de personnes vivent avec moins de 1158 euros par mois, et

« Environ 2 millions de personnes sont en situation de grande pauvreté »

Parmi ces ménages à faible revenu, rien qu’en 2011, 10% déclaraient avoir déjà eu recours à l’aide alimentaire. Une proportion qui a inévitablement augmenté avec l’inflation. Patrice Drouet, s’exprimant à ce sujet, déclarait en novembre dernier : « la faim progresse, de plus en plus de personnes sont en difficultés en raison de l’inflation »Mais tandis que la situation de personnes pourtant déjà précaires se détériore, la situation des plus fortunés quant à elle s’améliore. D’après le rapport de l’observatoire des inégalités sur les riches en France : 

« Les hyper-riches poursuivent leur enrichissement » 

Toujours selon ce rapport, « le 1 % des salaires les plus élevés du secteur privé continue de progresser. Quant aux 500 plus grandes fortunes professionnelles, elles ont vu leur valeur multipliée par quatre en dix ans ». Un rapport de l’INSEE sur les revenus et le patrimoine des ménages vient compléter ce constat en mettant en lumière les importantes disparités de niveau de vie en France : « Le niveau de vie plafond des 10 % les plus modestes reste inférieur à celui de 2008 […]. En revanche, les revenus avant redistribution des plus aisés ont augmenté ».

Rétablir l’ISF : Pour ou contre ?

Pour réduire ces inégalités plusieurs solutions existent, certains prônent notamment un rétablissement de l’ISF (l’impôt de solidarité sur la fortune). Cet impôt, qui existait depuis 1989, a été supprimé par Emmanuel Macron en 2018. Pourtant, l’ISF permettait de réduire les inégalités en prenant un peu aux plus riches pour aider les plus pauvres. D’après la Direction générale des Finances publiques

« L’ISF rapportait environ 4 milliards d’euros par an. »

En comparaison, son remplaçant, l’IFI (l’impôt sur la fortune immobilière), est bien moins rémunérateur, celui-ci n’ayant rapporté que 2,35 milliards d’euros à l’État en 2022. Ainsi, plusieurs partis de gauche militent pour le rétablissement de l’ISF, comme le PCF, la FI, et le PS.

Quand le rétablissement de l’ISF est prôné par les uns, d’autres soutiennent qu’une telle mesure ferait fuir les créateurs de richesses, et que rétablir un tel impôt coûterait en réalité beaucoup plus à la France que les recettes fiscales qu’il pourrait engendrer. C’est tout du moins l’analyse qu’en fait Stéphane Zuber, directeur de recherche en économie au CNRS, et professeur à la Paris School of Economics :

« L’ISF peut inciter à l’exil fiscal. La question, non résolue, est de savoir combien de personnes quitteraient le pays. »

L’impôt universel pour une plus grande justice fiscale

Si ce risque d’exil fiscal existe, il peut néanmoins être évité. Ainsi, les États-Unis ont, pour leur part, mis en place un système d’imposition sur la nationalité, communément appelé « impôt sur la nationalité » ou « impôt universel ». Le principe est qu’une personne possédant la nationalité américaine doit payer des impôts sur ses revenus, où qu’elle soit sur la planète. En revanche, ce système n’est pas parfait, car des individus nés aux États-Unis mais n’y ayant jamais réellement vécu se retrouvent à devoir payer un impôt sur la nationalité, d’une nationalité dont ils n’ont pourtant jamais vraiment joui.

C’est pourquoi l’économiste Gabriel Zucman, l’un des plus grands spécialistes mondiaux de l’évasion fiscale et des inégalités de fortunes, propose quant à lui d’instaurer « un impôt universel sur les plus grandes fortunes ». Un tel impôt permettrait de taxer les grandes fortunes françaises où qu’elles soient dans le monde, tout en palliant aux inconvénients d’un impôt universel plus classique. L’économiste s’explique dans un entretien accordé à Blast

« Si vous avez vécu longtemps en France, si vous y êtes devenu très riche, et si vous décidez de déménager dans un territoire à fiscalité faible, alors la France va continuer à vous taxer après votre départ comme si vous n’étiez pas parti ».  

Un tel impôt aurait du sens, se justifie-t-il, à partir du moment où « si vous êtes devenu milliardaire en France, c’est quand même en partie parce que vous avez bénéficié de l’éducation, des services publics, des biens publics, des infrastructures, de l’accès au marché. Donc, il n’y a aucun droit naturel à s’expatrier une fois fortune faite, et ne plus avoir un euro à payer »

Les ultra-riches : fausse générosité, vraie dissimulation

Dès lors, on comprend bien toute la supercherie derrière ce don de 10 millions de Bernard Arnault, ou plus largement de la « générosité » des ultra-riches. Si il est facile pour Bernard Arnault de donner 10 millions au Restos du Coeur, c’est peut-être bien car celui-ci est un évadé fiscal, 81% des actions de son groupe étant hébergées en Belgique

Le Canard enchaîné révélait d’ailleurs en février dernier qu’en 2019, Bernard Arnault n’avait été imposé qu’à hauteur de 18%, c’est-à-dire autant qu’un couple gagnant 150 000 euros, alors que Bernard Arnault est quant à lui la deuxième fortune mondiale : « La fortune de Bernard Arnault ne ruisselle pas tant que ça : ses 280 millions d’euros de revenus personnels de 2019, n’ont été imposés qu’à 18%. C’est le taux qui est appliqué aux couples gagnant 150 000 euros, soit près de deux mille fois moins que lui…».


Plutôt que de s’évader fiscalement, Bernard Arnault pourrait donc payer ses impôts en France, comme n’importe quel citoyen, et ainsi contribuer de manière authentique et généreuse à aider les plus pauvres, ou tout du moins plus qu’à travers une générosité de façade. Il est facile de donner d’une main, tout en retenant de l’autre. 

Si vous souhaitez à votre hauteur donnez au Restos du Coeur, voici le lien pour leur faire un don : Don Restos du Coeur.

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