Alors que les partis politiques allemands n’ont plus qu’un mois pour désigner leur candidat à la chancellerie, aucune figure n’est encore apparue. Chancelière depuis 2005, Angela Merkel a connu quatre présidents français et autant d’homologues américains, et se pose désormais la question de son héritage. On retiendra d’Adenauer la reconstruction de l’Allemagne, les débuts de la construction européenne, la réconciliation franco-allemande. On retiendra de Willy Brandt l’Ostpolitik, on retiendra d’Helmut Kohl un grand européen proche du président Mitterrand et la réunification allemande, mais que retiendra-t-on d’Angela Merkel ?
Une “excellente gestionnaire de crise” ?
Si ce n’est pour sa longévité, Merkel restera dans les mémoires comme une chancelière de crise, capable de coups d’audace.
Le premier d’entre eux n’est autre que la sortie du nucléaire, qui fut un immense échec. En 2011, suite à la catastrophe de Fukushima, Angela Merkel prend le monde de court en annonçant la sortie de l’Allemagne du nucléaire d’ici 2023. L’objectif est alors de compenser cette perte d’énergie par l’apport procuré par les nouvelles énergies vertes. Il est vrai que la production issue du renouvelable n’a cessé d’augmenter au cours de la décennie, mais il persiste d’importants problèmes de stockage. Lorsque la nuit tombe et que la consommation d’électricité augmente, les panneaux photovoltaïques ne peuvent plus fournir d’électricité. De ce fait, la consommation d’énergie fossile augmente. Selon une étude de l’université de Berkeley, le gain annoncé de 200 millions par an lié à la baisse de consommation d’électricité ne pèse rien face aux 12 milliards que coûte cette transition, résultant de l’addition du surcoût de production ($1,6M), du surcroît d’émissions de CO2 ($1,8M) et de la surmortalité liée aux émissions locales ($8,7 M). D’un point de vue techno-économique, cette sortie du nucléaire n’a aucune justification, la population allemande étant très hostile au nucléaire depuis la catastrophe de Tchernobyl, il s’agit là, en vérité, d’un brillant coup de communication approuvé par plus de 80% des Allemands.
D’un point de vue techno-économique, cette sortie du nucléaire n’a aucune justification.
Toutefois, ses coups d’audace ne sont pas toujours aussi bien acceptés par la population, c’est le cas de sa gestion de la crise des réfugiés en 2015 durant laquelle l’Allemagne a accueilli un million de personnes. Cette décision a été saluée par la presse internationale qui a plusieurs fois sacré Merkel comme la femme la plus puissante au monde. La décision d’accueillir un million de réfugiés (au moins 500 000 sont repartis depuis) l’a faite passer de dirigeante rigide au statut de “chancelière du monde libre”.
Son slogan “Wir schaffen das” (nous y arriverons) a échoué à mobiliser la population allemande. Le terrorisme ou les agressions sexuelles lors du nouvel an 2016 à Cologne ont contribué à sa perte de popularité. La chancelière reconnaîtra elle-même que son fameux slogan était “vide de sens” et que cette décision n’était pas préparée. Sa proposition de répartition par quotas obligatoires dans toute l’Union européenne va susciter le refus des pays d’Europe centrale et du Danemark et l’isoler encore plus sur la scène européenne.
Loin d’une remarquable gestionnaire de crise, Angela Merkel est surtout une redoutable communicante et opportuniste politique.
Des fractures passées encore vives
Cette marque de pragmatisme cache en réalité une absence de conviction, si ce n’est celle de faire plaisir au grand patronat allemand et à la puissante industrie de l’automobile. Sur le plan économique, on retiendra de Merkel l’instauration d’un salaire minimum en 2015, face aux conséquences sociales de la crise de 2008 et la pression de ses alliés du SPD. Toutefois, celui-ci est encore trop faible (9,50 euros bruts de l’heure en janvier 2021) face aux inégalités qui ont progressé dans un pays qui vit depuis 15 ans sur l’héritage des réformes néolibérales des années 2000 du chancelier Schröder.
Ces réformes, les lois Hartz, ont fortement libéralisé le marché du travail allemand : réduction drastique des allocations chômage, aide sociale plafonnée à 407 euros par mois, création des mini-jobs à 450 euros mensuels, jobs à 5 euros de l’heure, et job à 1 euro de l’heure. Cette dévaluation interne a permis à l’Allemagne de gagner en compétitivité sur ses voisins et ainsi d’inonder les marchés européens et mondiaux de biens industriels de haute qualité, mais elle a aussi créé les conditions de la précarité : 15,7 % d’Allemands vivent officiellement sous le seuil de pauvreté. La situation est pire pour les enfants : un enfant sur six est considéré comme pauvre, et même un sur cinq dans les Länder de Berlin ou de Brême. Derrière les impressionnants excédents commerciaux qu’accumulent depuis des années les Allemands, il y a une fracture sociale grandissante, dont Merkel est responsable.
Un enfant sur six est considéré comme pauvre, et même un sur cinq dans les Länder de Berlin ou de Brême.
L’an dernier, l’Allemagne fêtait les trente ans de sa réunification, mais derrière ces festivités, personne n’était dupe des divisions profondes qui marquaient et marquent encore le pays. Cette frustration des Allemands de l’Est, déçus par les promesses du capitalisme qui leur a apporté chômage et insécurité sociale s’exprime principalement par la montée de mouvements comme PEGIDA (groupuscule islamophobe) ou l’AFD (Alternative pour l’Allemagne, principal parti d’extrême-droite). S’il y a bien une ombre au tableau politique d’Angela Merkel, c’est la résurgence en Allemagne d’une extrême-droite institutionnelle et puissante qui est aujourd’hui la première force d’opposition au parlement. Les scores de l’AFD atteignent 40% aux élections régionales de Saxe ou de Thuringe. Ce parti a même failli participer à une coalition gouvernementale en Saxe avec les conservateurs et les libéraux l’an dernier.
Cette colère s’exprime principalement par un tournant extrémiste et la montée de mouvements comme PEGIDA ou l’AFD.
La montée de l’extrême-droite ne se constate d’ailleurs pas qu’au parlement, depuis la crise migratoire, les attentats racistes se multiplient. Depuis 2016, on assiste à une résurgence de ce terrorisme en miroir du terrorisme islamiste. En 2019, un préfet conservateur, Walter Lübcke, a été assassiné car il était favorable à l’accueil des migrants, puis en 2019, un attentat à la synagogue de Halle a fait deux morts avant qu’en 2020, l’attentat de Hanau ne fasse 11 victimes. Le meurtrier de Walter Lubcke, Stephan Ernst était déjà connu des services de renseignement pour avoir déposé une bombe devant un centre de demandeurs d’asile en 1993, ces mêmes services ont d’ailleurs reconnu leur naïveté face à ce terrorisme d’ultra-droite.
Un Sphinx sans vision
Angela Merkel est sans aucun doute la cheffe de gouvernement européenne la plus marquante de ce début de siècle, les années Merkel sont aussi les années de la toute puissante hégémonie allemande sur le continent européen. L’euro fort et le marché unique ont largement profité à l’Allemagne qui n’a donc rien à reprocher à l’Europe, sauf quand il faut faire preuve de solidarité. En effet, Merkel a toujours été pro-européenne, sauf quand il s’agissait de montrer plus de solidarité avec la Grèce à qui elle a imposé la troïka européenne et l’austérité budgétaire qui ont fait des ravages dans ce pays qui ne s’en est jamais remis.
L’euro fort et le marché unique ont largement profité à l’Allemagne qui n’a donc rien à reprocher à l’Europe, sauf quand il faut faire preuve de solidarité.
La crise financière de 2008 a profondément aggravé les disparités économiques entre les pays du Sud de l’Europe et les pays du Nord, les premiers ont vu leurs dettes et le chômage considérablement augmenter dans leurs pays, alors que les pays du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Danemark…), plus compétitifs et avantagés par un euro fort ont mieux résisté à la crise. Aujourd’hui, les populations italiennes ou grecques dénoncent les mesures austéritaires imposées par Merkel, surnommée « Frau nein » (« madame non »), la chancelière allemande est devenue le visage de l’arrogance et de l’intransigeance allemande. À l’inverse, les conservateurs des Pays-Bas ou d’Allemagne vont systématiquement refuser d’aider financièrement les “fainéants” du Sud, refusant que le « bon argent allemand » ne vienne sauver les banques des pays méditerranéens.
Il faudra que l’Europe soit au bord de l’implosion pour que la chancelière allemande daigne faire preuve d’un peu de solidarité européenne avec le plan de relance européen de 750 milliards d’euros annoncé cet été. Cela lui permettra enfin d’entrer au panthéon des grands européens, bien que son intransigeance ait failli détruire l’Union et l’ait certainement abimée pour toujours…
Ainsi, le bilan d’Angela Merkel est bien plus contrasté qu’on ne nous le fait voir et il est essentiel d’en avoir une vision claire pour pouvoir envisager le futur de l’Allemagne. L’avenir politique du pays est encore incertain, mais la persistance de vieilles habitudes politiques face à tournant important que va connaître ce pays ne va faire qu’alimenter la poudrière d’un pays fracturé.
Pierre de Chabot
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1 réponse à “Merkel, ou la fin de l’illusion allemande”
Le bilan d’Angela Merkel (économie, social, migratoire, écologique etc) est totalement indéfendable. Elle a définitivement fait de l’Europe un système de droite néo libérale, avec une politique anti sociale et en outre un retour du nationalisme allemand et des volontés hégémoniques (qui n’étaient qu’en etat d’hibernation) de son pays au détriment de l’Europe du sud. D’ailleurs il est toujours utile de rappeler que les motifs de l’immigration de masse n’ont jamais eu de but altruiste mais s’inscrivent dans une logique capitaliste (main d’œuvre à bon marché, etc). L’article évoque rapidement les viols ou agressions de Cologne mais depuis le nombre de crimes sexistes, racistes ou/et antisémites commis par des migrants (très minoritaires mais le résultat est le même) a explosé, comme d’ailleurs en Suède. Il s’agit là d ‘un point fondamental si l’on veut comprendre le reste.
Sur le plan géopolitique enfin, Angela Merkek a toujours été (comme Sarkozy, Hollande et Macron) totalement sous allégeance des USA. Cela dit, et c’est à peu près le seul point positif que je pourrais lui accorder, ce n’est pas une va-t-en-guerre et vis à vis de la Russie ou de l’Ukraine son attitude était moins incendiaire et belliciste que celle de nos actuels dirigeants. Évidemment, à choisir, je préfère encore Angela Merkel à Macron et Ursula Von der Leyen.
Au sujet d’Ursula von der Leyen il semblerait qu’il y ait beaucoup à dire sur sa famille, son père et les affinités politiques de celui-ci. Très éclairantes…