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Humaniste, prophète, poète, pacifiste, écologiste, fabuleux… autant de qualificatifs sont utilisés pour décrire le maître de l’animation japonaise Hayao Miyazaki et ses films. Ce portrait consensuel ne manque naturellement pas de faire l’unanimité dans toute la presse, mais loin de « penser printemps » ou des discours de Miss France, l’œuvre de Miyazaki est profondément engagée et politique. C’est cela que nous allons montrer à travers une série d’articles qui présentera la réelle identité de Miyazaki, un farouche antimilitariste et antinationaliste, un socialiste utopique, mais avant tout un prophète de l’effondrement de la civilisation.
Miyazaki, poète de la catastrophe
Associer Miyazaki et son œuvre à l’écologie, c’est comme attacher la mauvaise foi à Christophe Castaner, cela coule de source. Si nombre de responsables politiques ont attendu Greta Thunberg ou les mesures radicales du gouvernement telles que la suppression des touillettes à café d’ici 2020, la question de l’écologie est présente depuis toujours chez Miyazaki. L’animateur est un véritable visionnaire sur les questions de l’effondrement qui se répandent toujours plus chez nous. Si cette thématique est omniprésente dans son œuvre, c’est à travers ces deux œuvres plus « adultes » qu’elle est abordée le plus frontalement, c’est ce que nous allons voir à travers deux œuvres : Princesse Mononoké (1997) et Nausicaa de la Vallée du Vent (1984).
Princesse Mononoké nous conte l’histoire d’un personnage qui s’exile pour demander à l’esprit de la forêt de le sauver de la malédiction qui le ronge et dont le but est de « porter sur le monde un regard sans haine ». C’est à travers son périple et ses rencontres que Miyazaki décrit un processus d’effondrement miniature. Une fille humaine élevée par des loups qui sont d’anciennes divinités protectrices de la forêt affronte le village des forges qui détruit les montagnes pour assurer sa survie économique face au Shogun qui souhaite l’asservir.
Le Dieu cerf, ou « l’ avaleur de montagnes » de Princesse Monoké (1997)
Évidemment, la nature est présente partout et sa beauté largement célébrée au cours de chevauchées lyriques servies par la remarquable musique de Joe Hisaishi. Mais, loin des contes de fées bucoliques, le monde de Princesse Mononoké est avant tout hostile, c’est un film de guerre loin du manichéisme hollywoodien. Ce n’est pas la « gentille nature » agressée par « les méchants humains » pleins de richesses, c’est un affrontement de tout le monde contre tout le monde au crépuscule de l’humanité, car au crépuscule de la planète. Pour lui, la folie des hommes mène à la destruction de leur propre habitat, et à la révolte de la nature contre cette civilisation industrielle, mais aussi comment cette société corrompt les hommes pour n’entraîner que le chaos et la guerre, jusqu’à l’effondrement.
Le monde présenté dans Nausicaa est différent, en ce que l’effondrement s’est déjà produit, c’est un monde post-apocalyptique décrit ainsi par l’auteur dans la version manga :
« Née aux confins occidentaux du continent eurasien, la civilisation de l’industrie s’était répandue en quelques siècles dans le monde entier, pour constituer une gigantesque société industrialisée. Cette civilisation du gigantisme industriel, arrachant les richesses du sol, maculant les cieux et allant jusqu’à recréer des êtres vivants à sa guise, parvint à son zénith mille ans plus tard, avant de sombrer dans un déclin fulgurant. Au cours de la guerre qui fut désignée comme « Les sept jours de feu », les cités humaines, répandant des substances empoisonnées, furent anéanties, les savoirs techniques complexes et avancés perdus, et la surface terrestre dans son ensemble pris l’aspect d’un désert. Par la suite, la civilisation industrielle ne connut pas de reprise, et l’humanité dut faire face à une longue ère crépusculaire. »
Le film nous raconte le périple de la princesse Nausicaa de la vallée du Vent, qui vit aux abords de la mer de décomposition (forêt née de la pollution totale des sols) et qui va essayer de sauver son pays en proie à la guerre face aux autres puissances qui voudraient l’asservir et aussi de sauver l’humanité entière, menacée d’extinction par « le grand raz-de-marée » qui ravagera la terre.
L’effondrement annonce un Monde nouveau
Nous retrouvons des éléments communs à Princesse Mononoké, la destruction et la lutte entre nature et industrialisme, mais aussi la guerre des hommes entre eux. En effet, les sociétés du gigantisme industriel comme il les nomme ici poussent à la destruction de la planète, mais plus largement au chaos généralisé et à une guerre de tous contre tous précédant l’effondrement et l’accélérant. Dans Nausicaa, les différents royaumes s’affrontent pour contrôler les ressources, pendant que des réfugiés errent sur une terre en désolation et que les catastrophes naturelles menacent de détruire ce qu’il reste de l’humanité. D’après un rapport de la Banque mondiale, le changement climatique va transformer plus de 143 millions de personnes en réfugiés climatiques, cherchant à échapper aux mauvaises récoltes, à la pénurie d’eau et à la montée du niveau des mers. En Asie de l’Est et ailleurs, les tensions montent à propos du contrôle de l’eau, l’Agence Européenne de l’Environnement estime que 17% des sols européens seraient soumis à un phénomène d’érosion. Établir une liste exhaustive est évidemment impossible, mais lister les causes ira bien plus vite : l’activité humaine et la société industrielle de surproduction.
« Les sociétés industrielles poussent à la destruction de la nature, au chaos et à la guerre de tous contre tous, l’auto-destruction prècède l’effondrement »
Nausicaa de la vallée du vent (manga):1982-1994
La situation présente jusque-là peu d’espoir, mais pour Miyazaki, c’est le contraire, c’est cet effondrement, ce « grand raz-de-marée » qui va enfin permettre de changer. Les deux films mentionnés montrent tous deux cet effondrement, mais ils nous montrent aussi que c’est précisément là que nous pouvons prendre une autre route pour construire un nouveau monde où règne l’harmonie. L’harmonie entre l’Homme et la nature, mais aussi entre les hommes, Miyazaki nous montre comment ces situations rapprochent les hommes et ont tendance à faire ressortir le meilleur de la nature humaine. Paradoxalement, c’est face aux catastrophes naturelles que l’entraide et la solidarité se développent le plus. L’effondrement est la catastrophe qui permettra la renaissance d’un Monde meilleur. Ce sont ces situations de crises extrêmes qui nous touchent tous qui nous rappellent que nous formons une communauté et que c’est ainsi que nous nous en sortirons. L’effondrement n’est donc pas la fin, mais ce qui nous permet de construire quelque chose de nouveau sur des bases saines pour créer une société utopique que Miyazaki ne décrit pas complètement, mais dont il jette simplement les bases.
« L’effondrement est la catastrophe qui permettra la renaissance d’un Monde meilleur »
Par-delà une sublime célébration de la nature et des messages pleins de bons sentiments, Miyazaki propose donc une œuvre forte qui depuis ses débuts n’a cessé de décrire comment le chemin que nous empruntons nous mène à notre perte. Miyazaki a déjà dit qu’il n’attendait « pas complètement en plaisantant » un monde où « les herbes vertes et sauvages » prendront la place des machines, comme à la fin de Princesse Mononoké. Et ce serait sur les ruines de cette civilisation industrielle qu’il deviendrait alors possible de vivre en harmonie, à condition de « porter sur le monde un regard sans haine ».
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